"REPENSER L'ACTION POLITIQUE DE GAUCHE"
Un essai écrit par Pierre Mouterde,


publié et diffusé au Québec par la société d'édition Ecosociété, en librairie le 9 novembre 2005.

Introduction/présentation à la lecture par Christian Pose, Paris, le 1.10.05


introduction/présentation :

Le livre de Pierre Mouterde "Repenser l'action politique de gauche" est sans doute un essai important. Important parce qu'il soulève la question du choix fondamental des moyens, des possibles, des stratégies : éthiques, politiques, historiques qui nous conduiront (étudiant, chercheur, militant, lecteur, critique, citoyen) à nous positionner clairement, individuellement et collectivement, sur la question de la conquête et de l'exercice du pouvoir d'Etat à l'heure des grands mouvements sociaux mondiaux alternatifs, de l'altermondialisme, sur "l'homme du renouveau" celui qui transformera et sur cette autre grande question que soulignera François Houtart dans la préface, la construction d'un mouvement historique d'émancipation.

[ 1 ] Sous le signe de la bifurcation et du chaos, le grand basculement du monde

Le premier chapitre de cet ouvrage s'attachera à définir les conditions sociohistoriques du temps présent, du chaos contemporain, "le grand basculement du monde" que l'on devra tant au capitalisme historique et à l'atteinte de ses limites qu'à l'effondrement des modèles socialistes, limites qui nous conduiront à oublier le politique, à nous en détacher voire à nous en méfier.

[ 2 ] -Sagesses recluses et religions intégristes, la politique a horreur du vide...

Le second chapitre traitera, de fait, du replis de l'individu sur lui-même dans un contexte soit de consommation et d'indifférence hédonniste soit sur des modèles de sagesse conduisant à l'intégrisme de l'islam, de l'hindouisme, du bouddhisme, proposant une recherche du sens hors le temps et redonnant sens aux modèles archétypaux primitifs basés sur des hiérarchies et des castes inflexibles, le secret, la bonne naissance, la loi du sang et des ancêtres.
Pour contrer le phénomène Pierre Mouterde proposera une approche sociohistorique de l'expérience et de la mémoire afin de rétablir une filiation avec les générations du passé, de "se relier à d'autres" sur un même projet d'émancipation collectif, de combiner la lutte pour l'amélioration des conditions d'existence et de recherche de sens, pour établir une puissance d'affirmation, un pouvoir unificateur, un pouvoir constituant dans le but d'élaborer une Communauté démocratique alternative.

[ 3 ] Histoire et filiation, en quête d'étincelles d'espérance

Le troisième chapitre s'attachera "à redéfinir la notion d'histoire à travers la catégorie du présent, la délestant de la "réligion du progrès" qui aura causé la perte de la gauche et la perte du goût pour l'action collective. Pierre Mouterde appuiera son développement sur la critique du modèle hégélien de l'histoire sacralisant pour le seul bonheur des puissants toutes les formes du réel historique, toutes ses manifestations et épuisant le monde avec les grands orgues de la civilisation : l'art officiel, la religion, la guerre -passage obligé- et finalement la barbarie. "Tout ce qui est rationel est réel, dira Hégel, tout ce qui est réel est rationel" et de considérer l'histoire comme un tribunal suprême, une instance toute puissante apte au nom du sens préalable qu'elle appelle, à juger de tout et à tout justifier... Pour Mouterde la fin hégélienne s'oppose au présent et conduit l'opinion à admettre de façon insidieuse "d'indispensables moments de négativités" : les guerres et les grandes tueries.

La seconde partie de ce chapitre insistera sur l'enjeu de la vision de la l'histoire de Walter Benjamin pour qui l'histoire n'est ni objective, ni linéaire, ni grandiose, ni "comme cela s'est passé". "Au contraire, dira Benjamin, faire oeuvre d'historien consiste à s'emparer d'un souvenir tel qu'il surgit au moment du danger."

Mouterde y verra un moyen pour établir sa filiation aux générations passées, en particulier "aux vaincus d'hiers" qui attendent de nous aujourd'hui une "rédemption". Ici la philosophie très messianique "sans religion" ou "sans Messi" de Benjamin (Mouterde insiste sur l'intérêt de la laïcisation et de la dynamique du messianisme benjaminien) prendra tout son sens, "le peuple est le Messi", le support de la rédemption et de la transfiguration des morts, des vaincus... Benjamin dit NON à l'histoire hégélienne des vainqueurs. A nous comme à chaque génération précédente il sera accordé une faible force méssianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention... Ici, l'idée de rédemption se métamorphose en force pratique qu'il est donné à chacun d'entre nous d'utiliser pour faire justice aux vaincus d'hier...en accouchant de leurs rêves. L'histoire selon Mouterde/Benjamin, est l'objet d'une construction dont le lieu n'est pas le temps homogène mais le temps saturé d'à-présent, rempli de correspondances, de rapports inattendus avec le passé. Cette manière d'aller à contre-courant du déroulement homogène et continue de l'histoire officielle permet au couple Mouterde/Benjamin de faire apercevoir d'autres structures sous-jaçentes, infiniement plus riches et fécondes que ne le soupçonne l'historien officiel.

[ 4 ] La politique, c'est la démocratie

Le quatrième chapitre nous rappelle avec force pertinence "la portée de l'acte politique... "qu'avant la politique" n'existait que le pouvoir monolythique de l'ancêtre - indiscutable - et celui de la richesse matérielle inégalitaire et discriminante.

Mouterde nous fera descendre dans les méandres de l'histoire grecque antique à travers les analyses de Jacques Rancière pour saisir les racines et l'enjeu de la démocratie : "le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple!"

Désormais "les gens qui ne sont rien, ceux qui n'on rien, ceux dont la naissance est obscure, gouvernent les autres, ceux qui ont des titres à faire valoir, qui sont bien nés!"... La démocratie advient toujours dans l'histoire comme une déviation, un hasard, une violence par rapport au jeu "normal" de la domination. Elle apparaît comme une interruption dans un processus historique voulut immuable par les ancêtres et les détenteurs de richesse. La démocratie n'est donc pas un régime comme les autres. La démocratie n'existe que par l'intervention de "sujets polémiques qui divisent la communauté en remettant en scène le litige constitutif de la politique... Ce que la démocratie met en oeuvre c'est quelque chose de fondamental, c'est l'institution de la politique comme telle. Qu'y a t-il avant la politique : le pouvoir de la naissance, le pouvoir naturel ou supposé tel de ceux qui sont nés avant ou nés mieux...sur ceux qui sont nés après ou moins bien !"

La politique commence quand on interrompt cette logique naturelle, quand sont suspendus ces titres à dominer. La politique repose sur un axiome unique, dira Rancière : "nul n'a de titre à gouverner!". Le pouvoir ne revient pas à la naissance ou à la sagesse, à la richesse ou à l'ancienneté. Il ne revient à personne, l'autorité politique n'a pas en dernière instance d'autre fondement que la pure contingence, la politique est cette chose incomparable, paradoxale "le gouvernement de l'égal sur l'égal"...

[ 5 ] Reconstruire le "Nous", la rupture démocratique

Le cinquième chapitre, avertissement d'incendie, insiste sur le danger que court la démocratie. Pierre Mouterde parle de "démocratie de basse intensité" marquée au fer par un "nihilisme démocratique" très tendance. Le pouvoir est bel et bien distribué au détriment des classes populaires en faveur des classes dominantes et plus particulièrement celles des secteurs financiarisés. Hors, selon les développements de Jacques Rancière, l'impératif démocratique paradoxal "le pouvoir de l'égal sur l'égal" implique l'évidence axiomatique de prendre en compte ceux qui ne sont pas comptés. L'impératif démocratique se doit d'ouvrir les portes aux couches populaires afin qu'elles gagnent de nouveaux espaces d'expression.

Jacques Rancière écrira que la démocratie libérale des pays du Nord s'est engagée dans un processus de dévaluation des formes de gouvernement représentatif au profit de formes d'incarnations monarchiques de la communauté et de conceptions charismatiques où le pouvoir est exercé par des princes éclairés entourés de conseillers savants. C'est l'ère des instances non élues : juges experts et commissaires de toutes sortes, nationaux et internationaux qui imposent leurs avis fondés sur leurs expériences par dessus la discussion des assemblées représentatives. De fait, la démocratie se trouve identifiée à un état du développement de la richesse et le libre choix du citoyen démocratique au libre choix du consommateur au supermarché. Apparaissent très clairement sous le label "démocratie" une oligarchie au sens propre et le renforcement des pouvoirs des élites dominantes sur l'ensemble de la société contemporaine...
Face à ces indéniables transferts de pouvoir ou mieux dit ces transformations de l'hégémonie et ces renforcements de la domination, Mouterde, en appui sur un certain nombre de distinctions gramsciennes, posera la question des formes du pouvoir politique de la domination dans une brêve enquête historique.

Pour Gramsci le pouvoir de la classe dominante bourgeoise est "force et consentement", "autorité et hégémonie", "violence et civilisation". Il n'est pas seulement le pur prolongement technique ou répressif d'une société donnée, il la charpente et l'organise à travers un réseau d'institutions complexes. Et plus encore, il perd son caractère simpliste et monolithique pour apparaître sous un double aspect, en faisant en sorte que la suprématie d'un groupe social se manifeste de deux façons, comme "domination", mais aussi comme "direction intellectuelle et morale"...A l'Est un Etat imposant une "domination coercitive" plus qu'une hégémonie et affrontant ses opposants sur le mode répressif de la "guerre de mouvement"...A l'Ouest l'on découvre "une société civile", c'est-à-dire non pas un seul appareil d'Etat répressif, mais le réseau complexe des fonctions éducatives et idéologiques existantes qui fait que la société est non seulement "commandée" par la force mais aussi "dirigée" par le biais d'un consentement de type idéologique...dans ce cas ci ce n'est plus la "coercition" l'élément premier mais "l'hégémonie" qui induisant le consentement de larges secteurs de la population, entraine non plus une "guerre de mouvement" entre classes sociales antagoniques mais une "guerre de position" au sein de laquelle, chacun depuis ses citadelles et casemates, ses tranchées respectivement acquises, cherche à miner l'adversaire, culturellement et politiquement...

Dans la perspective de Gramsci, dira Mouterde, il est possible de modifier la structure de la société bourgeoise et de le faire en constituant peu à peu une nouvelle hégémonie idéologique....

Initier un pouvoir d'hégémonie ascendant, écrira encore Mouterde, c'est d'abord se donner les moyens de s'affirmer partout où cela est possible, de reconquérir un pouvoir, aussi fragile soit-il au départ, de mettre en place des embryons de contre-pouvoir (organisations populaires, économiques, sociales, politiques, culturelles, autonomes) seule manière de faire pièce au pouvoir dominant en place. ce processus permettra de donner le moyen d'inverser le mouvement régressif des forces de gauche dont l'atomisation est l'expression.

En d'autres termes, c'est cela amorcer la construction d'une collectivité alternative, un "Nous" en marche... C'est par ce moyen là que l'on pourra opérer des moments de ruptures (démocratiques), sans cesse renouvelés, vis à vis du pouvoir institué des élites dominantes, des moments qui nécessairement passeront un jour par la question de la rupture avec le pouvoir d'Etat lui-même.

[ 6 ] Le Québec des temps présents, de nouveaux espaces sociopolitiques à occuper

"Le Québec est en train de passer à la moulinette néolibérale, dira Pierre Mouterde, à sa manière avec ses propres rythmes et particulatités ! Mais sans pour autant échapper aux formidables logiques de destructuration/restructuration que ce nouveau mode de régulation emporte avec lui". Une destructuration qui prendra naissance dans les années 1980 avec la naissance dans les pays du Nord du néolibéralisme avec l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis, de Margaret Thatcher à la tête du gouvernement britannique en 1979. Mouterde notera des signes prémonitoires au Québec durant l'hiver 1983 quand le gouvernement PQiste de René Levesque, sous la houlette de Lucien Bouchard, brisera un vaste mouvement de grêve dans l'éducation en forçant le retour au Travail par le biais de lois spéciales ainsi qu'en imposant des coupures de salaires de 20%...Puis au Canada, en 1985, sous la gouverne du conservateur Brian Mulroney. Un Brian Mulroney qui gagnera les élections de 1989 sur la base, précisément, de l'acceptation du libre-échange américano-canadien non sans être soutenu par les leaders nationalistes québécois Bernard Landry et Jacques Parizeau. Ce processus d'intégration politique et institutionnel des nouvelles règles du marché opèrera au Quebec grâce à la soumission aux principes néolibéraux et aux contorsions, dira Jacques Gelinas dans "Le virage à droite des élites politiques québécoises" (Ecosociété, 2003) d'un certain nombre d'hommes politiques du Parti Québécois que favoriseront notamment les défaites syndicales de l'éducation des années 1980. Pour Bernard Landry (lire son ouvrage "Le sens du commerce sans frontière, le sens du libre échange", 1987) et Jacques Parizeau (élu à la tête du Parti Québécois en 1988), notera Mouterde, la mise en place au Québec du système de libre-échange permettra non seulement d'établir une alliance économique avec les Etats-Unis (se ralliant par le fait au Traité de l'Atlantique Nord, NORAD) mais également d'assurer d'une part une indépendance économique d'avec l'Ouest anglophone et d'autre part un solide moyen pour échapper aux vélléités anti-nationalistes des fédéralistes d'Ottawa.

Dans le sillage de la défaite référendaire de 1995 et sous la houlette de Lucien Bouchard le gouvernement québécois néolibéral s'attaquera, afin de réduire le déficit de l'Etat provincial et plutôt de que de réformer le système fiscal, aux budgets clefs des secteurs de l'Education (-20%) et de la santé (1995/1998). La politique mensongère du "déficit zéro" du gouvernement provincial matinée d'un vigoureux discours nationaliste populiste gagnera à sa cause les élites financières et politiques mais aussi la majorité des mouvements syndicaux et communautaires.

Graduellement les effets du néolibéralisme, écrit Mouterde, se feront sentir dans un premier temps au sein de la dynamique syndicale désormais sappée en sa base, altérant l'image d'un Etat providence, progressiste, support du développement d'une certaine souveraineté nationale et dans un second temps dans les classes populaires désormais vouées à la paupérisation et à de nouvelles formes de pauvreté.

En effet, en 2000, une personne sur cinq au Québec vit sous le seuil de pauvreté et une sur trois à Montréal. Selon Statistiques Canada, la pauvreté infantile augmentera entre 1989 et 1996, elle passera de 11,89% à 17%, se stabilisant à 14% en 1999. Les familles canadiennes verront leur avoir net indexé chuter de 28% de 1970 à 1999 ce qui leur laissera en moyenne un endettement de plus de 10 600$. Durant la même période les plus riches verront leur avoir net plus que doubler pour atteindre en moyenne 980 000$...

Mouterde citera encore au chapitre des"plaies néolibérales" (d'après Jacques Gélinas) Louise Vandelac (Le Devoir, 18 mars 2003) qui notera que les familles québécoises doubleront leur temps de travail salarié entre 1970 et 1990 pour maintenir un niveau de vie équivalent et devront plier leur vie aux exigences accrues de la productivité et de flexibilité d'emplois souvent précaires et atypiques...

Plaies auxquelles s'ajouteront la pollution des campagnes par l'agriculture productiviste (documentaire "Bacon" d'Hugo Latulipe), saccage de la forêt boréale par les grandes compagnies forestières ("L'erreur Boréale" de Richard Desjardins), marchandisation de l'eau, attrition de l'Etat, flexibilisation du travail, marchandisation de l'art, de la recherche scientifique, de l'éducation, de la culture...
Mouterde parlera de "crise objective socioéconomique" d'un côté, sans véritables projets sociopolitiques collectifs, de l'autre, sans véritable compréhension des données d'ordre subjectif. Pallier à ce manque, s'attaquer au fond nihiliste, au traumatisme collectif, à la crise de filiation qui minent dangereusement l'actuelle génération du Québec dira le sociologue et théologien Jacques Grand Maison, est l'ambition sociopolitique de ce sixième chapitre.

[ 7 ] Pour une politique éthique de l'affirmation de soi

Ce dernier chapitre sur l'éthique fait spécifiquement écho au chapitre 5 "Reconstruire le "Nous", la rupture démocratique"... Mouterde tient à insister sur le fait que revaloriser le politique ne signifie pas mettre de côté l'éthique. Au contraire, cela voudra dire établir de nouveaux rapports entre l'un et l'autre, penser mieux leur inter relation et surtout concevoir l'action humaine sur d'autres bases que celles auxquelles nous a accoutumé une bonne partie de la tradition occidentale.

Ce chapitre nous conduit à nous poser de nouveau la question basique des caractéritiques de l'action humaine, du "que faire?", du "comment agir ?". Cette question commence toujours par une première énigme. Quel en est l'agent décisif, le possible sujet ? A qui s'adresse-t-elle d'abord ? A l'individu, au "je" ou au contraire à une collectivité donnée, au "nous" ?

Une énigme difficile à résoudre d'autant que chacun sait intuitivement que l'un reste étroitement lié à l'autre. Toute action pensée à partir du "je" ne peut pas faire abstraction du contexte social dans lequel inéluctablement elle se déploie. Et toute action collective passe par une adhésion qui prend nécessairement des formes individuelles.

"Que dois-je faire ?" s'interroge Kant au siècle des lumières, mettant bien en évidence que dans l'ordre de l'agir c'est le "je" qui reste premier. "Les hommes font leur histoire eux-même, répondra Marx dans son 18 brumaire de Napoléon Bonaparte,...mais...dans des conditions données...directement héritées du passé". Marx, dit Mouterde, fera de la collectivité des hommes et du poids de l'histoire le point de départ obligé de toute réflexion sur l'action. Pour Marx l'homme n'est pas une entité première mais une production sociale marquée du sceau de l'histoire, de la politique et de la culture. La nuance est de taille, dira Mouterde, elle indique une première ligne de partage.

Loin de voir dans cette contradiction (entre l'individuel et le social) une forme historique donnée du devenir humain - une caractéristique non naturelle - une grande partie de la tradition philosophique occidentale y a décelé une indépassable limite. Passant sous silence le fait que "l'insociable sociabilité" de l'homme ("...inclination à entrer en société doublée d'une répulsion générale à le faire et menaçant de désagréger la société"), si tragiquement stigmatisée par Kant (dans son Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmologique, Pléiade Vol.II) avait aussi à voir quelque chose avec l'histoire, avec la modernité dont elle a accouché, avec les sociétés bourgeoises de grande production de marchandises, en somme avec ce que Mouterde appelle dans cet essai, de manière générique, les logiques du "capitalisme historique".

Pour avoir ignoré cette seconde voie et surtout négligé l'analyse concrète à laquelle celle-ci nous convie, s'est imposée en Occident, puis est devenue largement dominante, spécialement à notre époque, une conception individualiste et morale, voire très souvent moraliste, de l'action humaine, lourde de conséquences.

"L'approche morale, écrira en effet Mouterde et se sera la conclusion cette présentation, déploie ses prescriptions sur la base de règle définie a-priori et qui parce que renvoyant "au devoir être", vont m'apparaître sur le mode d'absolus atemporels et généraux auxquels je dois et je peux me rendre :" tu ne tueras point, tu respecteras les droits des personnes, tu ne rompras pas une promesse, tu ne trahiras pas tel ami,..." Dans tous les cas je me trouve face à des impératifs formidablement abstraits, parce que détachés de l'absolue richesse de la réalité concrète que je côtoie et dont je suis fait. Et surtout me voila soumis et obéissant -puisque je n'ai pas les moyens d'en discuter la validité- à une sorte d'instance de jugement située hors du monde qui dépasse mon individualité et interpelle ma conscience sur la base de la seule possibilité d'adhérer ou non à ses éxigences"...

Remarque du présentateur, débat sur l'action politique par Christian Pose :

Il est clair que l'approche éthique de l'action politique et de l'affirmation de soi de Pierre, sur la base du dernier chapitre, véritable traité critique de la morale, pourra conduire à la germinantion d'un authentique pouvoir individuant et constituant indispensable à l'esprit critique et à la refonte de la pensée théorique de l'action politique de gauche et de l'action proprement dite. Je n'en doute pas un seul instant.

Je n'ai cependant pas eu le sentiment, après lecture, que la question de "l'action politique non-violente" et a contrario de "l'usage politique de la violence" soit justement traitée.

Je poserai donc à Pierre plusieurs questions en ce sens (Q.4, Q. 5 et Q. 6) dans la rubrique Hors-les-lignes en m'appuyant sur les causes probables des échecs révolutionnaires depuis la fin de la seconde guerre mondiale et sur un récent projet du nouvel historien Ilan Pappé de création d'une "ANC palestinienne" (non combattante ou non armée selon les souhaits d'Ilan Pappé) pour lutter contre la politique d'apartheid d'Israel à l'égard des populations palestiniennes. Je soutiens ce programme international non violent basé sur le boycott des échanges universitaires avec le milieu académique israélien. Et en cela je m'oppose à la critique allusive et à peine formulée qu'en fera Pierre dans la dernière question de l'interview, Q.6.

Autre point de divergence lié à son dernier chapitre et dont nous retrouverons quelques éléments des principes théoriques dans ses réponses aux questions 5 et 6, sa position spécifique sur les moyens stratégiques du renforcement et du développement d'un pouvoir constituant démocratique.
En effet, et de façon fort abrupte, Pierre proposera une réduction de la question de la stratégie du renforcement et du développement du pouvoir constituant à deux inconnues : "le choix de la violence" (il établira cependant que c'est insuffisant) et/ou "le type de violence" (qu'il considèrera éventuellement plus juste)...

Il est clair pour ma part et les évènements du 29 mai dernier en France et du 1er juin en Hollande (passés étrangement sous silence) affirmant le NON référendaire au projet de constitution néolibérale européenne me donneront raison, que nous n'avons pas eu à faire ce choix et que dans l'hypothèse d'un échec au NON nous n'aurions pas davantage à le faire.

Dans les débats européens portant sur la création d'une assemblée constituante populaire, il n'est pas davantage question de retomber dans le cycle violent (ou armé s'entend). Je veux croire, en tout cas, en une autre dynamique populaire, en explorant notamment, Pierre la soutiendra du reste, tous les aspects de la démocratie.

Je ne peux pas non plus cautionner "l'usage de la violence d'autodéfense" en me "projetant" dans l'enfer irakien ou afghan, ou africain, ou encore latinoaméricain ou caraïbe ou en doutant de mon mode de vie contestataire, social révolutionnaire et politique parce que je vivrais dans "un paradis, diront certains camarades irakiens plongés dans l'extrême douleur -que je soutiens pourtant de toutes les façons possibles, mais sans violence- en parlant de l'Europe, du droit au travail, de la sécurité sur les lieux de travail, de la liberté syndicale, de la paix civile, de la justice sociale, sanitaire et de l'abondance alimentaire".

Il est clair me retorquera-t-on, encore, que dans un ouvrage théorique, ici l'essai - avec ce qu'il comporte d'hypothèses, de questions et non d'affirmations, tous les possibles sont à appréhender dans le contexte de la réflexion ou de l'analyse et non dans un champ pratique. Ce serait dévier, dans ce cas, le sens donné à cet ouvrage et aux réponses aux questions attenantes puisqu'il s'agit bien, Pierre insistera clairement, de régénération de la pensée de l'action politique de gauche, d'homme nouveau, de praxis sociopolitique et de conquête du pouvoir d'Etat.

Je souhaite conclure sur un point précis avant de laisser la parole aux lecteurs critiques et aux militants chercheurs. Je ne me conçois pas dans un contexte sociopolitique où "j'aurais à faire" un choix es-qualité entre deux inconnues "plus que la violence en soi" "quel type de violence serait-on amené à faire usage" ?... Cette remarque s'inscrit dans le prolongement de cette autre faite sur linked222 à propos de l'armement "d'auto-défense des communistes ouvriers irakiens" (PCOI), je ne crois toujours pas que le moyen soit dans l'armement y compris dans le cadre de groupes d'auto-défense.

Je ne souhaite donc pas avoir pour choix "à me battre", en tout cas militairement ou avec des armes, que la situation l'exige d'un point de vue théorique, philosophique, historique ou d'un point de vue purement politique et pratique. A cette obligation de lutte j'opposerai "l'esquive", Toni Négri parlera de "fuite", Pierre s'y opposera, François Houtart parlera de "résistance", résistance qui me fait penser au "Résistance, résistance, résistance" du juge italien Fransesco Saverio Borelli (co-instigateur de l'opération anti-corruption "Mains propres") après le meurtre du militant Carlo Giuliani (tué d'une balle dans la tête par un carabinier) lors du sommet G8 de Gênes les 20 et 21 juillet 2001 "où la répression, dira Fransesco Giorgini correspondant de Radio Populare, ne relevait pas d'une dérive fascisante mais d'une nouveauté dans sa systématisation et son caractère sciemment idéologique!...L'italie se trouvait, au moins symboliquement, au bord de la guerre civile! " L'écrivain sicilien Vincenzo Consolo écrira, citant Hugo : " Police partout, justice nulle part." Borelli dira "Résister", ne pas céder aux sirènes de la provocation. Souvenons-nous de la réhabilitation de la Salvadore Option en Irak contre les islamistes et les marxistes communistes révolutionnaires, les groupes d'auto-défense ouvriers (ouvriers et familles d'ouvriers) par les services secrets civils et militaires irakiens et américains de John Negroponte. George W.Bush peu après le drame de Gênes soulignera l'exceptionnelle maîtrise policière et militaire de Silvio Berlusconi : "14 000 policiers et carabiniers, 200 blessés, 300 gardes à vue, des scènes, dira Giorgini, dignes d'un blitz chilien -rafles à l'école Diaz, sévices multiples à la caserne Bolzaneto, du jamais vu en Europe occidentale depuis trente ans"...
Ma remarque sur "l'action politique non-violente" vaudra, bien entendu, pour le pouvoir institué et constitué qui commanderait de nouveau sur le territoire national ou à l'étranger le sacrifice inutile de nouvelles générations... A ce type de commandement j'opposerai la désobéissance civile, l'objection de conscience et la désertion.

Quoiqu'il en soit et au delà de cette divergence, je soutiens au nom de la liberté du débat politique et de l'action politique non violente, la lecture et l'étude des propositions sur l'éthique, le politique, l'histoire, la pensée de l'action politique de gauche de cet ouvrage qui agiront comme autant d'antidotes à "la pensée unique néolibérale totalitaire" et à "ses armées politiques en action". Je renouvelle, ici, mon amitié sincère et mon entière solidarité dans la lutte à Pierre Mouterde.


Christian Pose, Paris le 26/1O/05

pierre Mouterde Pierre Mouterde
Sociologue et professeur de philosophie, Pierre Mouterde est spécialisé dans l'étude des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs a` la démocratie et aux droits humains. Il a publié Quand l'utopie ne désarme pas, Les pratiques alternatives de la gauche latino-américaine et ADQ : voie sans issue (avec J.-Claude Saint-Onge), tous deux aux Editions Ecosociété.
Mouterde Livre
REPENSER L'ACTION POLITIQUE DE GAUCHE
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Essais sur l'éthique , la politique et l'histoire
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Pierre Mouterde
Préface de François Houtart

Ed. écosociété


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