AU VENEZUELA DU PRESIDENT CHAVEZ
de Pierre Mouterde
Ce texte a été très amicalement posté
à Linked222 par le philosophe militant, sociologue et journaliste, Pierre
Mouterde peu après son retour du "Forum International de Philosophie
du Venezuela" tenu à Caracas du 6 au 12 juillet 2005.
En mai 2005 les présidents Chavez et
Castro signeront un document essentiel créant l'"Alternative bolivarienne
pour les Amériques" (ALBA).
Ce texte établira un régime spécifique d'intégration
économique entre Cuba et le Venezuela autant qu'une ferme opposition
à l'ALCA/ZLEA/FTAA, "Zone de libre-échange des Amériques"
d'inspiration américaine visant à éliminer les barrières
douanières entre les Etats américains tout en isolant/excluant
économiquement Cuba.
photo : Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Hugo_Chavez
Au Venezuela du président Chavez
Vu depuis le Québec, le Venezuela bolivarien peut sembler bien folklorique,
avec ses crises sociales à répétition et son président
aux allures populistes se permettant de tenir tête aux USA grâce
aux ressources pétrolières de son pays.Pourtant, par delà
ces images faciles, il faut savoir que ce pays est en train de vivre un profond
processus de transformation sociale, un processus que lon devrait suivre
de près, spécialement si on aspire à la justice sociale
et au « bien commun ».
Un keynésianisme radical
Alors que partout au monde simpose le modèle néolibéral
(privatisation, déréglementation, libéralisation), voilà
quau Venezuela du président Chavez, on semploie par tous
les moyens à développer une économie « inclusive
», fondée sur « lhumain » et gérée
sur le mode de ce quon pourrait appeler un « keynésianisme
radical ». Résultat : plutôt que de se dégager de
ses responsabilités et laisser jouer le jeu du libre marché, lEtat
vénézuélien sest lancé dans une série
dinitiatives visant à redistribuer la richesse collective (la rente
pétrolière) en direction des secteurs les plus défavorisés.
Et dans un pays où 39% de la population vit en état dextrême
pauvreté, cest là tout un défi ! Par le biais de
campagnes dalphabétisation (Mission Robinson I et II), déducation
(Mission Sucre), de santé (Mission Barrio Adentro), par la mise ne place
de « centres de développement endogène », de réseaux
de coopératives, dentreprises de développement social et
de supermarchés populaires subventionnés (Mercal), le gouvernement
du président Chavez a fait ainsi de la lutte à la pauvreté
son objectif premier.
La démocratie participative
Mais il la fait, non pas seulement en aidant de manière paternaliste
les plus démunis de son pays, mais en cherchant à les transformer
en protagonistes et sujets de leur propre prise en main. Et cela parce quil
a fait de lexigence démocratique un axe central de son intervention.
Alors que partout au monde, on déplore les déficiences de la démocratie
représentative sans parvenir vraiment à trouver les moyens de
laméliorer (voir par exemple au Québec la question du scrutin
proportionnel), voilà quau Venezuela de la 5ième république,
on a décidé de refonder complètement la constitution du
pays en la rebâtissant autour de lidée de « démocratie
participative » et de lexistence dun nouveau pouvoir (sajoutant
aux trois pouvoirs traditionnels) : « le pouvoir citoyen ». Doù
depuis 1998, la multiplication déchéances électorales,
de référendums, de scrutins constituants, visant à prendre
le pouls de la population (8 depuis 98). Doù aussi, partout où
cela est possible, lorganisation de nouvelles formes de participation
et de délibération, tant au niveau politique (assemblée
populaire) quau niveau économique (autogestion\cogestion).
A léchelle dun continent
Mais ce qui est intéressant, cest que ces nouvelles politiques
sont aussi pensées de manière plus large, à léchelle
du continent. En même temps que le président Chavez met en mouvement
son peuple au niveau local, il va chercher au niveau global à rompre
avec la logique de la ZLEA et de lOMC, en sopposant à la
toute puissance de lempire US et en contre proposant à lintégration
néolibérale marchande des biens et services, une intégration
des peuples et des personnes, notamment à travers la création
de lAlternative bolivarienne pour les Amériques (lAlba :
littéralement « aube » en espagnol). Et si pour linstant
cette proposition sest organisée essentiellement autour de laxe
Venezuela\Cuba, elle nen représente pas moins un puissant attrait
pour dautres pays et surtout une évidente stimulation pour mettre
sur pied des projets de développements socio-économiques alternatifs
sud\sud (comme les projets Petrosur (pétrole) ou Telesur (télévision)
impulsés par le Venezuela).
Un enthousiasme contagieux
Certes toutes ces mesures nont pas été prises sans mal et
sont le résultat dintenses luttes sociales ayant permis de stopper
les tentatives de déstabilisation de lopposition et des élites
traditionnelles. Coup dEtat manqué du 11 avril 2002, grève
patronale du pétrole avortée (décembre 2002 à février
2003), référendum révocatoire perdu par lopposition
(août 2004) : chaque fois le président a pu sen sortir, sappuyant
sur la mobilisation populaire, radicalisant peu à peu le processus, évoquant
même (tout récemment) lidée dun « nouveau
socialisme pour le 21 siècle ».
Il est vrai aussi que pour mener de telles politiques, Hugo Chavez dispose,
outre de lappui populaire, dimportants atouts dans son jeu. Non
seulement parce que le Venezuela regorge de pétrole (il est le 5ième
producteur mondial et le 4ième fournisseur des USA) et que le prix du
baril atteint maintenant des sommets, mais aussi parce quil est arrivé
au moins pour linstant à impliquer les forces militaires
dans son projet.
La révolution bolivarienne a néanmoins ceci dintéressant
: elle montre que lorsquon en a la volonté politique, il est possible
dinventer, loin des diktats néolibéraux, de nouvelles formes
de développement social, en somme de transformer, comme laffirme
le célèbre latino américaniste Frantz Hinkelammert, «
limpossible en possible ». A séjourner au Venezuela, cest
au fil dun enthousiasme contagieux, ce quon ne manquera pas dapercevoir
!
Pierre Mouterde
Pierre Mouterde est professeur de philosophie au Collège de Limoilou
(Québec). Il est également docteur en sociologie et spécialiste
des mouvements sociaux en Amérique Latine et des problèmes liés
à la démocratie et aux droits humains. Il a également écrit
de nombreux ouvrages comme "Quand l'utopie ne désarme pas-Les pratiques
alternatives de la gauche latino-américaine" (Ecosociété,
2001), "Mouvements sociaux au Chili (1973-1993)" (L'Harmattan, 1995)
et avec Christophe Wargny "Apre bal tanbou lou. Cinq ans de duplicité
américaine en Haïti (1991-1996)" (Paris Austral, 1996).Pour
plus d'informations voir ci-dessous notre rubrique Forum-CANADA et les Editions
Ecosociété-à contre-courant (Montreal-Québec).
< fin de l'article le 2/9/2005 >