Lumière du sud, dessin Yoshikawa 1987

Nouvelle de Christian Pose

LES HORS-LA-LOI DE WESTVILLE-CAMPUS





“ … l’ascèse sous la torture.”


J'ai rencontré Mazisi Kunene, poète et militant zoulou de l'African National Congress (A.N.C. dont il sera le responsable financier en 1972) dans les années 90/91. A vrai dire les relations entre le politique et la fonction des liens initiatiques dans la société traditionnelle m'ont toujours intrigué. Mazisi Kunene, en tant que gardien du chant de la tradition orale zoulou, aura été mon premier lien à cette intrigue. Suis-je juste en disant que la société traditionnelle est plus équitable que la société moderne ? La question n'est surement pas posée correctement. Ai-je jamais vécu un rite de passage ? Je n'en suis pas certain, à vrai dire je ne crois pas. Qu'est-ce que la maturité de l'homme traditionnel ? L'initiation traditionnelle est-elle un moyen pour vaincre l'altérité sociale ? Je suis un blanc pauvre et urbain et Mazisi Kunene dira que la sagesse permettra, un jour, aux noirs, de s'allonger sur le lit d'épines tissé par les blancs en Afrique. Mazisi Kunene qui aura donné des leçons de diplomatie militante à Rome, enseigné la littérature comme une langue à Londres, le cinéma comme un souffle symbolique à Berkeley, évoquera tout du long, les années nécessaires à la transmission des textes, l'ascèse par la mémorisation, plus énigmatiquement : “l'ascèse sous la torture”.
“L'épopée guerrière de l’empereur Chaka (dont les érudits comparatistes diront qu'elle est une langue universelle au même titre que la Divine Comédie de Dante, la Jérusalem Délivrée de Tasso ou L'Ilyade et l'Odyssée d’Homère) permettait d'endurer, disait-il dans un meeting de courte durée à Capetown (il vivait encore à Los Angeles), le supplice des oreilles... ”
Je crois que Mazisi Kunene faisait référence aux mutilations opérées par les miliciens para-militaires Koevoet (Crowbar) en Namibie. Ces derniers avaient pour habitude de trancher les oreilles des combattants de la Swapo, faits prisonniers ou tués, et d’en faire des colliers. Cette remarque qui n’était pas innocente, faisait écho, en fait, à une réunion d’anciens combattants Koevoet qui s’était déroulée quelques jours auparavant à Capetown, sous la direction du criminel de guerre Isak van der Merwe, commandant en second de la milice. L’on rapportera qu’Herman Grobler (ancien combattant Koevoet), furieux d’apprendre qu’il était question de dissoudre la milice anti-insurrectionnelle, cela adviendra en 93, tiendra des propos fulminants sur les réseaux communistes et “la façon dont les folles communistes de Soweto supportaient la torture”...
Douze ans plus tôt, depuis la prison de Robben Island, en réponse au massacre de Soweto et à l'assassinat du sociologue blanc Melville Edelstein, Nelson Mandela dira : “nous vivons dans la terreur et la douleur, mais nous assistons à la résurrection de la protestation de masse".
Lors de ces mêmes événements du 16 juin 1976, le quotidien progressiste The World, soutien de la communauté noire insurrectionnelle en Afrique du Sud, reprendra pour tout un peuple le célèbre cri d'une institutrice du quartier d'Orlando dans les south wertern townships de Johannesburg (Soweto). Ce cri qui s'opposait à l'utilisation de la langue Afrikaans (langue des colons) comme seconde langue, fera le tour du monde : “la langue du conquérant dans la bouche du conquis est la langue des esclaves, Amandla! (le pouvoir), Ngawethu! (au peuple)”...

“Ne pas oublier…”, dira Mazisi Kunene à son retour des Etats-Unis en 1993 à une tribune de l’université de Durban. Une année marquée par l’assassinat de Chris Hani, leader communiste noir et chef de l’aile armée de l’A.N.C. L’assassin, Janus 'Koba' Wallus, sera emprisonné. Son complice, Gaye Derby-Lewis, ex-parlementaire du Parti Conservateur, sera acquitté par la Cour Régionale de Prétoria.
“Ne pas oublier…" dira Mazisi Kunene à ses étudiants, "la mémoire est le souffle des générations futures. Cultivez la mémoire.”
“Ne pas oublier”. Je crois que tous les militants sud-africains que je rencontrerai étaient d'accords sur ce point. Tsietsi Machinini, l’un des leaders underground de la révolte à Soweto, dira en 76 : “Ne pas oublier ne suffit pas”.
“L'Afrique...”.





“Etions-nous réellement frères, fils ou orphelins ?”



Ces "liens africains" étaient-ils pertinents pour les blancs sans parenté ?... Pouvaient-ils prendre forme dans une société qui consacrait l'essentiel de son temps à la recherche du profit, au post humanisme libertarien américain et au transhumanisme anglais au détriment des besoins réels, des cultures et du droit ? Etions-nous parents par le seul fait de la démocratie et de la république ? Etions-nous réellement frères, fils ou orphelins ? L'assise psychologique de la représentation politique et du droit, était-ce cela notre parenté véritable ? Nous suffisait-il d'être et de gommer les imperfections, comme disent les anthropologues et les sociologues que j'ai connu, un peu ici, un peu là ? Que devions-nous comprendre dans la souffrance ?





“Ce corps ensanglanté...”


Wally Mongane Serote, figure emblématique du Black Consciousness Movement et du “peuple des prisons”, était rigoureusement opposé aux traditions. Il y avait l’apartheid, des salauds, une guerre. Derrière les poètes Oswald Mtshali et Sipho Sepamla... tout le monde en convenait, Soweto, Langa, Kwa Mashu... étaient une langue.
Wally Mongane Serote disait : “la mémoire, c'est la lutte”. Il voyageait afin de récolter des fonds et des appuis nouveaux. Il fallait combattre pour la révolution, asseoir la société civile et la justice. Les traditionnalistes campaient dans l'ombre du grand arbre. Wally Mongane Serote serait-il l’Afrique civile ? Ses partisans n’en doutaient pas.
Ce corps ensanglanté, cet être gravé comme un totem et que j’observais, comme s’il s’agissait d’une entité, répondait à mes questions sur le monde de demain… un monde douloureux, fait de sacrifices. Les écrivains combattants sud-africains portaient en eux une réponse. Elle était sensible, admirablement sensible. Lourde et pensante, ce n’était pas un fardeau. Cela relevait de la clairvoyance dans un décor illusoire. Chacun savait la part lumineuse de l’autre. Il ne tenait qu’à moi, blanc et noir, de comprendre, d’apprendre, de faire silence et de recevoir le bien, malgré le chaos, dans un univers résolument fait pour le bien. Je ne pourrai jamais oublier ce poids, cette mesure combattante, savante et salvatrice, transmise au bagne ou sous les étoiles durant les marches forcées.

Les capitalistes qui avaient dit non à la révolution marxiste africaine et à la lutte contre l’apartheid avaient dit qu’ils feraient tout pour édifier un réseau commercial et bancaire panafricain sur des fondations républicaines alliées de Capetown à Alger et ce, en deux décennies (années 90).
En fait, le contexte révolutionnaire international des années 70/75 qui se prêtait pourtant bien à la clandestinité, à la résistance (au terrorisme diront les banquiers du Crédit Suisse, de la BNP, de The Chase Manhattan Corporation ou de la Banque Hottinger&Cie) pour l'assise psychologique du socialisme, était déjà empoisonné par les valeurs du libéralisme et la spéculation boursière.
“La révolution est une amorce pour un socialisme des pays pauvres, un socialisme appauvri, disait-on dans les salons (de droite comme de gauche) de la Banque Mondiale à Paris, à Genève, à Rome et à New York, idéal finalement pour la liberté de commercer. Il faut les laisser s’épuiser et poursuivre nos programmes internationaux…Ce "monde" (sous entendu de la révolution en Afrique, en Amérique latine, en Chine, en Inde) ne représente qu'une poignée de salauds et de salopes à bout de souffle”.
La fin de la période des héros? Les détracteurs disaient : “les modèles mentent vite. Ils garantissent seulement une théorie du droit, de l’économie et des libertés. Ils ne franchiront pas le siècle”. Un fait jouait en leur faveur, la politique sur-médiatisée des intérêts économiques transnationaux appuyée par les syndicats patronaux et les gouvernements fascinés par la puissance de l’argent, vidait d’année en année ces droits, ces économies et ces libertés. “La révolution marxiste, dira un résistant canadien, est une plage parsemée d’os de seiches”.
Toutefois, le concept de “rebelle” (liant les militants anti-apartheid, républicains démocrates ou non, les combattants marxistes opposés à l’Etat politique bourgeois, tous les groupes socialistes et communistes, etc…) ou “celui qui échappe à l'autorité de l'Etat politique ou au gouvernement” (plus tard, en Europe et dans le monde, le résistant altermondialiste postcapitaliste, socialiste ou communiste) prendra le relais, quelque temps. Les réseaux politiques révolutionnaires (groupes séparés et parfois alliés) enverront bien leurs missionaires armés sur les plages sanglantes d'Afrique orientale avant de les lancer "clefs en tête" et à corps perdu, à la conquête du Mozambique ou de la Namibie pour la libération et l’indépendance.

Professeur Mali Etua (Capetown, 1998)
“(…)L’indépendance du Mozambique sera bien proclamée le 25 juin 1975 et le marxiste-léniniste Samora Machel, président du Frelimo (Front de Libération du Mozambique), sera bien le victorieux président de la république du Mozambique, dira peu de temps avant sa mort le professeur Mali Etua. Mais la violence des oppositions nazies du Renamo (Resistance Nationale du Mozambique, 1981) alimentées militairement par des forces spéciales contre-révolutionnaires (plutôt contre-insurrectionnelles, militaires et clandestines) depuis la Rodhésie, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis, conduiront le Frelimo en 1989 à l’abandon de toute référence au marxisme-léninisme et à la victoire du constitutionnalisme, du multipartisme, du libéralime et de la famine en 1990/91.
“Autre fait d'importance, l’Organisation du Peuple du Sud-Ouest Africain (Swapo) parviendra contre vents et marées à mettre l’ONU de son côté (1966) et à repousser la politique d’apartheid transfrontalière de l’Afrique du Sud (brigades contre-insurrectionnelles Koevoet). La Cour Internationale de Justice (1971) déclarera même illégale la présence sud-africaine sur un territoire où la SWAPO (reconnue par l’ONU en 1973) avait engagé une lutte armée de libération depuis 1966. La résolution 435 (1978) du Conseil de Sécurité conduira enfin au principe de création d’un Etat souverain et à la naissance (par les accords de 1988 pérparés par l’URSS et les Etats-Unis) d’un nouvel Etat le 21 mars 1990. Ce sera finalement Sam Nujoma, ancien leader de la SWAPO, mouvement révolutionnaire, qui sera le premier président démocratiquement élu de Namibie (1990). Il sera réelu en 1994 (...)

" Un effet international de normalisation pour la paix, par la guerre... ”
“Etrange symétrie du calendrier de l’histoire des révolutions, dira Mali Etua, si l’on veut bien observer le destin propre à l’Afrique du Sud (94), au Mozambique (90) et à la Namibie (90). Les libéraux l'appelleront un “effet international de normalisation pour la paix”…
"(...) En fait, la résolution politique votée, par exemple, en 1979 au XIème Congrès mondial de la IVème Internationale et celle adoptée par le Comité Exécutif International (CEI) de mai 1981 ont correctement indiqué, et je citerai ici “menaces de guerre et lutte pour le socialisme” de l’économiste trotskyste belge Ernest Mandel, que l’impérialisme (à cette époque) était en train de se donner les moyens de reprendre des interventions contre-révolutionnaires contre les révolutions en cours avec la mise sur pied, notamment, de la Force de redéploiement rapide (RDF) américaine.
“Les libéraux interprèteront comme un “effet international de normalisation par la guerre" ce qu'Ernest Mandel concevra comme un accroissement des interventions (militaires) étrangères dès 1982... "une relance coïncidant avec celle de la guerre entre l’Iran et l’Irak, la guerre des Malouines, les préparatifs de l’invasion du Liban par Israel, la guerre civile salvadorienne, (et l’entretien) des “petites guerres” plus ou moins oubliées, comme celles du Tchad, d’Erythrée, de Namibie, du Sahara occidental, sans compter la guerre civile au Yémen et la guerre jamais éteinte en Angola et au Mozambique".

“Les poètes politiques sud-africains, dira Mali Etua, affirment que la lance emblématique de l'opposition n'a pas perdu son fer....J'en suis persuadé même si la politique libérale (les partis, la mafia plus le commerce familial et les goupes industriels internationaux) cherche à tout prix à truquer l'autonomie intellectuelle des actions pour la liberté. Les guerres contre-révolutionnaires “localisées” ne sont pas une exception et la symétrie dans l'histoire n'est qu'une illusion bourgeoise, une tentation métaphysique. La réaction (les guerres contre-révolutionnaires) constitue la règle. Le plus important, pour l’écrivain combattant du XXème siècle et dorénavant du XXIème siècle, consistera à entretenir l’incapacité politique de l’impérialisme...”

“Il n’y a pas d’échec de la révolution noire africaine, dira Mazisi Kunene à Wally Mongane Serote dans le célèbre entretien du Howard College Campus (Natal-2002). Ce que les envahisseurs souhaitent, bien que relevant du souhait de voir échouer le projet africain, son indépendance, son unité, ne peut atteindre la multitude et la diversité culturelle africaine. Les résistances politiques, même rivales, et le dynamisme révolutionnaire noir, sont un seul et même élan vers la liberté et la paix. Toutefois, les capitalistes malades de profits pensent de nouveau à une guerre d'usure menée contre la démocratie depuis l’occident y compris contre les "positions ancestrales irréductibles". Finalement, pouvons-nous être surpris, défaits ou déchus ?”.





"...un seuil de pauvreté aussi bas..."


“(…)La société politique issue du processus démocratique, écrira Nadine Burman, journaliste indépendante de Pretoria travaillant pour le CCR (Center for Conflict Resolution), est-elle irrémédiablement corrompue par les faux modèles d'avenir capitalistes et socialistes scientifiques. Les habiles maîtres maffieux du travail et du commerce (FMI, Banque Mondiale, OMC) et les brillants "ministres-représentants" de Thabo Mbeki n'ont-ils pas réussi à brader la vie aux marchands de dettes et aux crédits internationaux ? Edward Margelin, spécialiste des génocides écrira pour Oxfam (2001) : "…Les vieilles familles libérales d’occident - depuis les plans Dawes (1924) et Young (1928), depuis les accords de Bretton Woods (1944) -, disent avoir libéré les peuples de la "tyrannie communiste" mais au nom de la liberté de commercer (cheval de Troie du monde assiégé) ont en fait répandu un système de médiation absorbant toutes les oppositions démocratiques à l'Etat politique. Cette absorption a conduit à la paralysie des institutions administratives, des partis, à l’asphyxie du principe d’égalité exprimé par le suffrage universel".
“(...) Ce que nous pouvons affirmer, dira Nadine Burman, concerne bien l'état économique du monde "civilisé" à l'aube de la nouvelle histoire (l'histoire comme politique) en Israel, en Inde, au Japon, aux Etats-Unis, jamais le monde "libéré de la barbarie", autrement dit les pays appauvris par l'occident, n'a atteint un seuil de pauvreté aussi bas”.





"Les dandys fascistes, fils de, filles de..."


Les fils à papa de la corne de l'Est, infidèles et avides, détruisaient chaque jour un peu de l'espoir des parents pauvres qui tentaient de construire quelque chose à partir des townships, des salles de tortures des prisons politiques. Ce n'était un secret pour personne. Ils vivaient corrompus, égoïstes, dans les lointaines universités, pourtant marxisées, de New-Delhi, de Calcutta, de Bombay. Deux générations post-coloniales avaient suffit pour récolter le fruit empoisonné du modèle capitaliste. Les étudiants en commerce éthyopiens, par exemple, vivaient d'or, habillés de la peau de leurs esclaves et ruminaient des mantras sourds et puissants : contrebande, capitalisation, spéculation, fuite des capitaux, corruption. Leurs fenêtres donnaient sur des clichés de blondes nues. L'on disait volontiers qu'ils étaient déséquilibrés et dangereux. Les plus ambitieux et les plus violents choisissaient un cursus universitaire long et rémunéré d'étudiant-espion. Ceux que j'avais connu (éthyopiens, soudanais, iraniens, saoudiens, libanais, irakiens, syriens...) le plus souvent érudits et distingués, s'étaient spécialisés dans la philosophie allemande, la linguistique, la philologie. Leurs familles les avaient envoyés étudier à Yale, Harvard, Stanford ou Princeton.
Les paranoïaques, surdoués pour le mensonge et l'autopersécution, acceptaient, non sans idolâtrer les thèses sur la guerre spéciale au Vietnam de S.P. Huntington (spécialiste US de sécurité nationale) ou celles de théoriciens néoeugénistes américains comme Charles Murray, R.J. Hernstein, E.M.Miller, G. Whitney ou encore R.Lynn, tous professeurs d'université, un job d'assistant chercheur dans un think tank pour la consolidation des liens transatlantiques à Washington ou un job de professeur de littérature indienne, africaine, chinoise ou russe, dans un collège privé du secondaire, à deux pas de l'ONU, New York City.

Les filles couraient après eux. "Ils étaient, écrira l'une d'entre-elles dans la revue d'étudiant America First financée par la fondation Ford, de brillants et parfaits hégéliens... Ceux que l'Amérique a choisi".
"Beaux, racés", ils feignaient, les cheveux huilés, une vie de bohême. Ils louaient leurs smokings, fréquentaient "les meilleures boites, un oeillet rouge à la boutonnière" et ne manquaient jamais Litz au Carnegie Hall.
(...) Certains de leurs parents (et grand-parents), socialistes et opposants historiques aux "trois salauds", l'hayatollah Khomeiny, Sadhham Hussein, Hafhez el Hassad, avaient étudié l'existentialisme auprès de Sartre.
Dans les années 80, à la grande époque de la promotion du nucléaire civil et de l'armement français au Moyen-Orient, la vieille garde des sages arabes de Paris (qui croyait en Paris), qui avait aussi (pour les plus vieux) étudié Bergson du temps de Bergson à la Sorbonne, génait toujours, "et dans un français impécable", les clients français israéliens, irakiens, égyptiens, sud-africains, et les contrats d'Etat. La vieille garde sans défense écrivait chaque semaine, chacun depuis Paris pour son journal (du Caire à Beyrouth), des éditoriaux qui paraissaient sans âge, chacun depuis un trois pièces des quartiers chics, presque sans lumière... pour l'opposition socialiste arabe unie ?
Les uns après les autres, bien loin de se douter que leurs petit-fils (étudiants-espions) étaient des dandys fascistes au service du libéralisme américain (qui concevait et placait au pouvoir les tyrans arabes, noirs, sionistes, en échange d'opérations de police régionales, de garanties pétrolières et d'infinis programmes de reconstruction), étaient assassinés en plein Paris par des agents arabes.
Le gouvernement français, la DST (Direction de la Sécurité du Territoire) et la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) nourris au petit lait de la collaboration militaire, pétrolière et nucléaire, publiaient, invariablement, des communiqués désolés.

Les fils et petits fils de l'Oncle Sam, ceux qui avaient un regard d'or pour les hommes déséquilibrés, cocaïnomanes et seuls, et qui tournaient en fait le dos aux femmes, n'avaient pas vingt cinq ans et travaillaient en tant qu'experts en dialectique pour RAND Corporation, le FBI, la NSA, la DIA, la CIA, pour un salaire mensuel de 4000$ (certains étaient toujours inscrits à la fac) et un faux passeport diplomatique. Ils étudiaient l'organisation sociale, les mythologies, les dialectes durant des périodes de six à huit mois en Ouzbékistan, au Turkménistan, en Afghanistan, au Kirgizistan, puis rendaient leurs copies à leurs "patrons-professeurs-agents" qui réconfortaient ou alarmaient le monde avec de fausses analyses. Il fallait répandre une histoire mondiale falsifiée (la contre-information?) à partir d'occupations légales et morales dans la diplomatie, le droit, l'import/export, l'armement, la littérature, la traduction, la banque, l'enseignement, la recherche scientifique, la critique littéraire, l'alimentation... devenir, en un temps record, un expert international et louer, en petits comités, les délirs monomaniaques du Council on Foreign Relations, de l’Hoover Institution, du Manhattan Institute, de l’Heritage Foundation ou encore de l'American Enterprise Institute.
Mazisi Kunene, André Brink, Nadine Gordimer dirent combien ils avaient redouté, durant le processus de démocratisation de l'Afrique du Sud, ces fameux "étudiants-espions aux yeux d'enfants, portant des lunettes d'intellectuels faussement écaillées ou noires, soigneusement coiffés, athlétiques, manucurés, sages et appliqués", payés pour infiltrer et dénoncer à la Vlakplaas (police politique) les profs militants, les groupes résistants, les communistes.





"...une plage parsemée d’os de seiches."


Le commerce légal, le socialisme, l'aide humanitaire étaient recouverts par les sables du commerce parallèle géré par les réseaux d'espions rivaux. Les maffieux et les vieilles familles affairistes musulmanes ou chrétiennes (ultime rempart contre la déloyauté, la démagogie et le mensonge) étaient, à ce titre, les principaux agents politiques des partis officiels occidentaux. Ils étaient (comme au temps des protectorats du Liban, de la Syrie, de l'Irak, de la Palestine) les pivôts non officiels de la propagande des professionnels du sensationnalisme républicain et démocratique (maîtres du marché de l'armement et amis des 10%).
François Mitterrand déclarera à Mandela, peu après son élection à la présidence sud-africaine : "il n'y a pas de démocratie sans commerce et pas de commerce sans armement. Vous n'obtiendrez l'aide de personne sans çà".
J'ai encore en mémoire la longue liste de noms que Mandela avait lu en mai 1994, lors de la célébration officielle de la victoire électorale de l'ANC. C'était au Carlton Hotel de Johannesburg : "...je tiens à honorer les grands leaders de notre combat afin qu'ils soient présents avec nous : John Dube, Josiah Gumede, GM Naicker, Lilian Ngoyi, Helen Joseph, Yusuf Dadoo, Moses Kotane, Chris Hani, Oliver Tambo..."
L'Etat sud-africain n'était pas constitué que déjà les caisses du pays étaient vidées (comme celles, du reste, des pays d'Europe Centrale à la chute du mur de Berlin), que déjà Mandela était sommé d'acheter français… Il s'agissait d'acheter de la très haute technologie militaire afin de lutter contre les mensonges et les menaces des capitalistes inquiets. Une vedette lance-missile vendue à prix d'or avait été baptisée par les ingénieurs-généraux de l'armement : "Germinal"... Le printemps social humain.
Je cherchais dans le sillage de l'Afrique combattante pourquoi j'étais lié à ces choses jusque là inconnues et qu'il fallait désormais admettre comme des normes sociales : le mensonge, l’exploitation, le chantage, la misère, l'exclusion, la violence. Je cheminais sur une plage parsemée d’os de seiches.





"La résistance ou la fuite..."


Ces obstacles, purement psychologiques, inacceptables (et que déjà l'on réduisait à de simples oppositions entre les morales), étaient bien au coeur des discordes qui opposaient les communautés africaines sur le choix des modèles. L'intuition confuse était qu'il fallait échapper à la dépendance, à la modélisation standardisée et à la corruption immédiate des propositions des spécialistes, des "technocrates formés à Moscou et à Pékin". Echapper aussi au destin national des fils de ministres et de rois envoyés à l’université de Moscou étudier l’histoire ouvrière économique et les statistiques ou la physique théorique des basses températures à l’Institut Physico-Technique de Kharkov (aujourd’hui Kharkiv) auprès d’un nobel inconnu. Une fois rentrés, les boursiers géniaux d'Afrique ou du Parti, authentiques héros du travail socialiste, avaient tous en mémoire une ménagère et son fils furieux qui hurlaient sur un trottoir : "le nègre est comme un singe noir sans poil, un animal perdu dans la neige".
Il fallait réfléchir davantage, presque méditer “clefs en tête”, disaient un peu partout les juristes, les historiens, les économistes, les religieux qui avaient été liés aux universités européennes et à l'UNICEF, pour ne pas céder aux pressions ambiguës. Cela revenait à chercher en soi les moyens du progrès sans céder au passé tout en ne l’oubliant jamais… les pistes africaines.
Certains juristes français disaient à Paris (un Paris très écouté pour régler les problèmes africains relevant des codifications publiques, constitutionnelles, civiles et pénales mais qui conduisait invariablement les protagonistes aux affaires illégales par des normes inédites) qu'il suffisait de préserver les droits fondamentaux de l'homme en garantissant le processus démocratique par la maîtrise du suffrage universel, de sauver la sociobiodiversité par le ciment des catégories et des lois, de garantir le tout dans une constitution républicaine…”les sciences faisant le reste !”
Quelques uns de ces conseillers juridiques et rédacteurs français étaient devenus, du reste, des ivrognes que l’on refoulait à l’entrée des bars ou des pédophiles mondains qui tuaient la morale bourgeoise dans des maisons sans fenêtre, à l’abri des poursuites judiciaires.

"Etudier, me dira toutefois un prof ruiné et estimable mais aujourd'hui décédé, étudier encore et toujours, jusqu'à épuisement du nerf...repousser les actions loin devant. Respecter l'étude longue et gratuite, patienter, échapper au rendement, au confort social, trouver ses amis dans les pas de la sagesse sans profit. Apprendre à vieillir dans le corps de cette sagesse sans profit et rendre au pays sa vérité volée". "L'en-commun...", écrira Chemiller-Gendreau.
Et si l'on ne pouvait plus agir ?
Observer les pistes africaines ?…
Les héritiers sincères de Joseph Ki-Zerbo diront chercher en soi (loin des modèles préfabriqués) et combattre politiquement les méfaits de l'urbanisation forcée de la culture africaine et le poison du néoeugénisme subtilement récomposé dans l'ombre des intérêts privés, de la liberté de commercer et de l'ultra-consommation.
La violence et la faim en Afrique ?...
“Résister”, diront Amin et Houtart.
L’Europe militante cherchaient également une piste africaine : résister ou fuir ?
Negri dira : “fuir et ne pas chercher à résister”.

Comment préparer le corps de la mémoire post-capitaliste ?
“Attendre pour l'agir juste, dit la sagesse sous l'arbre, l'agir juste c'est ne trahir personne”.
Ne trahir personne, c'est aussi "la lutte ouvrière, la démocratie vraie et l’effondrement de l'Etat politique, de l'Etat de classe”, enseignera Marx.
Negri dira :"il faut penser une nouvelle classe ouvrière et refuser tout type de commandement direct sur le travail, refuser la représentation, se déplacer continuellement et vivre “en dehors”, sans représentation, la multitude étant préférable au vieux concept de prolétariat."
Le F.M.A. (Forum Mondial des Alternatives) dira : “ouvrir les mouvements sociaux à un redéploiement à l’échelle mondiale, rendre la vie hospitalière et juste par l’effondrement des rapports de domination internationaux.”





Correspondance n°1 : "...les orphelins noirs d’Othandweni."


"(...) Shôtoku, un prince démocrate japonais du VIIème siècle, écrit un ami indien vivant dans un quartier proche des south western townships (il appartient, je crois, à une caste de cordeliers du Maharashtra), adaptera le Japon impérial animiste au modèle chinois bouddhiste des Tang... Il n'est pas nécessaire d'opposer la modernité au fond social traditionnel. Il est utile de préserver ce qui conduit à l'autonomie et à la paix. Le peuple doit remplir ses obligations par la cohésion naturelle des familles..." Autre lecture des ombres sans sombrer dans la métaphysique et dans la conservation. Joseph Ki-Zerbo, avec son grand projet de “néocivilisation africaine, autonome, créatrice et progressive” et son souci constant de ne pas sombrer dans le complexe muséographique africain (rapport de l’Afrique au passé), finalement, ne dira pas moins.…

Depuis que le président Thabo Mbeki soutient que l'H.I.V. n'est pas à l'origine du sida, mon ami refuse de se soigner. Il écrit du reste dans un texte intitulé “lettre de prison à un Président sans responsabilité véritable”: "... le Sénégal a traduit la théorie de la relativité en langue Wolof, l’Afrique du Sud est-elle en retard ou en avance sur le Sénégal ?... Il n’est plus pour nous, monsieur le Président, alors que vous enchaînez la nation à la destruction, de chercher à prouver comme au temps de la honte "la phénoménale intelligence de la Culture Noire" ou même son "extrême complexité" comme un gage de son extrême adaptabilité.
“(...) Ce destin que vous souhaitez maniable en appui sur les ministres P. Lekota (défense) et TA Manuel (finance) et que nous combattons, est une misère noire au service des nouvelles formations anti-douanières que sont l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale, les fédérations de syndicats patronaux de l’armement, de la chimie industrielle, des transports et des mines…
“(...) Vous voulez une Afrique unie et fédérale ? Non, ce que vous voulez est un marché africain unique dont l’Afrique du Sud serait la Suisse. Un peuple courageux et lucide ? Non, des consommateurs, une main d’oeuvre à bas prix, un fond de roulement ouvrier sans droit pour soutenir la délocalisation des multinationales étrangères sur-fiscalisées, et le moins de contestations possibles (…)”.

Bien que plongé dans une lutte physiquement et intellectuellement exigeante mon ami survit seul comme les orphelins noirs d'Othandweni (nés de parents séropositifs), comme tous ceux de sa rue conduisant à Soweto. Il vit, paria, avec peu, regarde la télé tous les jours, lit beaucoup et n'est pas marié. C'est un courageux historien que les mauvais génies de Thabo Mbeki ne changeront pas.
L’histoire des combats et des idées montrera qu’il ne changera jamais d’attitude face à la misère, ni d’opinion. Enthousiasmé comme beaucoup par “Nations nègres et Culture” (1955) de Cheikh Anta Diop (1924-1986), il écrira à propos des mystifications de l’histoire post-coloniale: “(…) si les textes d’Herodote, de Diodore de Sicile, de Straben, d’Eschyle, d’Appolodore, de Sénèque, de Lucien, démontrent que les égyptiens sont bien des noirs d’Afrique, il est tout aussi clair que les offensives politiques post-coloniales (tout en tirant une force prodigieuse de la libération) ne manqueront pas de porter en elles les contradictions culturelles qui feront un jour du nationalisme africain le terreau de la réaction combattue et la base même des censures médiatiques qui mineront les oppositions sur le continent. C’est un paradoxe effrayant de dire que la libération noire entrainera l’effondrement des luttes et des résistances, de son média, l’effondrement de la structure politique du marxisme africain”.

Ce texte étonnant sera publié tardivement dans un bulletin du Mouvement Révolutionnaire Anarchiste de l’université de Witwatterrand (Johannesburg) sans que l’auteur abandonne le combat au sein des formations étudiantes.
Tout le long du XXème siècle, le culte quasiment administratif de la censure médiatique sapera systématiquement les positions socialistes, anarco-communistes étudiantes et ouvrières, durant les meetings. La condamnation du régime Mbeki par les moyens de l’histoire critique ouvrière économique, le droit des pauvres à la vie et la dénonciation de la violence sexuelle dans les townships, du sida, de l’armement, n’échappera pas à la règle lors de la très consensuelle Conférence Contre le Racisme de Durban (ONU, 08/26-09/07, 2001).
L’un des dossiers traités portera sur les liens historiques unissant l’esclave et le noir de l’Afrique australe aux banques suisses du XVIIIème siècle. “Black Holocaust”, ouvrage de maturité de mon ami, sera, bien que cité, interdit à la lecture.
“(…) Ma vie militante, confiera-t-il à un web magazine de la Workers Solidarity Federation (qui publiera le livre avec le secours de la bibliothèque des travailleurs et un misérable fond de recherche), comptera outre douze années de prison dans une dizaine de lieux de détention (ce qui chez nous est plutôt modeste), des centaines de censures émanant de hauts fonctionnaires politiques (ce qui est également plutôt ordinaire pour un historien militant)…
“(…) je recenserai : les censures provenant d’ex-fonctionnaires politiques de la police (des transfuges de la Vlakplaas-police politique d’Eugène de Kock et de la milice Koevoet), de la justice (des transfuges des réseaux des frères Hartzenberg et des présidents J.Vorster et Marais Viljoen), les censures provenant d’ex-fonctionnaires politiques de l’école et des universités (des transfuges afrikaaners -qui veulent toujours un état blanc séparé- de l’ère répressive de son excellence Pieter Botha), d’ex-fonctionnaires politiques de la défense (des transfuges de l’ère administrative de Magnus Malan, du Barnacle/Secret Combat and Intelligence Project - agence de couverture des opérations civiles de la SADF, South African Defense Force’s Civil Co-operation Bureau -, ce ne sera pas mieux sous l’actuel ministre ultralibéral P. Lekota qui purgera pourtant 8 années à la prison de Robben Island pour conspiration contre la loi et l’ordre public entre 1974 et 1982), les censures provenant de fonctionnaires politiques du ministère des finances (sous l’étroite surveillance de TA Manuel, ministre et gouverneur du Bureau du Groupe de la Banque Mondiale) et pour finir les censures provenant des hauts fonctionnaires politiques de la santé publique sous la tutelle de l’actuel président Mkebi…Un Thabo Mbeki qui sera pourtant dans les années 70 un irréprochable combattant aux côtés d’Oliver Tambo et de Yusuf Dadoo (…)”


La première édition de “Black Holocaust” témoignera d'une conclusion dédiée à des personnalités de tout premier plan. Citons Kofi Anan, Secrétaire Général des Nations-Unies, James D. Wolfenshon, président de la Banque Mondiale, ainsi qu'à certaines banques suisses protestantes privées et à leurs victimes. Je ne retiendrai, ici, que quelques extraits.

“(...) Je dédie ce livre au Secrétaire Général de l’ONU Kofi Annan qui, tout en soutenant activement les groupes bancaires privés et les multinationales à Davos (Suisse), prétend sauver des conditions d’exploitation et d’esclavage, de la faim et de la maladie, 150 millions d’africains, 400 millions d’indiens, 500 millions de chinois, 150 millions d’américains du sud”.

“(...) Je dédie ce livre à James D. Wolfensohn président de la Banque Mondiale qui affirmera : ”Je n’ai jamais cessé de penser à la misère. Que croyez vous que l’on fasse chez James D.Wolfensohn Inc., Salmon Brothers, Schroders Ltd, J. Henry Schroders Banking Corporation, Darling & Co ? L’on parle de la misère.
J’ai été de nombreuses fois président et directeur de toutes ces sociétés, je n’avais qu’une seule priorité : "vaincre la misère". C’est pour cela que je suis membre honoraire de Brookings et président du comité financier de la Fondation Rockefeller.
Vous parlez de misère ? Et de quoi croyez vous que l’on parle dans le monde des affaires ?… Tous mes amis parlent de la misère. Nous parlons de la misère du matin jusqu’au soir. C’est ainsi qu’on fait le monde, en parlant de la misère!
Reconnaissons toutefois qu’elle est ethniquement très sélective cette misère…Nous n’y pouvons rien. Les ethnies selon qu’elles sont du nord ou du sud ne sont pas dotées d’un même potentiel intellectuel ou d’une même aptitude à la survie…”

“(...) Je dédie ce livre aux banques privées suisses Leu, Lullin, Banquet, Mallet&Frères (aujourd’hui banque de Neuflize, Sclhumberger, Mallet) héritières des banques protestantes négrières de l’Afrique australe : Thelluson, Cottin, Banquet, Mallet”.

“(...) Je dédie ce livre à Jean-Conrad Hottinger banquier privé suisse depuis 1786 (Hottinger aujourd’hui Hottinger Group, présent à New-York, Londres, Paris, Luxembourg, Nassau-Bahamas, Genève, Zürich, Vienne….) co-fondateur de la Banque de France en 1800, argentier de Napoléon Bonaparte (restaurateur du statut juridique de l’esclavage en 1802), conseiller de la Banque de France en 1803 et baron d’Empire en 1810…

“(...) Je dédie ce livre aux cent millions d’esclaves et de noirs suppliciés depuis le XVIIIème siècle pour un peu de cuivre, de nickel, de sucre blanc, de café rouge, de poudre de diamant, des montres en or et des cuillères en argent !”

N.B. Ironie de l’histoire de la banque privée, le baron d’Empire Hottinger (n’en déplaise à la devise de la maison zurichoise Hottinger “honnêteté et intégrité morale”) sera lié à l’histoire du crime financier dans un rapport d’information parlementaire sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Suisse. Une Suisse (très sud-africaine) reconnue par la commission d'enquête parlementaire socialiste française "Peillon-Montebourg" :"paradis fiscal" et zone criminelle au plan judiciaire pénal (V. Peillon et A. Montebourg, Assemblée Nationale française, rapport n° 2311 vol.3-La Suisse, années 2000/2001).”


Dans son projet de conclusion à la seconde édition (“Black Holocaust” Struik Publishers, 2004/2005), mon ami évoque la thèse selon laquelle la persécution du socialisme et du communisme noir en Afrique du Sud va de pair avec une augmentation des génocides et des crimes d’Etat. Il appuit sa thèse sur de nombreux évènements, en particulier sur les récentes opérations militaires et politiques clandestines : Operation Dual, Operation Mila, Project Coast. Des affaires criminelles dont les spectres hantent encore l’appareil d’Etat sud-africain... Les extraits que je retiendrai concernent Project Coast.

“Swart Gevaar (le danger noir)”

"(…) La persécution de la négritude, du socialisme et du communisme noir en Afrique du Sud trouve, probablement, son expression la plus aboutie dans Project Coast. Project Coast implique des experts politiques civils et militaires du bio-terrorisme et les forces spéciales de la SADF (South African Defense Force).
“(...) Il convient de nommer le Dr. Wouter Basson, chef du 7ème Medical Batalion Group (équivalent de l’unité médicale japonaise 731 pour les expérimentations humaines en Mandchourie du Dr. Ishii durant la seconde guerre mondiale, ou du laboratoire médical d'Auschwitz dirigé par l'hauptsturmfurher Mengele). Wouter Basson, ex-agent sud-africain du renseignement, spécialiste du bio-armement durant la guerre froide (il séjourne aussi bien à l’est qu’à l’ouest du rideau du fer) est le concepteur de Project Coast (Chemical and Biological Warfare Programme de la SADF). Il travaille jusqu’en 1998 sous l’autorité administrative du général et parlementaire Viljoen, président du Freedom Front (parti suffisamment proche du Front National de Le Pen en France pour lui emprunter son emblème).

“(...) Project Coast est un projet politique et militaire de création d’armes chimiques et biologiques de destruction massive qui verra le jour en 1984, durant l’apartheid. Il aura pour objectif spécifique la production de substances mortelles “éthniquement sélectives” : des molécules mortelles sensibles à la mélanine qui pigmente la peau des noirs, dans le but de réduire la population noire, dominante, et d’empêcher la victoire du principe d’égalité entre communautés blanches et noires jusqu’à la destruction complète (par l’éradication de la population noire) de toute démocratie noire et de tout communisme noir. Ce projet concernera l’Afrique du Sud mais aussi des états voisins comme le Lesotho, le Mozambique, la Namibie, l’Angola...
“(...) Les activités de Wouter Basson : espionnage, infiltrations de sites militaires stratégiques, vols, blanchiment d’argent sale et financement de projets militaires clandestins, etc.., seront révélées à l’opinion par la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) dès 1998; le jugement propremet dit de Wouter Basson (il est accusé de 61 délits allant du trafic de drogue au meurtre), qui durera trois ans, aboutira au délèbre acquitement du 12 avril 2002 de la Haute Cour de Justice de Prétoria. Les personnalités publiques impliquées comme Pieter Botha (ex-président), Magnus Malan (ex-ministre de la défense), Graig Williamson (célèbre espion de l’apartheid) seront acquitées. Il est étonnant, par ailleurs, que le juge choisi pour cette affaire soit le frère du Dr.F. Hartzenberg (président du CP, Parti Conservateur), Willie Hartzenberg (nommé durant l’apartheid).
“(...) La révision complète du procès demandée par l’Etat sud-africain sous la présidence de Thabo Mbeki sera rejetée par la Cour d’appel de Bloemfontein le 5 juin 2003. Le Congrès National Africain, parti du Président Mbeki, ne réagira pas. Aujourd’hui, “Docteur la mort”, exerce la médecine en tant que cardiologue à l’Hopital Académique (public) de Prétoria et réclame sa réintégration dans un corps médical militaire actif avec le grade de général ou de chef d’Etat-Major...”


"La double vie du Dr. Basson"

“(...) Six années d’enquête judiciaire révèleront que Basson était à la tête d’un empire. Que cet empire étendait ses ramifications dans les secteurs de l’aéronautique, du tourisme, du loisir, de l’investissement privé, du crédit, de la sécurité, de la pharmacie, de la presse, de la haute technologie en communication, de l’agriculture, des alcools et du tabac. L’enquête judicaire révèlera des montages entre sociétés installées aux Iles Caïmans, à Jersey, au Luxembourg, en Suisse et des placements illégaux à la City de Londres… "paradis fiscal" selon un récent rapport de la commission parlementaire socialiste européenne et Paul Van Owern, juge enquêteur international travaillant sur les réseaux de blanchiment.
“(...) Un audit prouvera que Basson (accusé 26 fois pour fraudes) détournera des fonds publics au profit d’un pool de 45 entreprises et en percevra l’usufruit par des holdings comme WPW Investments Incorporated (Iles Caïmans) ou comme Wisdom Group (Afrique du Sud). L’on retrouvera aux postes clefs du système des juristes internationaux comme David Webster du célèbre cabinet américain Baker & Hostetler ou encore C.Marlow, juriste et manager de Sentrachem, protection financière de Delta G. Scientific, société écran des services spéciaux de la SADF. Delta G. Scientific et Roodeplaat Research Laboratory (autre société écran de la SADF) serviront à l’enrichissement de Philip Mijburgh, collaborateur de Basson et neveu de l’ancien ministre de la défense sud africain Magnus Malan…
"(...) Le juge Hartzenberg déclarera lors du procès :” le fait qu’un homme soit riche et même immensément riche n’est pas une preuve de fraude. Quant aux liens existants entre les holdings de Basson et le programme de recherche militaire dirigé par Basson (tels que révélés par les enquêtes judiciaires) ils sont la preuve que Basson avait besoin d’argent pour le développement de ses recherches, autrement dit pour servir l’Etat et non pour le voler.”

“(...) La Suisse, la Libye, les USA, la France, l’Irak, l’Iran, la Grande Bretagne, Israel également impliqués dans cette affaire de contournement des traités de non prolifération d’armes (chimiques et biologiques) de destruction massive (collaboration à un projet militaire clandestin dans un pays étranger et échange d’équipes scientifiques militaires et civiles) ne seront pas poursuivis.
“(...) Project Coast, opération militaire clandestine (impliquant également le Barnacle, couverture civile -Civil Co-operation bureau pour les combats secrets et la lutte anti-terroriste de la SADF) conduira, probablement dans les locaux du Roodeplaat Research Laboratory de Pretoria, plus d’un millier de sujets noirs aujourd’hui “portés disparus”. Seront expérimentés sur ces sujets, outre des molécules mortelles “ethniquement sélectives” : le sida, le choléra, le butolinum, le thallium, l’anthrax”….





Correspondance n°2 : "...avaler les pierres et l'eau des chutes de Howick Falls".


Un juriste militant de mes amis, professeur à l'université du KwaZulu-Natal et membre actif de l'International Association of Democratic Lawyers depuis 1974, m'a envoyé un passage du texte qu’il lira lors d'un meeting d’information conduit hors cours dans un local de Westville-campus. Il écrira : "...mes étudiants-chômeurs sont juridiquement des hors-la-loi et doivent, quoiqu'il en coûte, avaler les pierres et l'eau des chutes de Howick Falls".
L'expression trahissait l’état du pays, la criminalisation des oppositions politiques et la pénalisation de la misère, pierres et eau, qu’il fallait avaler tout en résistant, clandestinement, jusqu'à la victoire.
A cette époque, c'était en 1998, les juristes socialistes sud-africains et l’I.A.D.L. exercaient des pressions sur le Secrétariat Général de l'O.N.U. afin de désamorcer le processus américain d'intervention militaire en Irak et de relancer le débat sur les compétences matérielles de la Cour Pénale Internationale.

"(...) L'on parle sans culpabilité, écrira-t'il, de l'exploitation presque morale (comme un gage de progrès social ou de civilisation) de la main d'oeuvre à bas prix, en Chine, en Thaïlande, au Viet-nam, en Afrique... L'on parle à propos de la Fédération Socialiste Indienne et de la République Populaire de Chine "d'ère pré-industrielle" et l'on assimile dans un même temps ces deux Etats à des Etats sans tête et sans lois applicables, ou, et de façon très discriminante, à des sociétés arriérées sans Etat ou "incapables d'Etat ou d'administration". Mais est-ce vraiment cela ?
La force du droit coutumier se caractérise également par sa force d'application. Mais le droit du plus fort s'oppose toujours à cette force d'application légitime en écrasant toute tradition culturelle. Le système colonial impérialiste n'aura pas fait moins et le capitalisme post-colonial ne fait pas moins. Il manifeste ruse et corruption, là où désormais le droit moderne règne. Notre droit moderne, semblable au droit coutumier d'hier est le fond légal de nos libertés contemporaines.
Le combat politique et juridique que livrent par exemple les nations à propos de la question de l'autonomie et de la compétence matérielle de la Cour Pénale Internationale (1998) justifiera notre critique.
"(...) Le refus américain de laisser juger un ressortissant américain ayant commis un crime sur une terre étrangère par un tribunal autre qu'américain situé sur le sol américain, est un exemple d'hypersensibilité juridique "coutumière" ou "culturelle". Il est clair qu'aucune nation ne pourra revenir sur ce point du droit, sans commettre une "grave agression", et encourir des représailles sérieuses. Que peuvent nos pays réduits au below poverty line et assimilés à une catégorie de pauvres sans droit ?

"(...) Le droit, une volonté politique? Nous le pensons, bien que le pauvre n'apparaisse pas en droit international comme constituant une catégorie au sein des personnes. “La révolution par le droit international!”, enseigne-t-on en Europe. Ce slogan nous apprend que la révolution par le droit international est probablement "la" révolution la plus importante à mener à partir des réseaux planétaires où se construit la loi internationale du XXIème siècle" (extrait d'une intervention auprès de l'International Legal Observer Delegations-South Africa's first non racial election, I.A.D.L., Johannesburg, 1994).
"(...) L'Amérique sur cette question de l'évolution du droit international comme sur celle de la signature du statut de la CPI, refuse catégoriquement de s'y engager en dissumulant mal son hyper-irritabilité juridique traditionnelle (son droit ayant l'âge de l'anthropologie ou de l'éthnologie).
"Quoiqu'il en soit, elle affirme aux yeux de la communauté mondiale un droit à la différence culturelle. Mais par cette différence elle affirme en fait que son droit ne peut être universel et que celui-ci se limite bien aux seules frontières légales du pays" (50ème anniversaire de l'I.A.D.L., Capetown, 1996) .





"Réflexions tardives : hier... le travail gratuit sans droit"



Ceci rejoindra sans doute cette réflexion beaucoup plus tardive de mon frère ainé, très engagé dans la lutte ouvrière aux Mascareignes et en Afrique du Sud : "Nous voici rendus à la huitième génération depuis le premier esclave portant le nom de la famille... tu es comme moi, un héritier."
Je me suis demandé, dans le prolongement de mon isolement urbain de blanc pauvre et sans doute marxiste, comment mon frère qui n'était pas esclave pouvait encore cultiver cette appartenance à une communauté historique d'exclus tout en disposant encore d'une parenté, d'une responsabilité et d'une notoriété ? Je trouverai une réponse dans son attachement au culte des ancêtres, au premier esclave : lieu de naissance, nom, lignée familiale historique de souffre-douleurs.
Finalement cette problématique de l'esclave qui réapparaît régulièrement depuis un siècle et demi au sud comme au nord relève d'un sentiment naturel, de la condition des hommes révoltés face à l'absence de droits à la vie.
J'ai compris pour ma part que la société pauvre, noire et blanche, partage cette même douleur qui se manifeste de temps à autre dans le corps de mon frère sous la forme d'un ulcère et parfois sous la forme d'un excès de fierté politique dans les meetings. Que cette pauvreté est bien nourrie par le culte récurrent des ancêtres, la force du sentiment naturel de nos communautés de misère.
Un héritage dont Mazisi Kunene et Wally Mongane Serote diront qu'il se réduisait, aux heures des luttes, à cet autre lien de parenté sociale négative : la précarité, l'exclusion, l'oubli, l'abandon.
Hier, ce lien s'appelait : le travail gratuit obligatoire sans droit ou avec droits restreints pour un maître du travail, sans espoir de jamais racheter sa liberté.

« fin »

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