"REPENSER L'ACTION POLITIQUE DE GAUCHE"
Un essai écrit par Pierre Mouterde,
publié et diffusé au Québec par la société
d'édition Ecosociété, en librairie le 9 novembre
2005.
Introduction/présentation à la lecture
par Christian Pose, Paris, le 1.10.05
introduction/présentation :
Le livre de Pierre Mouterde "Repenser l'action politique de gauche"
est sans doute un essai important. Important parce qu'il soulève
la question du choix fondamental des moyens, des possibles, des stratégies
: éthiques, politiques, historiques qui nous conduiront (étudiant,
chercheur, militant, lecteur, critique, citoyen) à nous positionner
clairement, individuellement et collectivement, sur la question de la
conquête et de l'exercice du pouvoir d'Etat à l'heure des
grands mouvements sociaux mondiaux alternatifs, de l'altermondialisme,
sur "l'homme du renouveau" celui qui transformera et sur cette
autre grande question que soulignera François Houtart dans la préface,
la construction d'un mouvement historique d'émancipation.
[ 1 ] Sous le signe de la bifurcation et du chaos, le grand basculement
du monde
Le premier chapitre de cet ouvrage s'attachera à définir les
conditions sociohistoriques du temps présent, du chaos contemporain,
"le grand basculement du monde" que l'on devra tant au capitalisme
historique et à l'atteinte de ses limites qu'à l'effondrement
des modèles socialistes, limites qui nous conduiront à oublier
le politique, à nous en détacher voire à nous en méfier.
[ 2 ] -Sagesses recluses et religions intégristes, la politique
a horreur du vide...
Le second chapitre traitera, de fait, du replis de l'individu sur lui-même
dans un contexte soit de consommation et d'indifférence hédonniste
soit sur des modèles de sagesse conduisant à l'intégrisme
de l'islam, de l'hindouisme, du bouddhisme, proposant une recherche du sens
hors le temps et redonnant sens aux modèles archétypaux primitifs
basés sur des hiérarchies et des castes inflexibles, le secret,
la bonne naissance, la loi du sang et des ancêtres.
Pour contrer le phénomène Pierre Mouterde proposera une approche
sociohistorique de l'expérience et de la mémoire afin de rétablir
une filiation avec les générations du passé, de "se
relier à d'autres" sur un même projet d'émancipation
collectif, de combiner la lutte pour l'amélioration des conditions
d'existence et de recherche de sens, pour établir une puissance d'affirmation,
un pouvoir unificateur, un pouvoir constituant dans le but d'élaborer
une Communauté démocratique alternative.
[ 3 ] Histoire et filiation, en quête d'étincelles
d'espérance
Le troisième chapitre s'attachera "à redéfinir
la notion d'histoire à travers la catégorie du présent,
la délestant de la "réligion du progrès"
qui aura causé la perte de la gauche et la perte du goût
pour l'action collective. Pierre Mouterde appuiera son développement
sur la critique du modèle hégélien de l'histoire
sacralisant pour le seul bonheur des puissants toutes les formes du réel
historique, toutes ses manifestations et épuisant le monde avec
les grands orgues de la civilisation : l'art officiel, la religion, la
guerre -passage obligé- et finalement la barbarie. "Tout ce
qui est rationel est réel, dira Hégel, tout ce qui est réel
est rationel" et de considérer l'histoire comme un tribunal
suprême, une instance toute puissante apte au nom du sens préalable
qu'elle appelle, à juger de tout et à tout justifier...
Pour Mouterde la fin hégélienne s'oppose au présent
et conduit l'opinion à admettre de façon insidieuse "d'indispensables
moments de négativités" : les guerres et les grandes
tueries.
La seconde partie de ce chapitre insistera sur l'enjeu de la vision de la
l'histoire de Walter Benjamin pour qui l'histoire n'est ni objective, ni
linéaire, ni grandiose, ni "comme cela s'est passé".
"Au contraire, dira Benjamin, faire oeuvre d'historien consiste à
s'emparer d'un souvenir tel qu'il surgit au moment du danger."
Mouterde y verra un moyen pour établir sa filiation aux générations
passées, en particulier "aux vaincus d'hiers" qui attendent
de nous aujourd'hui une "rédemption". Ici la philosophie
très messianique "sans religion" ou "sans Messi"
de Benjamin (Mouterde insiste sur l'intérêt de la laïcisation
et de la dynamique du messianisme benjaminien) prendra tout son sens, "le
peuple est le Messi", le support de la rédemption et de la transfiguration
des morts, des vaincus... Benjamin dit NON à l'histoire hégélienne
des vainqueurs. A nous comme à chaque génération précédente
il sera accordé une faible force méssianique sur laquelle
le passé fait valoir une prétention... Ici, l'idée
de rédemption se métamorphose en force pratique qu'il est
donné à chacun d'entre nous d'utiliser pour faire justice
aux vaincus d'hier...en accouchant de leurs rêves. L'histoire selon
Mouterde/Benjamin, est l'objet d'une construction dont le lieu n'est pas
le temps homogène mais le temps saturé d'à-présent,
rempli de correspondances, de rapports inattendus avec le passé.
Cette manière d'aller à contre-courant du déroulement
homogène et continue de l'histoire officielle permet au couple Mouterde/Benjamin
de faire apercevoir d'autres structures sous-jaçentes, infiniement
plus riches et fécondes que ne le soupçonne l'historien officiel.
[ 4 ] La politique, c'est la démocratie
Le quatrième chapitre nous rappelle avec force pertinence "la
portée de l'acte politique... "qu'avant la politique" n'existait
que le pouvoir monolythique de l'ancêtre - indiscutable - et celui
de la richesse matérielle inégalitaire et discriminante.
Mouterde nous fera descendre dans les méandres de l'histoire grecque
antique à travers les analyses de Jacques Rancière pour saisir
les racines et l'enjeu de la démocratie : "le pouvoir du peuple
par le peuple pour le peuple!"
Désormais "les gens qui ne sont rien, ceux qui n'on rien, ceux
dont la naissance est obscure, gouvernent les autres, ceux qui ont des titres
à faire valoir, qui sont bien nés!"... La démocratie
advient toujours dans l'histoire comme une déviation, un hasard,
une violence par rapport au jeu "normal" de la domination. Elle
apparaît comme une interruption dans un processus historique voulut
immuable par les ancêtres et les détenteurs de richesse. La
démocratie n'est donc pas un régime comme les autres. La démocratie
n'existe que par l'intervention de "sujets polémiques qui divisent
la communauté en remettant en scène le litige constitutif
de la politique... Ce que la démocratie met en oeuvre c'est quelque
chose de fondamental, c'est l'institution de la politique comme telle. Qu'y
a t-il avant la politique : le pouvoir de la naissance, le pouvoir naturel
ou supposé tel de ceux qui sont nés avant ou nés mieux...sur
ceux qui sont nés après ou moins bien !"
La politique commence quand on interrompt cette logique naturelle, quand
sont suspendus ces titres à dominer. La politique repose sur un axiome
unique, dira Rancière : "nul n'a de titre à gouverner!".
Le pouvoir ne revient pas à la naissance ou à la sagesse,
à la richesse ou à l'ancienneté. Il ne revient à
personne, l'autorité politique n'a pas en dernière instance
d'autre fondement que la pure contingence, la politique est cette chose
incomparable, paradoxale "le gouvernement de l'égal sur l'égal"...
[ 5 ] Reconstruire le "Nous", la rupture démocratique
Le cinquième chapitre, avertissement d'incendie, insiste sur le danger
que court la démocratie. Pierre Mouterde parle de "démocratie
de basse intensité" marquée au fer par un "nihilisme
démocratique" très tendance. Le pouvoir est bel et bien
distribué au détriment des classes populaires en faveur des
classes dominantes et plus particulièrement celles des secteurs financiarisés.
Hors, selon les développements de Jacques Rancière, l'impératif
démocratique paradoxal "le pouvoir de l'égal sur l'égal"
implique l'évidence axiomatique de prendre en compte ceux qui ne
sont pas comptés. L'impératif démocratique se doit
d'ouvrir les portes aux couches populaires afin qu'elles gagnent de nouveaux
espaces d'expression.
Jacques Rancière écrira que la démocratie libérale
des pays du Nord s'est engagée dans un processus de dévaluation
des formes de gouvernement représentatif au profit de formes d'incarnations
monarchiques de la communauté et de conceptions charismatiques où
le pouvoir est exercé par des princes éclairés entourés
de conseillers savants. C'est l'ère des instances non élues :
juges experts et commissaires de toutes sortes, nationaux et internationaux
qui imposent leurs avis fondés sur leurs expériences par dessus
la discussion des assemblées représentatives. De fait, la démocratie
se trouve identifiée à un état du développement
de la richesse et le libre choix du citoyen démocratique au libre choix
du consommateur au supermarché. Apparaissent très clairement sous
le label "démocratie" une oligarchie au sens propre et le renforcement
des pouvoirs des élites dominantes sur l'ensemble de la société
contemporaine...
Face à ces indéniables transferts de pouvoir ou mieux dit
ces transformations de l'hégémonie et ces renforcements de
la domination, Mouterde, en appui sur un certain nombre de distinctions
gramsciennes, posera la question des formes du pouvoir politique de la domination
dans une brêve enquête historique.
Pour Gramsci le pouvoir de la classe dominante bourgeoise est "force
et consentement", "autorité et hégémonie",
"violence et civilisation". Il n'est pas seulement le pur prolongement
technique ou répressif d'une société donnée,
il la charpente et l'organise à travers un réseau d'institutions
complexes. Et plus encore, il perd son caractère simpliste et monolithique
pour apparaître sous un double aspect, en faisant en sorte que la
suprématie d'un groupe social se manifeste de deux façons,
comme "domination", mais aussi comme "direction intellectuelle
et morale"...A l'Est un Etat imposant une "domination coercitive"
plus qu'une hégémonie et affrontant ses opposants sur le
mode répressif de la "guerre de mouvement"...A l'Ouest
l'on découvre "une société civile", c'est-à-dire
non pas un seul appareil d'Etat répressif, mais le réseau
complexe des fonctions éducatives et idéologiques existantes
qui fait que la société est non seulement "commandée"
par la force mais aussi "dirigée" par le biais d'un consentement
de type idéologique...dans ce cas ci ce n'est plus la "coercition"
l'élément premier mais "l'hégémonie"
qui induisant le consentement de larges secteurs de la population, entraine
non plus une "guerre de mouvement" entre classes sociales antagoniques
mais une "guerre de position" au sein de laquelle, chacun depuis
ses citadelles et casemates, ses tranchées respectivement acquises,
cherche à miner l'adversaire, culturellement et politiquement...
Dans la perspective de Gramsci, dira Mouterde, il est possible de modifier
la structure de la société bourgeoise et de le faire en constituant
peu à peu une nouvelle hégémonie idéologique....
Initier un pouvoir d'hégémonie ascendant, écrira encore
Mouterde, c'est d'abord se donner les moyens de s'affirmer partout où
cela est possible, de reconquérir un pouvoir, aussi fragile soit-il
au départ, de mettre en place des embryons de contre-pouvoir (organisations
populaires, économiques, sociales, politiques, culturelles, autonomes)
seule manière de faire pièce au pouvoir dominant en place.
ce processus permettra de donner le moyen d'inverser le mouvement régressif
des forces de gauche dont l'atomisation est l'expression.
En d'autres termes, c'est cela amorcer la construction d'une collectivité
alternative, un "Nous" en marche... C'est par ce moyen là
que l'on pourra opérer des moments de ruptures (démocratiques),
sans cesse renouvelés, vis à vis du pouvoir institué
des élites dominantes, des moments qui nécessairement passeront
un jour par la question de la rupture avec le pouvoir d'Etat lui-même.
[ 6 ] Le Québec des temps présents, de nouveaux espaces
sociopolitiques à occuper
"Le Québec est en train de passer à la moulinette néolibérale,
dira Pierre Mouterde, à sa manière avec ses propres rythmes
et particulatités ! Mais sans pour autant échapper aux formidables
logiques de destructuration/restructuration que ce nouveau mode de régulation
emporte avec lui". Une destructuration qui prendra naissance dans les
années 1980 avec la naissance dans les pays du Nord du néolibéralisme
avec l'arrivée de Ronald Reagan à la présidence des
Etats-Unis, de Margaret Thatcher à la tête du gouvernement
britannique en 1979. Mouterde notera des signes prémonitoires au
Québec durant l'hiver 1983 quand le gouvernement PQiste de René
Levesque, sous la houlette de Lucien Bouchard, brisera un vaste mouvement
de grêve dans l'éducation en forçant le retour au Travail
par le biais de lois spéciales ainsi qu'en imposant des coupures
de salaires de 20%...Puis au Canada, en 1985, sous la gouverne du conservateur
Brian Mulroney. Un Brian Mulroney qui gagnera les élections de 1989
sur la base, précisément, de l'acceptation du libre-échange
américano-canadien non sans être soutenu par les leaders nationalistes
québécois Bernard Landry et Jacques Parizeau. Ce processus
d'intégration politique et institutionnel des nouvelles règles
du marché opèrera au Quebec grâce à la soumission
aux principes néolibéraux et aux contorsions, dira Jacques
Gelinas dans "Le virage à droite des élites politiques
québécoises" (Ecosociété, 2003) d'un certain
nombre d'hommes politiques du Parti Québécois que favoriseront
notamment les défaites syndicales de l'éducation des années
1980. Pour Bernard Landry (lire son ouvrage "Le sens du commerce sans
frontière, le sens du libre échange", 1987) et Jacques
Parizeau (élu à la tête du Parti Québécois
en 1988), notera Mouterde, la mise en place au Québec du système
de libre-échange permettra non seulement d'établir une alliance
économique avec les Etats-Unis (se ralliant par le fait au Traité
de l'Atlantique Nord, NORAD) mais également d'assurer d'une part
une indépendance économique d'avec l'Ouest anglophone et d'autre
part un solide moyen pour échapper aux vélléités
anti-nationalistes des fédéralistes d'Ottawa.
Dans le sillage de la défaite référendaire de 1995
et sous la houlette de Lucien Bouchard le gouvernement québécois
néolibéral s'attaquera, afin de réduire le déficit
de l'Etat provincial et plutôt de que de réformer le système
fiscal, aux budgets clefs des secteurs de l'Education (-20%) et de la santé
(1995/1998). La politique mensongère du "déficit zéro"
du gouvernement provincial matinée d'un vigoureux discours nationaliste
populiste gagnera à sa cause les élites financières
et politiques mais aussi la majorité des mouvements syndicaux et
communautaires.
Graduellement les effets du néolibéralisme, écrit Mouterde,
se feront sentir dans un premier temps au sein de la dynamique syndicale
désormais sappée en sa base, altérant l'image d'un
Etat providence, progressiste, support du développement d'une certaine
souveraineté nationale et dans un second temps dans les classes populaires
désormais vouées à la paupérisation et à
de nouvelles formes de pauvreté.
En effet, en 2000, une personne sur cinq au Québec vit sous le seuil
de pauvreté et une sur trois à Montréal. Selon Statistiques
Canada, la pauvreté infantile augmentera entre 1989 et 1996, elle
passera de 11,89% à 17%, se stabilisant à 14% en 1999. Les
familles canadiennes verront leur avoir net indexé chuter de 28%
de 1970 à 1999 ce qui leur laissera en moyenne un endettement de
plus de 10 600$. Durant la même période les plus riches verront
leur avoir net plus que doubler pour atteindre en moyenne 980 000$...
Mouterde citera encore au chapitre des"plaies néolibérales"
(d'après Jacques Gélinas) Louise Vandelac (Le Devoir, 18 mars
2003) qui notera que les familles québécoises doubleront leur
temps de travail salarié entre 1970 et 1990 pour maintenir un niveau
de vie équivalent et devront plier leur vie aux exigences accrues
de la productivité et de flexibilité d'emplois souvent précaires
et atypiques...
Plaies auxquelles s'ajouteront la pollution des campagnes par l'agriculture
productiviste (documentaire "Bacon" d'Hugo Latulipe), saccage
de la forêt boréale par les grandes compagnies forestières
("L'erreur Boréale" de Richard Desjardins), marchandisation
de l'eau, attrition de l'Etat, flexibilisation du travail, marchandisation
de l'art, de la recherche scientifique, de l'éducation, de la culture...
Mouterde parlera de "crise objective socioéconomique" d'un
côté, sans véritables projets sociopolitiques collectifs,
de l'autre, sans véritable compréhension des données
d'ordre subjectif. Pallier à ce manque, s'attaquer au fond nihiliste,
au traumatisme collectif, à la crise de filiation qui minent dangereusement
l'actuelle génération du Québec dira le sociologue
et théologien Jacques Grand Maison, est l'ambition sociopolitique
de ce sixième chapitre.
[ 7 ] Pour une politique éthique de l'affirmation de soi
Ce dernier chapitre sur l'éthique fait spécifiquement écho
au chapitre 5 "Reconstruire le "Nous", la rupture démocratique"...
Mouterde tient à insister sur le fait que revaloriser le politique
ne signifie pas mettre de côté l'éthique. Au contraire,
cela voudra dire établir de nouveaux rapports entre l'un et l'autre,
penser mieux leur inter relation et surtout concevoir l'action humaine sur
d'autres bases que celles auxquelles nous a accoutumé une bonne partie
de la tradition occidentale.
Ce chapitre nous conduit à nous poser de nouveau la question basique
des caractéritiques de l'action humaine, du "que faire?",
du "comment agir ?". Cette question commence toujours par une
première énigme. Quel en est l'agent décisif, le possible
sujet ? A qui s'adresse-t-elle d'abord ? A l'individu, au "je"
ou au contraire à une collectivité donnée, au "nous"
?
Une énigme difficile à résoudre d'autant que chacun
sait intuitivement que l'un reste étroitement lié à
l'autre. Toute action pensée à partir du "je"
ne peut pas faire abstraction du contexte social dans lequel inéluctablement
elle se déploie. Et toute action collective passe par une adhésion
qui prend nécessairement des formes individuelles.
"Que dois-je faire ?" s'interroge Kant au siècle des
lumières, mettant bien en évidence que dans l'ordre de l'agir
c'est le "je" qui reste premier. "Les hommes font leur
histoire eux-même, répondra Marx dans son 18 brumaire de
Napoléon Bonaparte,...mais...dans des conditions données...directement
héritées du passé". Marx, dit Mouterde, fera
de la collectivité des hommes et du poids de l'histoire le point
de départ obligé de toute réflexion sur l'action.
Pour Marx l'homme n'est pas une entité première mais une
production sociale marquée du sceau de l'histoire, de la politique
et de la culture. La nuance est de taille, dira Mouterde, elle indique
une première ligne de partage.
Loin de voir dans cette contradiction (entre l'individuel et le social)
une forme historique donnée du devenir humain - une caractéristique
non naturelle - une grande partie de la tradition philosophique occidentale
y a décelé une indépassable limite. Passant sous
silence le fait que "l'insociable sociabilité" de l'homme
("...inclination à entrer en société doublée
d'une répulsion générale à le faire et menaçant
de désagréger la société"), si tragiquement
stigmatisée par Kant (dans son Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmologique, Pléiade Vol.II) avait aussi à
voir quelque chose avec l'histoire, avec la modernité dont elle
a accouché, avec les sociétés bourgeoises de grande
production de marchandises, en somme avec ce que Mouterde appelle dans
cet essai, de manière générique, les logiques du
"capitalisme historique".
Pour avoir ignoré cette seconde voie et surtout négligé
l'analyse concrète à laquelle celle-ci nous convie, s'est
imposée en Occident, puis est devenue largement dominante, spécialement
à notre époque, une conception individualiste et morale, voire
très souvent moraliste, de l'action humaine, lourde de conséquences.
"L'approche morale, écrira en effet Mouterde et se sera la
conclusion cette présentation, déploie ses prescriptions
sur la base de règle définie a-priori et qui parce que renvoyant
"au devoir être", vont m'apparaître sur le mode
d'absolus atemporels et généraux auxquels je dois et je
peux me rendre :" tu ne tueras point, tu respecteras les droits des
personnes, tu ne rompras pas une promesse, tu ne trahiras pas tel ami,..."
Dans tous les cas je me trouve face à des impératifs formidablement
abstraits, parce que détachés de l'absolue richesse de la
réalité concrète que je côtoie et dont je suis
fait. Et surtout me voila soumis et obéissant -puisque je n'ai
pas les moyens d'en discuter la validité- à une sorte d'instance
de jugement située hors du monde qui dépasse mon individualité
et interpelle ma conscience sur la base de la seule possibilité
d'adhérer ou non à ses éxigences"...
Remarque du présentateur, débat
sur l'action politique par Christian Pose :
Il est clair que l'approche éthique de l'action politique et de
l'affirmation de soi de Pierre, sur la base du dernier chapitre, véritable
traité critique de la morale, pourra conduire à la germinantion
d'un authentique pouvoir individuant et constituant indispensable à
l'esprit critique et à la refonte de la pensée théorique
de l'action politique de gauche et de l'action proprement dite. Je n'en
doute pas un seul instant.
Je n'ai cependant pas eu le sentiment, après lecture, que la question
de "l'action politique non-violente" et a contrario de "l'usage
politique de la violence" soit justement traitée.
Je poserai donc à Pierre plusieurs questions en ce sens (Q.4, Q.
5 et Q. 6) dans la rubrique Hors-les-lignes en m'appuyant sur les causes
probables des échecs révolutionnaires depuis la fin de la
seconde guerre mondiale et sur un récent projet du nouvel historien
Ilan Pappé de création d'une "ANC palestinienne"
(non combattante ou non armée selon les souhaits d'Ilan Pappé)
pour lutter contre la politique d'apartheid d'Israel à l'égard
des populations palestiniennes. Je soutiens ce programme international
non violent basé sur le boycott des échanges universitaires
avec le milieu académique israélien. Et en cela je m'oppose
à la critique allusive et à peine formulée qu'en
fera Pierre dans la dernière question de l'interview, Q.6.
Autre point de divergence lié à son dernier chapitre et
dont nous retrouverons quelques éléments des principes théoriques
dans ses réponses aux questions 5 et 6, sa position spécifique
sur les moyens stratégiques du renforcement et du développement
d'un pouvoir constituant démocratique.
En effet, et de façon fort abrupte, Pierre proposera une réduction
de la question de la stratégie du renforcement et du développement
du pouvoir constituant à deux inconnues : "le choix de la
violence" (il établira cependant que c'est insuffisant) et/ou
"le type de violence" (qu'il considèrera éventuellement
plus juste)...
Il est clair pour ma part et les évènements du 29 mai dernier
en France et du 1er juin en Hollande (passés étrangement
sous silence) affirmant le NON référendaire au projet de
constitution néolibérale européenne me donneront
raison, que nous n'avons pas eu à faire ce choix et que dans l'hypothèse
d'un échec au NON nous n'aurions pas davantage à le faire.
Dans les débats européens portant sur la création
d'une assemblée constituante populaire, il n'est pas davantage
question de retomber dans le cycle violent (ou armé s'entend).
Je veux croire, en tout cas, en une autre dynamique populaire, en explorant
notamment, Pierre la soutiendra du reste, tous les aspects de la démocratie.
Je ne peux pas non plus cautionner "l'usage de la violence d'autodéfense"
en me "projetant" dans l'enfer irakien ou afghan, ou africain,
ou encore latinoaméricain ou caraïbe ou en doutant de mon
mode de vie contestataire, social révolutionnaire et politique
parce que je vivrais dans "un paradis, diront certains camarades
irakiens plongés dans l'extrême douleur -que je soutiens
pourtant de toutes les façons possibles, mais sans violence- en
parlant de l'Europe, du droit au travail, de la sécurité
sur les lieux de travail, de la liberté syndicale, de la paix civile,
de la justice sociale, sanitaire et de l'abondance alimentaire".
Il est clair me retorquera-t-on, encore, que dans un ouvrage théorique,
ici l'essai - avec ce qu'il comporte d'hypothèses, de questions
et non d'affirmations, tous les possibles sont à appréhender
dans le contexte de la réflexion ou de l'analyse et non dans un
champ pratique. Ce serait dévier, dans ce cas, le sens donné
à cet ouvrage et aux réponses aux questions attenantes puisqu'il
s'agit bien, Pierre insistera clairement, de régénération
de la pensée de l'action politique de gauche, d'homme nouveau,
de praxis sociopolitique et de conquête du pouvoir d'Etat.
Je souhaite conclure sur un point précis avant de laisser la parole
aux lecteurs critiques et aux militants chercheurs. Je ne me conçois
pas dans un contexte sociopolitique où "j'aurais à
faire" un choix es-qualité entre deux inconnues "plus
que la violence en soi" "quel type de violence serait-on amené
à faire usage" ?... Cette remarque s'inscrit dans le prolongement
de cette autre faite sur linked222 à propos de l'armement "d'auto-défense
des communistes ouvriers irakiens" (PCOI), je ne crois toujours pas
que le moyen soit dans l'armement y compris dans le cadre de groupes d'auto-défense.
Je ne souhaite donc pas avoir pour choix "à me battre",
en tout cas militairement ou avec des armes, que la situation l'exige
d'un point de vue théorique, philosophique, historique ou d'un
point de vue purement politique et pratique. A cette obligation de lutte
j'opposerai "l'esquive", Toni Négri parlera de "fuite",
Pierre s'y opposera, François Houtart parlera de "résistance",
résistance qui me fait penser au "Résistance, résistance,
résistance" du juge italien Fransesco Saverio Borelli (co-instigateur
de l'opération anti-corruption "Mains propres") après
le meurtre du militant Carlo Giuliani (tué d'une balle dans la
tête par un carabinier) lors du sommet G8 de Gênes les 20
et 21 juillet 2001 "où la répression, dira Fransesco
Giorgini correspondant de Radio Populare, ne relevait pas d'une dérive
fascisante mais d'une nouveauté dans sa systématisation
et son caractère sciemment idéologique!...L'italie se trouvait,
au moins symboliquement, au bord de la guerre civile! " L'écrivain
sicilien Vincenzo Consolo écrira, citant Hugo : " Police partout,
justice nulle part." Borelli dira "Résister", ne
pas céder aux sirènes de la provocation. Souvenons-nous
de la réhabilitation de la Salvadore Option en Irak contre les
islamistes et les marxistes communistes révolutionnaires, les groupes
d'auto-défense ouvriers (ouvriers et familles d'ouvriers) par les
services secrets civils et militaires irakiens et américains de
John Negroponte. George W.Bush peu après le drame de Gênes
soulignera l'exceptionnelle maîtrise policière et militaire
de Silvio Berlusconi : "14 000 policiers et carabiniers, 200 blessés,
300 gardes à vue, des scènes, dira Giorgini, dignes d'un
blitz chilien -rafles à l'école Diaz, sévices multiples
à la caserne Bolzaneto, du jamais vu en Europe occidentale depuis
trente ans"...
Ma remarque sur "l'action politique non-violente" vaudra, bien
entendu, pour le pouvoir institué et constitué qui commanderait
de nouveau sur le territoire national ou à l'étranger le
sacrifice inutile de nouvelles générations... A ce type
de commandement j'opposerai la désobéissance civile, l'objection
de conscience et la désertion.
Quoiqu'il en soit et au delà de cette divergence, je soutiens au
nom de la liberté du débat politique et de l'action politique
non violente, la lecture et l'étude des propositions sur l'éthique,
le politique, l'histoire, la pensée de l'action politique de gauche
de cet ouvrage qui agiront comme autant d'antidotes à "la
pensée unique néolibérale totalitaire" et à
"ses armées politiques en action". Je renouvelle, ici,
mon amitié sincère et mon entière solidarité
dans la lutte à Pierre Mouterde.
Christian Pose, Paris le 26/1O/05
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Pierre Mouterde
Sociologue et professeur de philosophie, Pierre Mouterde est spécialisé
dans l'étude des mouvements sociaux en Amérique latine
et des enjeux relatifs a` la démocratie et aux droits humains.
Il a publié Quand l'utopie ne désarme pas, Les pratiques
alternatives de la gauche latino-américaine et ADQ : voie sans
issue (avec J.-Claude Saint-Onge), tous deux aux Editions Ecosociété.
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REPENSER
L'ACTION POLITIQUE DE GAUCHE
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Essais sur l'éthique , la politique et l'histoire
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Pierre Mouterde
Préface de François Houtart
Ed. écosociété |
Ni bonze, ni laïc home
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