CHAPITRE 4 (2)


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CHAPITRE 4 (1), (2)

Le droit des riches, le néo-libéralisme et la terreur.
(critique du fascisme japonais)

Critique des fondements de l'histoire fasciste japonaise par les quatre principes de gouvernement de l'empereur Justinien (théocratie européenne, casuistique chrétienne, droit moderne, eugénisme, science militaire appliquée, formation des bourreaux, torture, propagande militaire japonaise)
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III

Le culte de la Paix


Mise en perspective critique de la société comme fonction et critique de la famille comme communauté sexuelle; mise en perspective critique de l'Etat de justice .

"De la justice émanent tous les droits."

"Rapportée à son contexte cette maxime des glossateurs médiévaux, écrira le civiliste Pierre Legendre dans son apologie fascisante de l'Empire antique, répète une analyse déjà formulée par le Droit romain antique, à savoir que les règles juridiques sont dans un rapport de descendance avec les propositions dogmatiques de la causalité -rapport à la question du Unde ? (=d'où vient le Droit ?) - et que, par voie de conséquence, l'office du juriste consiste à traduire concrètement une métaphore de filiation à travers la production sociale des casuistiques. (...) la Justice est mère du Droit et l'Ecrit vivant (l'empereur) (est) père de la Loi (lex, ici au sens de la construction impériale rédigée et expédiée par la chancellerie). (...)
"(...) La société est (...) pour moi, essentiellement fonction, et c'est là-dessus que se greffe une réflexion plus adequate sur l'Etat en tant qu'instance généalogique (cadre constitué servant à faire jouer l'Interdit, permettant l'accès du fils au discours de l'Interdit) (...) Cette réflexion ne peut être sérieuse qu'en mettant au premier plan la reconnaissance de l'échange symbolique entre le sujet et les instances dogmatiques instituées, seul moyen de reprendre la question de "la fabrique de l'homme occidental" au ras de l'interrogation sur l'enjeu de vie et de mort du sujet.(...)
"La société une fonction, dis-je, eu égard au matériau de la reproduction, l'animal parlant lui-même, à qui s'adresse l'entité sociale comme figure irrécusable de l'espèce." (La justice généalogique et le pouvoir généalogique des Etats, la fonction de conservation de l'espèce dans la civilisation du droit civil, étude sur la fonction parentale des Etats, "Les enfants du texte", Leçons VI, Fayard)

Eugénisme et darwinisme social : de l'espèce à l'entitétisme (1), entitétisme théologique (2), entitétisme physique, entitétisme social et abstraction de l'homme (3, 4).

"(1) De l'espèce à l'entitétisme :
Nazisme 1933 "tu es non-humain... ein stück", expression nazie, ou "ils ne s'ont que des bûches, des bouts de boits"... "marutas", expression des médecins expérimentateurs japonais de l'unité 731 de Shiro Ishii.
Eugénisme 1938 : "(...) l'augmentation du nombre des tarés, des dégénérés, des déchets sociaux qui contribuent à la dégénérescence de la race et deviennent une lourde charge pour la collectivité..." (hôpital psychiatrique du Vinatier de Bron-Lyon, responsable de la mort de 2000 internés entre 1940 et 1944, hôpital de Clermont-de-l'Oise, 3063 morts, 50 000 morts pour l'ensemble du parc hospitalier psychiatrique sous Vichy, dans "Le drame des asiles de Vichy", Regis Guyotat, Le Monde, 17.10.2003)

Biocratie 1941 "(...) Ceux qui sont aujourd'hui des prolétaires doivent leur situation à des défauts héréditaires de leur corps et de leur esprit. Il est indispensable que les classes sociales soient de plus en plus des classes biologiques... il faut que chacun occupe sa place... La femme doit être rétablie dans sa fonction naturelle, qui est non seulement de faire des enfants mais aussi de les élever... La selection naturelle ne joue plus à cause des progrès de la médecine, les faibles sont conservés comme les forts, la natalité baisse, la race est menacée... La standardisation des êtres humains par l'idéal démocratique a assuré la prédominance des faibles... au point que les malades, les aliénés mentaux et les fous attirent la sympathie du public..." ("L'homme, cet inconnu" (1935) Alexis Carrel, prix nobel de Physiologie 1912, chargé en 1941 par Pétain de la direction de la "Fondation pour l'Etude des Problèmes Humains".

"(2) De l'espèce à l'entitétisme théologique.
"Le judaïsme, écrit l'historien israelien Yehuda Bauer, ancien directeur de l'Institut international de recherches sur l'Holocauste de Yad Vashem à Jérusalem, a élaboré des explications théologiques de l'Holocauste qui offrent une variété de justifications, plus ou moins ancrées dans la tradition religieuse juive, à l'action ou à l'inaction de Dieu lors des évènements (tzidduk ha'din ou justification du jugement - de Dieu). Cette tradition contient le concept d'un Être tout puissant, à qui les humains trop insignifiants pour comprendre la manière dont il dirige le monde (hanhaga) ne sauraient demander aucune explication (...)
Au vu de la soumission de Job à l'issue de son combat contre le tout-puissant : Job reconnaît l'infinitude de Dieu (orthodoxie bouddhiste du mahayana, bouddha ne connaît pas les limites humaines (les non- humains, les souillés ou les animaux parlants, sont du reste catégorisés "buraku, eta, hinin" au Japon, "candala" en Inde, en Chine, "nangzen" au Tibet).
"Job (d'après l'ortodoxie judaïque) reconnaît sa propre incapacité à comprendre (l'infinitude de Dieu). De fait Dieu agit en dehors de toute moralité humaine (théologie bouddhique de l'immoralité - justifiant l'immoralité criminelle des maîtres torturant l'homme - royaumes religieux himalayens et trans-himalayens : Sikkhim, Népal, Boutan, Tibet...).
"En d'autres termes, Dieu est la puissance cosmique ultime qui se place au-delà du bien et du mal. Ces arguments semblerait résoudre le problème de l'Holocauste (...)" "La théologie, ou Dieu chirurgien" dans "Repenser l'Holocauste" (Rethinking the Holocaust, Yale, 2001), Yehuda Bauer, Autrement Frontières, 2002).


"(3) De l'entitétisme physique et social à l'abstraction de l'homme :
Les "déchets sociaux et les dépendants", base d'une pensée globale coercitive, des catégories universelles et des théories explicatives, telle que critiquée et combattue par le prêtre et sociologue marxiste François Houtart dans son analyse de la fin des catégories universelles...
"(...) Désormais la perception du réel passe par l'observation des expériences individuelles, ce qui permet la redécouverte de l'individu comme source de la connaissance. D'où également l'idée d'une herméneutique des faits sociaux sous la forme de textes comme des expressions symboliques, en récation contre la culture du contrôle intellectuel, scientifique, politique. D'où également l'intérêt porté à ce qu'on appelle les mouvements sociaux, ceux qui répondent à des intérêts spécifiques (les femmes, les populations indigènes, les écologistes, les associations de quartier, les homosexuels...) parce qu'ils expriment des revendications de valeurs plus que de pouvoir et des situations éclatées plus que des systèmes... Les abstractions des théories explicatives de la pensée globale valables au travers du temps et des espaces détruisent (quant à elles) le concret, le variable, l'histoire... ("La fin des catégories universelles et des explications systématiques" dans "Analyse marxiste de la religion au regard de la critique post-moderne", Cetri (sur le net), Louvain-la-Neuve, janvier 2003).

"(4) L'entitétisme physique et social est également critiqué par le bouddhisme japonais réformé par les bonzes zen Brian Victoria, Ichikawa Hakugen et par les chercheurs bouddhistes Hakamaya Noriaki, Matsumoto Shirô dans "Le zen en Guerre, 1868-1945" (2001), "Religion et fascisme" (1975) , "Le bouddhisme critique" (1990)...
L'entitétisme anticipe favorablement de la filiation au nationalisme religieux et au militarisme. Il conduira par exemple les shintoïstes et les bouddhistes orthodoxes japonais de la voie impériale à porter des armes en Chine et à justifier théologiquement la déportation, l'internement, le meurtre, l'assassinat politique et la torture. Le bonze orthodoxe ou le prêtre shinto au Japon et le lama orthodoxes au Tibet sont considérés en tant qu'une protection de l'Etat de justice traditionnel...

L'entitétisme physique, social et théologique, conduira également à justifier en temps de guerre l'esclavage sexuel militaire impérial décrit par George Hicks dans "Les esclaves sexuelles de l'armée Japonaise" (J.Grancher, Paris, 1996), Yoshiaka Yoshimi dans "Comfort Women Sexuel Slavery in the Japanese Military During WWII" (Columbia University Press, 2000) ou à justifier les expériences bactériologiques militaires japonaises sur des "objets humains" (marutas) en Mandchourie, telles que décrites par Peter Williams et David Wallace dans "La guerre bactériologique" (Albin Michel, 1990), Sheldon H.Harris dans "Factories of Death, Japanese Biological Warfare, 1932-1945 and The American Cover-up" (Routledge,1994) et Harris Robert et Jeremy Paxman dans "Une manière supérieure de tuer" (Chatto & Windus, Londres, 1982), voir en fin de l'article.

Mise en perspective critique de trois principes justiniens :
1- la société comme fonction,
2- la famille comme communauté sexuelle,
3- la chose publique comme Etat de justice .

"La société une fonction, dira P.Legendre (1985), eu égard au matériau de reproduction, l'animal parlant lui-même, à qui s'adresse l'entité sociale comme figure irrécusable de l'espèce, mais par le relais d'une domestication normative.
"Que devient alors la famille ? Nous pouvons apprendre à l'observer, dira Legendre (..) sous un regard détaché (...) en la rapportant - selon le vocabulaire du XVIIIème siècle, ici plus approprié, la société domestique - à la logique de la Référence et de la constitution des images pour le sujet. C'est pourquoi j'emprunterai à la scolastique post-médiévale, reprise par Kant, la notion de commerce sexuel afin de situer ce que nous appelons la famille à sa vraie place dans la structure. (...) ."
P.Legendre sous-entendra que la société moderne, écrasée par l'économisme triomphant des années 60 et du droit moderne -expressions de Legendre pour analyser les computs généalogiques romains ou ecclésiastiques liés au culte de l'interdit (de l'inceste) des casuistes, "ne peut pas prendre en charge l'héritage post-hitlérien, la probématique des mal-nés, des dettes vivantes (...) "(Le justice généalogique et le pouvoir généalogie des Etats, la fonction de conservation de l'espèce dans la civilisation du droit civil, étude sur la fonction parentale des Etats, "Les enfants du texte", Leçons VI, Fayard).

"Les mal-nés, les dettes vivantes"
Amartya Sen, nobel indien de l'économie 1998, dira, à propos de la théorie eugéniste de la conservation de l'espèce excluant les mal-nés et les dettes vivantes de Legendre (c'est nous qui faisons le rapprochement avec les moyens de Legendre) et telle qu' autrement appréhendée par John Rawls dans Un concept kantien d'égalité (1975) : "... Rawls justifie l'indifférence envers (les handicapés, les mal-nés et les désavantagés) par le fait que les "cas difficiles" peuvent "distraire notre perception morale en nous amenant à penser aux gens distants de nous, dont le sort suscite la pitié et l'inquiétude (...)."
"C'est peut être vrai, écrira Amartya Sen, mais les cas difficiles existent bel et bien, et l'attitude qui consiste à considérer que les handicaps, les besoins spéciaux en matière de santé, ou les déficiences physiques ou mentales n'ont aucune pertinence morale, ou l'attitude qui consiste à ne pas en tenir compte par crainte de commettre une erreur, peuvent être le meilleur moyen de commettre l'erreur opposée. (..)
" J'ajouterai néanmoins qu'à mon avis on ne peut pas raisonnablement différer cette question lorsqu'il s'agit d'élaborer la structure d'une théorie substantielle de la justice. Les différences de besoins sont très répandues et elles méritent une place plus importante dans une théorie de la justice (celle de Rawls)." ("Equality of What ?", Choices, Welfare and Measurment, MIT Press, 1982)

"Le XXème siècle, dira P. Legendre dans son analyse plus qu'eugéniste de la justice généalogique (qui considèrera, du reste, la Théorie de la justice de John Rawls -Harvard, 1971, comme "un discours postiche sur la justice et une imposture"), observé comme séquence d'histoire de la structure d'Interdit version européenne, aura été l'ère des essais, communistes et capitalistes, pour substituer au fonctionnement des Références classiques un monde sans sacrifiés...
"Nous sortons à peine des holocaustes bolchéviques et nazis, qui enseignèrent le meurtre politique, sinon comme mode de relation sociale, du moins comme mode institué de paiement à la Référence, par conséquent comme solution juste, assortie à ce titre de toute la panoplie de l'argumentation juridique portée par la tradition normative occidentale. C'est dans ce contexte d'écroulement des essais radicaux d'Etats de justice que nous avons à nous situer... (...)
"La culture présente, ayant survécu à celà, a le plus grand besoin d'une réflexion relative au principe du lien au rapport de créance et de dette, aux conséquences enfin de la défaite du Père (...).

"Sous peine de mort, écrira encore Legendre, la mort du sujet humain, l'espèce parlante impose sa loi, la loi de la parole qui se confond avec la loi de la différenciation. Le couperet généalogique, qui distingue les places et impose les filiations, est un couperet de paroles, en terme savants l'interdit de l'inceste. Mais qui peut justifier ces paroles et, par elles, assujettir? Aucun individu, l'instance seulement qui les prononce. Dès lors surgit le gouffre du pouvoir, des règles généalogiques et leur principe de raison, que savent les dieux et leur substitut moderne, la théorie." (Le dossier occidental de la parenté, Leçons IV suite, Fayard, 1985)

Deux concepts juridiques étudiés dans la sociologie du droit japonais:
- "shi" ou "watakushi" signifie "je, moi privé, secret et arbitraire, contraire à l'ordre public" et s'oppose à "messhi-hôkô"
- "messhi-hôkô" signifie "supprimer le moi, matrice d'un service public voulu résolument sans conscience", autre aspect de l'entitétisme physique et social.
("Le Surmoi Japonais" et "Le Moi Japonais, binariat, berceau des règles éthiques de giri" dans "Une esquisse psychanalitique de l'homme juridique au Japon" de Ichiro Kitamura. Ichiro Kitamura se recommandera à la fois de la pensée des juristes Pierre Legendre et Jean Carbonnier - Ichiro Kitamura est professeur de droit à la faculté de droit de l'université de Tokyo, membre de la société franco-japonaise de science juridique et auteur dans la Revue Internationale de Droit Comparé, 24-1987)

Critique du "messhi-hôkô" - I
Exterminer le soi et servir le bien public en tant que base dogmatique de l'orthodoxie impérialiste de Shiro Ishii (1892-1959)
, "guerrier divin pour la paix", médecin-général de l'Unité 731 pour la guerre bactériologique en Chine, d'après les oeuvres de P.Williams et D.Wallace : "La guerre bactériologique" (Albin Michel, 1990), et de H.Robert et J. Paxam : "Une manière supérieure de tuer" (Chatto & Windus, Londres, 1982) .

"1- (...) Comparé à d'autres bacilles pathogènes, celui de la peste n'est pourtant que modérément contagieux, mais on peut cultiver les souches les plus virulentes et les rendre encore plus dangereuses. Le nombre de morts que peut alors causer la peste est hors de toute proportion avec celui des bactéries disséminées, et Ishii en déduisit qu'une épidémie de peste pouvait constituer l'arme décisive à laquelle il rêvait : il suffisait d'en cultiver les souches les plus virulentes (...)(The problem of Chemical and Biological Warfare, V.II Weapons Today, Institut de Recherche de la Paix Interationale, 1973)

"2- (...) Pour Ishii, la peste présentait un autre avantage : on pouvait en dissimuler l'origine. (...) La peste n'existait-elle pas à l'état endémique dans de nombreuses régions d'Asie, en Inde, en Chine et en Mandchourie ? Toutes les conditions étant réunies pour assurer le plus grand secret, Ishii se mit au travail pour mettre au point sa première arme bactériologique.

"3- (...) Presque tous les jours une odeur infecte et oppressante recouvrait l'ensemble de Pingfan. Cette puanteur émanait du saint des saints du complexe qu'était le bloc Ro. Là au rez-de-chaussée du bâtiment, on avait installé une vaste fabrique bactérienne, et c'est de là que filtraient ces relents (...)

"4- (...) L'on commençait par composer un milieu de culture bactérienne fait de bouillon de viande, d'agar-agar et de peptone, que l'on versait ensuite dans des appareils inventés par Ishii (...) une fois chargés ces appareils étaient acheminés (...) jusqu'à des incubateurs dans lesquels les bactéries se multipliaient dans des conditions optimales de température et d'humidité. (...) Il fallait attendre deux jours pour récolter cette moisson de mort : elle se présentait sous la forme d'un coulis blanc laiteux (...) Lorsque le service n°4 fonctionnait au maximum (...) il était théoriquement possible de produire 300 kilos de germes de la peste. (Documents du procès de Khabarovsk d'ex-militaires de l'armée japonaise accusés d'avoir fabriqué et utilisé des armes bactériologiques, ed. de Moscou, 1950)

"5-(...) A Lin-k'ou et Hailin, on obtenait en série, avec les mêmes méthodes, des bacilles de la typhoïde, de la paratyphoïde, de la dysentrie et du choléra. Lors de l'apogée de l'Unité 731 (Pingfan), la production des bactéries fut telle que, si elle avait été utilisée, les épidémies déclenchées auraient pu tuer plusieurs fois toute la population du globe terrestre.

"6- (...) Il existait plus d'une douzaine de variétés de puces qui piquent naturellement l'homme, et Ishii se mit immédiatement, dès 1941, à rechercher laquelle pourrait être le véhicule idéal de ses cultures de peste. Or, pour obtenir un grand nombre de puces et les nourrir, il fallait capturer et faire multiplier d'énormes quantités de rats, ce qui devint la tâche principale du "bâtiment des animaux" que dirigeait Mitsuo, le frère ainé d'Ishii.

"7- (...) L'élevage de rats avait deux objectifs : celui de nourrir les puces, celui de préserver la virulence des bacilles. De fait des dizaines de milliers de rongeurs furent entassés dans le "bâtiment des animaux". (Tsuneshi, Keiichi, "l'Unité de guerre biologique qui disparut", Kaimei-Sha, Tokyo, 1981)

"8- (...) On calcula qu'une puce avalait cinq mille bacilles de peste en une succion de sang d'un rat moyennement malade, c'est-à-dire lorsque le sang de ce dernier contenait cent millions de micro-organisme par millilitre. Ces bacilles continuaient à se multiplier dans les voies digestives de la puce, si bien que quelques jours plus tard, on distinguait déjà au microscope des formations infectieuses dans l'estomac de l'insecte. Puis l'estomac se soulevait, obstruait la gorge et l'oesophage, lesquels se distendaient. C'est à ce stade de la maladie que la piqûre de la puce devient infectante. En effet, les parois de son pharynx et de son gosier se contractent quand elle arrête d'aspirer le sang, et elle régurgite ainsi dans la blessure qu'elle vient de causer dix à vingt quatre mille micro-organismes dont certains passent dans le sang de leur nouvel hôte. Si ce dernier est prédisposé, il contracte immédiatement la peste bubonique ou septicémique. Ishii constata qu'une puce infectée et dont le gosier était ainsi bloqué survivait un mois, et qu'une seule de ses piqures pouvait alors être mortelle. ("Plague-The Vector", Encyclopaedia Britannica, William Benton, Londres, 1964)

"9- (...) Le service n°2 disposait de quatre locaux spéciaux pour l'élevage industriel des puces. (...) Des jarres étaient bourrées de pailles de riz pour que les puces restent bien à l'intérieur, puis l'on introduisait quelques puces ainsi qu'un rat blanc qui leur servirait de nourriture. Le rat était immobilisé de sorte qu'il ne puisse détruire les puces. Les puces seraient plus tard enfermées dans des bombes en porcelaine et en céramique, lancées d'avions et explosant avant de toucher le sol (1943-1944). Le taux de survie des puces après explosion était de 80%. Et leur piqure était désormais mortelle.
"D'autres bombes en céramiques, porteuses de bactéries de tétanos et d'anthrax, furent considérées comme utilisables sur le front. Celles chargées de germes de typhoïde et de dysenterie concerneraient des attaques sur l'arrière des lignes. ("Procès des ex-militaires japonais et armes bactériologiques à Khabarovsk, 1949, ed. de Moscou, 1950)

"10- (...) La bombe Ha devait répandre de l'anthrax pulmonaire sur les champs de batailles; elle était mortelle pour les hommes et les animaux.
"(...) Les bombes à puces Uji s'attaquerait à la population civile et au bétail. Des centaines d'expériences eurent lieu dans le plus grand secret avec les bombes I, Ro, Ha, Ni, U, Uji, Uji-50, Uji-100 et Ga en verre. (...) L'on étudia plus encore le boutulisme, la brucellose, le choléra, la dysenterie, la gangrène gazeuse, la morve, la grippe, la méningite cérébro-spinale, la salmonellose, la variole, le tétanos, l'encéphalite provoquée par la tique, la tuberculose, la tularémie, la typhoïde, le typhus et d'autres agents toxiques tels le fugu, la fièvre hémorragique et le tsutsugamushi. (Thomson, Lt.col. Arvor.T. "Rapport sur la guerre bactériologique japonaise, Forces du Service de l'Armée, Camp Detrick, Maryland, 1946)

"11- (...) En parlant des possibilités d'infecter les produits alimentaires, Ishii déclarera qu'il sera effectué des recherches utilisant des bacilles de choléra, de dysenterie, de typhoïde et de paratyphoïde afin d'infecter des légumes, des fruits, du poisson et de la viande. L'on crééra même un groupe de sabotage au sein de la 2ème division des Forces Terrestres du Quartier Général Impérial... l'on utilisera des stylos injecteurs de bactéries, du chocolat infecté de bacilles d'anthrax et, en association avec l'Institut de recherches techniques de la IXème armée, l'unité de Ishii travaillera au lancement de plusieurs ballons géants porteurs de germes qui traverseront le Pacifique jusqu'aux Etats Unis." (Procès des ex-militaires japonais à Khabarovsk, 1949 ; Bacteriological Warfare, Sunday Mainichi, 27 janvier 1952 ; Rapport de la Commission scientifique internationale pour l'enquête sur les faits concernant la guerre bactériologique en Chine et en Corée (ISC), Pékin, 1952)

Critique du "messhi-hôkô" - II
Exterminer le soi et servir le bien public en tant que base dogmatique de l'orthodoxie fasciste du maître zen Yasutani Hakuun (1885-1973)

"Il va sans dire, écrit le maître zen Yasutani Hakuun, que les dirigeants du Syndicat des enseignants sont à l'avant-garde des faibles d'esprit (...) de concert avec les quatre partis politiques de l'opposition, le Syndicat des travailleurs de la fonction publique, l'Association des jeunes juristes, la Ligue des citoyens pour la paix au Vietnam, etc., ils ont entrepris de trahir la nation... Les universités que nous avons doivent être écrasées une bonne fois pour toutes. Si la Constitution actuelle ne permet pas de le faire, il faut se dépêcher de la déclarer nulle et non avenue, car c'est une constitution non japonaise qui fait beaucoup de tort à la nation, un faux et un rejeton bâtard des forces d'occupation alliées (1951)(...)
"Que faut-il faire par exemple quand il devient nécessaire, pour se débarasser de mauvaises influences et servir les intérêts de la société de tuer des oiseaux, des insectes, des poissons, etc., ...ou en allant plus loin, de condamner à mort des individus extrêmement malfaisants et brutaux, ou encore d'engager la nation sur le chemin de la guerre totale ?
"Les gens qui comprennent l'esprit des preceptes (bouddhistes) mahayana devraient pouvoir répondre à cette question sans hésitation. Bien évidemment, il faut tuer, tuer le plus grand nombre possible. Il faut se battre durement et tuer tout le monde dans l'armée ennemie. Et ceci parce que, pour amener la compassion et la soumission filiale jusqu'à leur perfection, il est nécessaire de venir en aide au bien et de punir le mal.Toutefois, lorsqu'on tue, il faut avaler ses larmes et garder présent à l'esprit le principe consistant à tuer et en même temps ne pas tuer. Ne pas tuer un homme mauvais qui doit être tué ou ne pas détruire une armée ennemie qui doit être détruite reviendrait à trahir la compassion et la soumission filiale, à violer le précepte interdisant de ne pas tuer. C'est une caractéristique spéciale des préceptes mahayana. (...) (Quant aux Juifs) nous devons savoir que les Juifs ont des enseignements démoniaques affirmant par exemple (l'existence de) l'égalité dans le monde phénoménal, troublant ainsi l'ordre public dans notre société nationale et détruisant l'autorité (du gouvernement)(...)" ("La crise des affaires humaines",Yasutani Hakuun cité dans "Le regard des japonais d'après-guerre sur le bouddhisme", "Le zen en Guerre", Victoria, 2001)

MARUTAS
"12- (...) La prison (de l'Unité 731) était une vraie vision de l'enfer. Par un juda aménagé dans la porte d'acier de chaque cellule, les gardiens vérifiaient l'état des "marutas", ce qui signifie en japonais "la bûche, la bille de bois"(en tant qu'une entité physique). Ils voyaient des membres pourris, des bouts d'os qui pointaient hors des chairs noires de nécrose. D'autres suaient dans une fièvre atroce, se tordant et gémissant de douleur. Ceux qui souffraient d'infections respiratoires ne faisaient plus que tousser. D'autres avaient le corps gonflé, d'autres encores étaient squelettiques, et il y en avaient couverts de blessures ouvertes ou de cloques... Les japonais mettaient souvent un maruta infecté avec d'autres prisonniers en bonne santé afin de vérifier la facilité avec laquelle se propageait la maladie. Un maruta n'avait aucune possibilité de s'évader ni d'échapper à l'inoculation d'une maladie contagieuse. (...)
"(...) Pour les services commémoratifs l'on prenait un prêtre bouddhiste parmi les soldats du camp". (Morimura II, Ch.1, section : "The "logs" supply route" ou "la route d'approvisionnement en marutas" et "3000 personnes furent sacrifiés -aux expériences- à Pingfan", documents du procès de Khabarovsk, 1949, ed. de Moscou, 1950)

"13- (...) Le détachement 731 (appelé également unité Ishii, unité Togo, unité Kamo, unité 25202 de Mandchourie, unité de fourniture d'eau et de prévention des épidémies de l'armée de Kwantung) fut formé sur l'ordre donné en 1936 par l'empereur du Japon Hirohito. Cet ordre de l'empereur fut imprimé et distribué à toutes les unités de l'armée japonaise pour l'information de tous les officiers."


Critique du "messhi-hôkô" - III
Le projet civil et militaire shintô de l'empereur Hirohito et le "non-ego" bouddhiste, en tant que, selon Ichikawa Hakugen (bonze contestataire) , "principe théorique et moral au service de l'impérialisme (testamentaire) du mikado".

Taisho - L'Ere de la Grande Justice, 1912-1926
"En sortant du sanctuaire (noël 1926), après avoir déclaré ses intentions à ses ancêtres, Hirohito avait accompli la cérémonie qui le couronnait empereur aux yeux de son peuple. Ce soir là, dans le petit Versailles du palais d'Asaka, il prit un pinceau et rédigea le premier brouillon d'un texte décrivant les aspirations de son règne :
"1- Simplicité au lieu de l'ostentation,
"2- Originalité au lieu de l'imitation aveugle,
"3- Progrès en vue de cette période d'évolution,
"4- Maintien au niveau de l'essor de la civilisation,
"5- Harmonie nationale dans les desseins et dans l'action.

Le 4 Juin 1921, lors de son voyage en Europe, Hirohito inspectera les Invalides (l'histoire scolaire japonaise retiendra qu'il emportera au Japon un buste de Napoléon, mais aussi les bustes de Darwin et de Lincoln), qu'il visitera les principaux champs de batailles (d'Ypres à Verdun), l'Ecole Française d'Artillerie et la plupart des établissements militaires nationaux sous la direction de Pétain.

Le 7 juin, Hirohito organisera, avec l'un des chefs des services secrets des armées, le prince Higashikuni, et au service du grand projet militaire et industriel asiatique : "Conquérir, Evoluer, Libérer", deux réseaux d'espionnage à Paris, l'un pour le compte du 1er ministre japonais Yagamata, l'autre pour renverser ce même Yagamata.

"Le peuple japonais doit devenir le centre du tourbillon qui libèrera le monde, écrira le Dr. Okawa Shumei en 1920 dans l'hebdomadaire "War Cry". La nation japonaise est destinée à accomplir la révolution mondiale. La réalisation de cet idéal et la réorganisation du Japon sont l'oeuvre des esprits. Nous croyons que notre devoir ne prendra pas fin avec la révolution ou la réforme du Japon seul mais nous devons commencer par la réforme de notre nation car nous avons foi en sa mission qui est de libérer l'univers".

Le Dr. Okawa Shumei jouera un rôle particulier dans le grand projet militaire et scientifique du Japon impérial (Etat de justice). Idéologue révolutionnaire et philosophe orientaliste, linguiste sanscritiste et helléniste (il possèdera également le chinois, l'arabe, le français et l'anglais), il sera l'un des chefs de l'organisation terroriste "Société du Dragon Noir" (qui propagera l'assassinat politique idéalisé dans toute l'Asie, son chef suprême étant l'assassin impérial Toyama Mitsuru, protecteur du banquier nationaliste chinois Tchang Kaï-Chek, lui-même protecteur de Sun Yat Sen).
Il sera également le directeur de l'Ecole d'Endoctrinement (de l'élite administrative, scientifique et militaire secrète) du Palais Impérial (située dans la maison même de la météorologie impériale sur le site fortifié du Grand Palais de Tokyo) sous le commandement du comte Makino Nobuaki, organisateur des conspirations jusqu'en 1935. Le comte Makino Nobuaki sera chef de l'escorte impériale, ministre du Sceau Privé et principal conseiller civil d'Hirohito.

Le 27 octobre 1921 (Hirohito est rentré de son voyage européen le 3 septembre) le prince Higashikuni mettra sur place une nouvelle organisation terroriste impériale à Baden-Baden. Elle jouera un rôle international non négligeable durant les "trente années de guerre, 1921-1951" avec pour chefs Nagata Tetsuzan, Obata Tashiro et Okamura Yasuji, les "Trois Corbeaux".
Cette organisation ultramilitariste aura pour principal objectif, dans un premier temps, de libérer l'armée impériale de sa faction traditionnaliste samuraï, des anti-impérialistes, des chefs constitutionnalistes... et de faire "payer" les cartels industriels et banquiers pro-américains qui refuseront de financer l'effort de guerre en Chine et en Mandchourie.

Trois d'entre les "onze assassins" (hommes de confiance recrutés par les Trois Corbeaux) seront jugés comme criminels de guerre de catégorie A (crimes majeurs) lors du procès de Tokyo et pendus en 1948, citons Tojo, Itagaki Seishiro et Doihara Kenji. Isogai Rensuke (l'un des onze assassins de l'empereur) qui assumera la responsabilité de la défaite dans la guerre de frontière contre la Russie en 1939, sera nommé Gouverneur Général de Hong-Kong après la Seconde Guerre mondiale. Durant les années 1970 sa notoriété ne décroitra pas (...). ("La conspiration de Hirohito", David Bergamini, Fayard,1973)

Critique du culte de la paix bouddhiste par le "non-ego" et du service du bien public japonais en Chine.
"1- (...) On se rappellera, écrit le bonze Brian Victoria dans "Au sein de la sphère de copropospérité de la grande Asie de l'Est", que la branche (bouddhiste) du Jodoshinshu (secte shin) Higashi-Hongan-ji avait ouvert un temple à Shanghaï dès 1876 et fondé une mission en Corée en 1877. La victoire sur la Chine et la Russie ayant consacré l'expansion du Japon sur le continent, ces initiatives de la secte shin ont pris par la suite un prodigieux essor.

"2- En 1918, la branche Nishi-Hongan-ji (également secte shin et de laquelle relève historiquement Ryukoku University) possédait 34 missions en Corée et celle du Higashi-Hongan-ji, 58. En 1941, elles en avaient respectivement 53 et 80 en Mandchourie.

"3- (...) En 1937, l'aristocrate Otani Sonyû (1886-1939), chef administratif du Nishi-Hongan-ji, acceptera le portefeuille des Affaires Coloniales dans le premier cabinet du prince Konoe Fumimaro (lequel se sachant accusé de crimes de guerre par le tribunal allié, se suicidera en 1945) et prendra par la même occasion la responsabilité directe de la gestion de l'empire japonais ; Sonyû sera aussi président de l'Entreprise pour le Développement de la Chine du Nord afin d'assurer l'exploitation des zones récemment conquises en territoire chinois. (...) La famille Otani, héritière de la tradition institutionnalisée Shinran et branche de la famille impériale, sera également un puissant actionnaire de la Société du chemin de fer de la Mandchourie du sud.

"4- (...) Le travail missionnaire sur le continent n'était pas non plus l'apanage de la secte shin. La secte soto du zen (...) qui avait fondé sa première mission en Corée en 1904, en possédait 31 en 1912 et plus de 100 à la fin de la guerre. En 1907 elle s'attèlera à la tâche en Mandchourie, pour atteindre un total de 37 misions en 1940.

"5- L'année 1907 inaugurera également la fondation de la première mission en Mandchourie de la secte nichiren, elle en aura 20 à la fin de la guerre. La secte Jôdô ouvrira quant à elle son premier temple en Chine en 1905, tandis que plus de 300 missionnaires appartenant à la secte ésotérique shingon stationneront en divers endroits de Chine et de Mandchourie pendant les années de guerre (...)." (Le zen en guerre, Brian Victoria, seuil, 2001)

Trois éléments pour une étude de la paix civile antique et des sciences militaires appliquées
(1) Le culte de la paix civile antique sur la base de "l'efficace par la guerre" de l'empereur Justinien.
(2) Le culte de la paix civile sur la base des "projets militaires ordinatorisés" (structure axiale métaphorique de la psychologie durant la guerre froide aux Etats-Unis) selon Paul N. Edwards.
(3) Le culte de la paix civile sur la base stratégique du "messhi-hôkô" (de l'extermination du soi pour le bien du service public) pour la reconstruction, l'industrialisation civile et militaire du Japon et la défaite du communisme.

La voie civile et militaire du Dr. Vannevar Bush (1890-1974)
En 1927, Vannevar Bush conçoit au MIT "l'analyseur différentiel", l'un des premiers ordinateurs analogiques à pouvoir résoudre des équations simples. En 1932, Bush est nommé vice-président et doyen du MIT et en 1938, président de l'Institut Carnegie de Washington (DC.).
En 1940, il rencontre le président Roosevelt. De cette rencontre naît le National Defense Research Committee (NDRC) qui a pour mission de guider le gouvernement, l'armée, l'industrie civile et les scientifiques du plus haut niveau dans la recherche militaire.
En 1941, Vannevar Bush, nommé par Harry Truman directeur de l'effort de guerre de plus de 6000 scientifiques (coiffant à ce titre le projet Manhattan), dirige l'Office of Scientific Research and Developement (OSRD) qui a juridiction sur le NSRD. Dans le courant de la guerre Bush met au point un nouvel ordinateur analogique qui simplifiera les tables de calculs de tir de l'artillerie americaine, le Rockefeller Differential Analyser.
En 1945, il invente Memex dont l'objet consiste à étendre la mémoire humaine en permettant l'organisation d'informations par associations (As We May Think, 1945). Memex sera la base technologique militaire de l'hypertexte.
En 1947, Bush sera nommé directeur d'AT&T puis, en 1948, directeur de Merck & Co (pionnier pour le développement d'une culture juridique des DPI, Droits de Propriété Intellectuelle, de l'IPC, Intellectual Property Committee et de l'ATCC, American Type Culture Collection commerciale) tout en présidant le Development Board of the National Military Establishment. En 1950, il créra la National Science Foundation (NSF) et présidera de façon exécutive la MIT Corporation de 1957-1959 puis en tant que président honoraire jusqu'en 1971 (son discours fondateur As We May Think est accessible sur de nombreux sites http://www.ibiblio.org/pioneers/bush.html , http://www.LivingInternet.com/i/ii_bush.htm , consulter également "On the Trail of the Memex", Vannevar Bush, Weblogs and the Google Galaxy, http://www.dichtung-digital.org/2003/issue/1/jerz/)


Le dix-huitième chapitre de P.Williams et D.Wallace.
"(...) Si, après la guerre, les américains se sont généralement opposés à la nomination des militaires de haut rang, ex-chefs de l'unité 731, aux postes universitaires les plus élevés, les chercheurs civils mobilisés dans cette unité et tous les savants associés à leurs travaux ont repris librement leur vie universitaire distinguée (...)"
Cette option constituera la trame scientifique et juridique des tractations commerciales entre les services scientifiques militaires de Camp Detrick, l'US Army's Chemical Corps, les principaux laboratoires des universités privées japonaises, l'industrie civile et militaire chimique japonaise, américaine, allemande, anglaise, force de frappe de l'effort de guerre à l'est comme à l'ouest.
Les tractations concerneront essentiellements les activités de la pétrochimie, de la chimie de base et de la chimie de spécialités :
1) la pétrochimie et la chimie de base : chimie organique, chimie minérale, produits optiques, aluminium, caoutchoucs, synthétiques, polyester....
2) la chimie de spécialités :
     a) la chimie fine : teintures, matières premières pour les produits pharmaceutiques, caoutchoucs organiques, pigments, agents pour le traitement de l'eau...
     b) l'agrochimie : insecticides, fungicides, herbicides, fertilisants, régulateurs de croissance...
     c) la pharmacie : médicaments (cardiovasculaires, respiratoires, antibiotiques, hormones, vitamines, pharmacopée des maladies du système nerveux central, immunologie...), produits vasculaires, réactifs pour diagnostics...

Les zaibatsu (trusts japonais pré-1945) Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Fuyo, Takeda, Yamanouchi, Tanabe, etc. seront au coeur des "joint venture" passés en 1946 pour le financement de la recherche industrielle civile et militaire (japonaise et occidentale) et la recherche de l'université privée (creuset de la réhabilitation des chercheurs civils de la guerre chimique et bactériologique en Chine et en Mandchourie).
Le Tokyo Business Today de mai 1989 (année du décès de l'empereur Hirohito) fera, par exemple, état du "joint venture" entre Mitsubishi et Monsanto; et les sites internet de la pétrochimie, de la chimie de base et de la chimie de spécialités japonaises de l'année 2003 montreront clairement l'évolution des montages financiers japonais d'avec les filiales (parfois récentes) de chaque maison mère de l'industrie chimique militaire américaine, allemande ou anglaise de 1946.
Mitsubishi Chemical America (maison mère fondée en 1834) se liera, par exemple, aux géants Mytex Polymers US, Exxon Chemical Corporation, Honeywell; Mitsui Chemical America (maison mère fondée au XIIème siècle) se liera à Cytec Industries Inc.; dès 1985, Sumitomo Chemical (maison mère fondée au début du XVIIème siècle) se liera à ICI, Upjohn, SmithKline Consumer Products, Mediphysics, Wellcome, Pfizer, Didronel, Procter&Gamble, Bio-technology General Corps, Bayer Cropscience AG, etc... ; Takeda Chemical Industrie (maison mère fondée en 1781) fondera le géant TAP Pharmaceuticals aux USA et se liera au géant Lederle US et à l'allemand Gruenthal GmbH ; Yamanouchi (maison mère fondée en 1923) s'associera à Merck & Co, Rhône Poulenc, Genetics Institute, Shaklee Corps et Roberts ; Tanabe (maison mère fondée en 1678) deviendra un conglomérat réputé dès 1946 pour sa production en continue d'acides aminés... et dès 1980 pour ses recherches fondamentales sur le génome humain. Tanabe s'associera aux géants Hoescht Marion Roussel US, Sandoz et Rhône Poulenc.
(sur la doctrine du très collabo patronat japonais cliquer Nippon Keidanren ).

L'unité 731 pour les expérimentations humaines en Mandchourie et la recherche civile au Japon

"(...) Le Dr. Kiyoshi Asanuma, qui visita Pingfan en 1942-43 (Unité 731 pour les expérimentations humaines en Mandchourie) et qui identifia la tique comme vecteur de la fièvre hémorragique, est entré aussitôt après (la fin de la guerre) à l'Institut de la recherche des ressources naturelles*. Son compagnon lors de ce séjour "entomologique" à Pingfan, le docteur Asahina, est devenu au ministère de la Santé et de l'Hygiène publique chef du Service entomologique des laboratoires de recherche pour la prévention des maladies. (*"Les Etats-Unis ont soutenu les tests bactériologiques Japonais sur les malades mentaux", Observer, 21 août 1983)

"Le Dr. Kenichi Kanazawa, auteur d'expériences avec les tiques Songo, est devenu, à son retour au Japon, chef du service des recherches de la société pharmaceutique Takeda. ("L'unité de guerre bacteriologique qui disparut", Tsuneishi, 1981)
"Le Dr.Koji Ando, chef à Dairen du Service des vaccins de l'Unité 731, est devenu professeur à l'Institut de recherche des maladies infectieuses (ex-Den Ken) à l'université de Tokyo. ("L'unité de guerre bactériologique et le suicide de deux médecins", section "La famille dépossédée", Asano, 1982)

"Le Dr.Tsunesaburo Fujino, ex-membre du détachement de Singapour, reparut comme professeur de l'Unité de recherche biologique de l'université d'Osaka.

"Le Dr. Tachiomaru Ishikawa, pathologiste, a tranquillement emporté de l'unité 731 des milliers d'échantillons pathologiques humains. Professeur depuis 1944 à l'université de Kanazawa, il l'est resté sous le régime américain. Devenu dans les années 1970 président de la faculté de médecine de cette université, il a fallu que des étudiants au courant de son "palmarès" de guerre fassent échouer la proposition d'un journal local, le Hokuriku Shinbun, qui voulait que lui soit remise une médaille pour sa "contribution à la société".

"Le professeur Ren Kimura, bactériologiste, maître de thèse d'Ishii pour son doctorat à l'université de Kyoto, responsable d'avoir recruté de tout jeunes docteurs pour les besoins de l'Unité 731, a été nommé après la guerre directeur de la faculté de médecine de Nagoya. Après avoir reçu le prix de l'Institut académique du Japon, il a été nommé membre de l'Académie des Sciences de New-York. ("La famille dépossédée", Asano, 1982)

"Le Dr. Masao Kusami, chef de l'équipe de pharmacologie de l'Unité 731, fut lui aussi nommé professeur de pharmacologie. Il enseigne à l'université de Showa.

"Le Dr. Toru Ogawa, chercheur à la sous-unité de Nankin (de l'Unité 731) où il travaillait sur les micro-organismes de la typhoïde et de la paratyphoïde afin d'empoisonner l'eau potable et les vivres de l'ennemi, a continué paisiblement ses recherches avec son frère Jiro à la faculté de médecine de la préfecture de Nagoya. ("Les Etats-Unis ont appuyé les essais bactériologiques japonais sur les malades mentaux", Observer, 21 aout 1983)

"Le Dr. Kozo Okamoto, chef de l'équipe de pathologie de Pingfan (1938-1945), où il dirigea des expériences de vivisection sur des prisonniers, devint professeur à l'université de Tokyo, directeur du département de médecine, puis professeur émérite à cette même université avant d'être nommé directeur du service de médecine à l'université Kinki d'Osaka. (Ibid et Who's Who of Contemporary Japanese, 1963)

"Le Dr. Takeo Tamiya, le "chercheur de cerveaux" à l'université de Tokyo pour le compte d'Ishii, allait ensuite acquérir une renomée mondiale avec ses recherches sur les maladies infectieuses causées par les rickettsies (rachitisme). Il devint aussi le premier directeur général de l'Institut National Japonais du Cancer et président de l'Association des médecins Japonais. (Ibid et Who's Who, 1963)

"Le Dr. Hideo Tanaka, expert en matière d'élevage intensif de puces, directeur de la faculté de médecine d'Osaka, reçut en mars 1979, l'Ordre du Soleil Levant.

"Le Dr. Yoshi Tsuchiya, chef du service des diagnostics du détachement de Nankin, dépendant de l'Unité 731, devint professeur honoraire de l'université de Juntendo. ("L'unité anti-épidémique de fourniture d'eau en Chine centrale", Asano, 1982)

"Le Dr. Toshikazu Yamada, directeur du Den-Ken Mandchou, détachement issu de la première unité bactériologique de l'Unité 731, devint professeur à l'université de Kumamoto, et pendant un temps directeur des services de l'hygiène de la ville de Yokohama.

"Le Dr. Taboku Yamanaka, technicien civil attaché en 1940 à la sous-unité de Nankin (de l'Unité 731), devint le doyen de la faculté de médecine d'Osaka et en 1974 le quarante-septième directeur de l'Association de Bactériologie du Japon.

"Le Dr. Hisato Yoshimura, qui gela des prisonniers jusqu'à ce qu'ils meurent pour étudier sur eux les effets du froid, devint membre, puis président de la faculté de médecine de Kyoto, conseiller de l'expédition antarctique Japonaise, et président de la Société météorologique. Comme on lui reprochait en 1978 ses crimes en Mandchourie, il démissionna de cette dernière société pour des raisons de santé (tuberculose). Cela ne l'empêcha pas de recevoir l'Ordre du Soleil levant de 3ème classe. Il fut ensuite président de l'université féminine de Kobe, et conseil d'association pour la promotion de la nourriture congelée. Aujourd'hui il ne nie pas qu'il a participé à des expériences de congélation sur des "marutas", qui, prétend-il, étaient payés pour leurs services. Il parle même d'un bébé que sa mère aurait offert "volontairement" comme sujet d'expérience. ("Les Etats-Unis ont appuyé les essais bactériologiques du Japon sur les malades mentaux", Observer, 21 aout 1983)

"(...) Le Dr. Masahiko Takahashi, le grand spécialiste de la peste à Pingfan, devint médecin généraliste puis directeur d'une clinique à Mobara, dans la prefecture de Chiba.

"(...) Lorqu'éclata la guerre de Corée, Ryoichi Naito (Unité 731), l'ancien interprètre de Murray Sanders, médecin militaire de Camp Detrick chargé de percer le secret de la guerre bactériologique au Japon avant le procès de Tokyo (Sanders aura le prix nobel de Biologie -bactériologie et virologie- en 1967), fonda la Banque Japonaise du Sang et Kitano (qui succéda à Ishii comme chef de l'Unité 731) devint chef de la filiale à Kyoto.
"Naito fit de sa Banque du Sang une multinationale : la Société de la Croix Verte, dont le siège est à Osaka et qui emploie de nombreux ex-membres de l'Unité 731. La Croix Verte est devenue un géant pharmaceutique qui fabrique, en plus de l'interféron, du plasma et du sang artificiel.(...) Naito en sera président en 1973. (...)
"Membre de l'Académie des Sciences de New-York, Naito, en 1963, reçut le prix de la Société Japonaise des Sciences pour son oeuvre "de pionnier du sang artificiel". Se rappelle-t'il qu'à Pingfan, ses chercheurs ont une fois rempli de sang de cheval des prisonniers transformés en cobayes humains au cours d'un premier essai pour trouver un produit de substitution au sang humain ? (...) En avril 1977 Naito fut décoré de l'Ordre du Soleil Levant. Il mourrut en 1982. la Croix verte envisage de construire à Los Angeles un nouveau complexe qui portera le nom du docteur Naito.

"Le Dr. Sueo Akimoto, jeune sérologiste affecté, lors de sa mobilisation à la fin de la guerre, à Pingfan, a écrit un livre sur la déontologie médicale avant d'abandonner sa carrière universitaire à la suite d'un traumatisme subi à Pingfan et des remords qui le torturaient : "... Je regretterai jusqu'à ma mort (...) Ces gens étaient mes amis et je n'ai pas eu le courage de les condamner...Il est étonnant que ces gens n'aient pas honte. Leur travail en Mandchourie n'avait rien à voir avec le patriotisme. C'était le résultat d'un élitisme monstrueux."
("La guerre bactériologique", P.Williams et D. Wallace, 1990, et quelques photographies de médecins et chercheurs civils de l'Unité 731...)


Dr. Okamoto / Dr. Tanaka / Dr. Yoshimura / Dr. Naito / Dr. Yagisawa //// photos sources : (1)

Meiji Tenno (Empereur) / Taisho Tenno / Showa Tenno (Hirohito) / Showa Tenno (Hirohito)(2) / (2)

La dernière photographie d'Ishii en uniforme, 1946 (1)





   (1) "La guerre bactériologique" P.Williams, D.Wallace, Ed. Albin Michel
   (2) "La conspiration de Hiro-Hito" D.Bergamini, Ed. Fayard

(1) "Fu-go", les ballons bactériologiques Japonais, anthrax spores, Manchurian Shepp pox (variole), http://www.ufx.org/fugo/fugo.htm
(2) "Quand le Japon "oublie" ses crimes", Philippe Pons, Le Monde Diplomatique, octobre 2001
(3) "Contre les amnésies dictées par les intérêts des Etats" et "Crimes de guerre Japonais et mémoire populaire", Antoine Halff, Le Monde Diplomatique novembre 1995
(4) "Crimes de guerre : pas d'excuses nippones", Le Web de l'Humanité, 27 novembre, 1998
(5) "Japon : on expurge l'histoire de la guerre", Arm Update, Elisabeth Nash, http://www.warc.ch/up013/06-f.html
(6) Tribunal International des femmes pour la répression des crimes de guerre sur l'esclavage sexuel militaire du Japon, Tokyo, 8-12 décembre 2000, Droits et Démocratie, http://serveur.ichrdd.ca/francais/prog/femmes/tribTokyoFra/index2.html
(7) Tribunal international des femmes pour la repression des crimes de guerre sur l'esclavage sexuel militaire du Japon (le Tribunal de Tokyo), John D.V.Hoyles, Executive Director, Association du Barreau canadien, http://www.cba.org/ABC/resolutions/2002_res/tokyo.asp
(8) Intégration des droits fondamentaux des femmes et de l'approche sexospécifique : violence contre les femmes, Nations Unies, Conseil Economique et Social, http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/70884469c8bd61e2c1256b61004f9a8d?Opendocument
(9) Tribunal de guerre sur les crimes de guerre américains en Corée, Cecile Chams, Mouvement communiste international, http://www.ptb.be/international/article.phtml?section=A1AAABBO&object_id=5451
(10) Instruments internationaux des droits de l'homme, Haut-Commissariat aux droits de l'homme
(11) Propagande historique sur la guerre du pacifique écrite coinjointement par des historiens militaires Japonais et Américains; "Guide to Japanese monographs and Japanese studies on Manchuria, 1945-1960, Office of the Chief of Military History Department of the Army, World War II Ressources, lateste additions http://www.ibiblio.org/pha/
(12) "L'Analyse Marxiste de la Religion au regard de la critique post-moderne", F.Houtart, CETRI, Centre Tricontinental, et Forum Mondial des Alternatives FMA



IV

La sustentation de la chose publique justinienne et la mise en perspective critique de Jupiter Stator, l'assassin politique idéalisé

Analogie entre la fabrication des bourreaux telle qu'étudiée par la neuropsychiatrie clinique et la psychologie, et la formation et les méthodes du patriotisme et de l'élitisme.

Les principaux éléments supports de notre dénonciation du mythe Jupiter Stator, discours fondement de l'empire justinien tel que défendu par le civiliste traditionnaliste P. Legendre, sont extraits d'une réflexion nourrie par la lecture de "Comment devient-on un bourreau ?", un très important article de Françoise Sironi, neuropsychiatre et psychologue, traitant des mécanismes de destruction de l'autre." (F. Sironi est également maître de conférence et enseigne à Paris VIII, elle dirige le Centre Georges Devereux, Centre Universitaire d'aide psychologique)

" (...) L'invocation mythologique de Jupiter Stator.
"1- Que signifie pour nous (P.Legendre) cette épithète, ordinairement traduite par : "qui arrête les fuyards"? Ce terme peut être utilement exploré, car dans Stator, il y a la racine indo-européenne sta, dont nous savons, tant par le verbe grec "histèmi" que par les deux verbes latins "sto" et "sisto", qu'elle est à l'origine des divers embranchements sémantiques sur la base de deux sens élémentaires auxquels sont accrochés ces verbes : "poser" et "se tenir". Ainsi Jupiter Stator peut-il être traduit littéralement : "celui qui pose" et "celui qui se tient"; c'est par enchaînements, succession d'analogies et dérivés, que nous parviendront au plus interessant panorama.
"Stator, notera Legendre, signifiera aussi "celui qui arrête les fuyards" ou "celui par qui toutes choses demeurent en l'Etat".
"2- (...) Stator est aussi "celui qui", d'après un célèbre récit mythologique "arrête les fuyards" et "met fin à la panique" (bas de page de Legendre : durant la guerre des romains contre les Sabins, Romulus, désespérant du courage des siens, pria Jupiter d'arrêter leur fuite, circonstance qui valut à ce Dieu le titre de Stator, voir Saint Augustin, "La Cité de Dieu").
"3- (...)Transmise et fixée comme invocation, l'adresse au Stator s'appliquerait bien à l'Etat moderne, ce Jupiter sécularisé, dont nous aurions avantage à méditer l'étymologie : la forme grammaticale "Status", je le rappelle, est autant rapportable à "sto" qu'à "sisto".
"4- Ainsi, dans l'économie de la Référence, l'Etat prend-il consistance de celui qui pose les places et se tient à sa propre place, la place jupitérienne. Métaphoriquement, l'effet juridique relève de l'instance qui arrête les fuyards, c'est-à-dire de l'instance jupitérienne qui le fonde.
"5- En tradition savante contemporaine je dirai : ce qui anthropologiquement doit être dit est inscrit "symboliquement" (en italique) par toute société comme "effet nécessaire" du discours de la Référence. C'est à ce titre et seulement à ce titre - "parce que" dans la représentation sociale le Père est mis en scène, quel que soit le mode de cette mise en scène -, que la construction juridique peut être tenue pour plausible et, partant, produit ses effets symboliques à l'adresse du sujet.(...)"("La justice généalogique et le pouvoir d'en juger", "Les enfants du Texte", Etude sur la fonction parentale des Etats, Leçons VI, P.Legendre, Fayard)

Il nous apparaît que l'élitisme et le patriotisme en général sont (en temps de guerre comme en temps de paix) "ce qui arrête les fuyards" et plonge dans la peine et la dégradation des droits ceux qui ne reviendront pas.
Ceux qui partent sont "pris de panique", peur de mourir ou lâcheté ? Nous ne pensons pas. Ils désertent et tournent avec raison le dos à l'Etat idéalisé "par d'autres" (l'instance généalogique sacrée et inaccessible legendrienne) et qui commande au destin idéologique de chacun, y compris à la torture du corps et de l'esprit de l'ennemi :"le déserteur, le traitre ou le prisonnier".
Celui qui fuit rompt toute filiation "à celui qui se tient" (qui n'éprouve ni peur ni honte, ni remord) à celui qui, selon l'expression de Françoise Sironi, a "détruit toute empathie", à celui qui a le pouvoir d'exécution et "qui n'a plus la capacité de s'identifier à autrui ou de ressentir ce qu'il (le déserteur idéologique, idéalisé négativement ou le prisonnier) ressent", et qui par conséquence détient la capacité du bourreau, la capacité et le devoir de tuer ou même de torturer le déserteur idéologique, le poète, le révolutionnaire ou l'anarchiste.

"L'effraction psychique, écrit F.Sironi, délibérément fabriquée, favorise (dans le contexte de la torture) la transmission des inductions contenues dans les actes des tortionnaires. "Tu es non humain...ein Stück, un morceau", disaient les nazis."
Les japonais de l'Unité 731 employaient pour "cobaye humain", le mot "marutas" ou "la bûche, le boût ou la bille de bois", l'entité physique. Le cobaye humain, le "marutas", écrivent Williams et Wallace "n'a aucune possibilité de fuir son destin d'être délibérément contaminé".
Telle nous apparaîtra, ici, la "transmission paradoxale" (par le tortionnaire de Sironi) de la non affiliation "à ce qui tient", Stator "l'assassin politique idéalisé" ( "monde à part du bourreau qui ne débouche pas sur une nouvelle affiliatio)... au cobaye humain, au déserteur, au poète politique ou au fuyard, celui qui ne reviendra pas ou qui sera repris (ou qui reviendra à la vie après un coma) et qui sera de nouveau torturé parce qu'il ne voudra pas/plus "combattre" pour sauver Rome, le Reich ou l'Empire... Ajoutons que la plupart des "marutas" sont des fuyards, des politiques, des vagabonds, des discriminés ou des prisonniers de guerre. (...)

L'effraction psychique dans un contexte de torture.
"(...) Le marquage physique et l'empreinte mentale procèdent de la fabrication de l'effraction psychique (...) A ceux qui croient que les tortionnaires sont des sadiques, dit Françoise Sironi, j'oppose la réalité de la froide logique et du pragmatisme des penseurs de dispositifs de tortures. (...) On ne nait pas tortionnaire, on le devient par la construction délibérée, intentionnelle, chez le bourreau de la perte de sa capacité d'empathie. Cette perte de la capacité d'empathie est un aboutissement, au final, d'un processus de désaffiliation avec le monde commun et d'affiliation à un monde résolument à part. Mais avant la coupure de cette capacité d'empathie, on a procédé à un accroissement de la connaissance et de la prédictivité des pensées d'autrui."

Mise en perspective d'évènements japonais purement patriotiques, bases de l'initiation impériale nationaliste, élitiste et moraliste d'avec trois manières de fabriquer des bourreaux
"Janvier 1983 : A Washington, M.Nakazone, 1er ministre, fait part de sa volonté de faire du Japon un "porte-avion incoulable" et à la Diète, dans son discours de politique générale, évoque le "bilan général de l'après-guerre".
"(...) Tois ans plutôt, en juillet 1980, le ministre de la justice Okuno Seisuke déclare : "défendre le Japon : voilà une notion qui fait défaut dans notre pays tout au long de l'après-guerre. C'est là un point noir dans l'enseignement de l'école et qu'il convient de corriger, tant du point de vue de l'éducation que dans une perspective globale de sécurité.
"(...) En octobre de la même année, Tanaka Tatsuo, ministre de l'éducation, devait lui aussi reconnaître devant la Diète que "le peu de place consacré aux développements sur le patriotisme dans les manuels, fait problème".
"En novembre, le président de la commission spéciale de la Chambre des Représentants sur la sécurité, Sakata Michio, dans un symposium organisé par l'Université George Washington aux Etats-Unis souligne la nécessité du traité de sécurité nippo-américain et de l'insertion du patriotisme dans les manuels.
"En décembre, le président de l'association des manuels scolaires, Kyokasho Kyokai, fait état d'une requête du PLD (droite et ultradroite) demandant que - notamment sur la question du patriotisme - des aménagements soient apportés dans les manuels sans attendre leur révision partielle qui doit intervenir tous les trois ans.
"En fait, cette campagne pour la promotion du patriotisme dans les manuels scolaires s'inscrit dans la seconde "attaque" orchestrée par les conservateurs contre les livres de classe, langue dans le primaire, instruction civique dans les collèges, société contemporaine dans les lycées. Le PLD est bien sûr à la pointe de ces critiques, mais il est soutenu par un parti d'opposition, le parti démocrate-socialiste, Minshato, une fraction du "zaikai", et des intellectuels de droite organisés autour de l'Université de Tsukuba, de la ligue internationale de lutte contre le communisme, Kokusai shôkyô rengô, et de l'académie pour la paix mondiale.
"On fait reproche aux manuels d'être imprégnés d'une phraséologie marxisante - quand on n'incrimine pas tout simplement la main de Moscou - de se montrer bienveillant envers l'Union Soviétique et mal disposés envers les Etats-Unis et le Japon même, de faire des descriptions tendancieuses des forces d'autodéfense ou de la propagande communiste sous couvert de pacifisme, de faire la part trop belle dans les descriptions constitutionnelles aux droits et pas assez aux devoirs des citoyens, d'attaquer les entreprises, d'accorder trop d'importance à la lutte des classes et pas assez à la piété filiale, de négliger à dessein la Maison Impériale, de se complaire dans un dénigrement antinational, d'encourager les grêves et les manifestations de rue sous pretexte de démocratie, de saper la politique de défense du gouvernement, etc,...(...)"("Les manuels scolaires des collèges : des livres douteux", Takihara Toshihiko et Morimoto Shinsho, 1981 et "les manuels scolaires : des tissus de mensonges", 1983, Tatsui Nobuya et Morimoto Shinsho, cités par Seizelet dans "L'insersion dans les manuels scolaires de développements particuliers sur le patriotisme", Les petits-fils du ciel, 1988)

"(...) De même, l'office central des sanctuaires -organe gérant les intérêts des sanctuaires shinto privatisés après la guerre - préconisait-il en 1979 dans sa plate-forme d'action le développement d'un mouvement de normalisation de l'éducation "ayant pour axe le maintien du prestige de la Maison Impériale" :
"1- promotion d'une éducation renforçant l'esprit de solidarité nationale, l'affection et la révérence envers la Maison Impériale.
"2- promotion d'une éducation développant l'esprit du patriotisme, le respect de l'hymne et du drapeau national.
"3- promotion d'une éducation du sentiment religieux, inculquant le respect des dieux et des ancêtres.
"4- promotion d'un juste enseignement de la langue japonaise et de l'histoire, respectueux des traditions et des mythes.
"5- promotion d'une éducation visant à réhausser la morale nationale et appuyée sur le rescrit impérial sur l'éducation.
"(...) Un document d'octobre 1980 remis par l'association pour la protection du Japon, "nippon wo mamoru-kai", groupe d'intellectuels de droite, au conseil général du département de Gifu, stipule que par "traditions", il fallait principalement entendre le Chap.I de la Constitution consacré à l'empereur dont la position symbole "est une réalité historique vieille de deux mille ans." ("Revalorisation de l'institution monarchique comme centre d'éthique nationale", Seizelet (plutôt libéral et institutionnaliste, 1988)

< 1 > Trois manières de fabriquer des bourreaux selon Françoise Sironi et critique de l'élitisme, du patriotisme et du militarisme.

Première manière de fabrication :
"L'on peut devenir un tortionnaire par initiation. L'initiation traumatique va avoir pour but d'affilier le tortionnaire à un groupe d'appartenance fort (corps d'armée, groupuscule para-militaire...). Pour ce, des techniques traumatiques vont être utilisées. Prenons l'exemple de la police politique grècque, la Kesa, à l'époque des Colonels (voir film, le Fils de ton voisin). La formation qui durait quatre mois, était organisée en trois phases :
"Première phase : valorisation de l'identité initiale, par accroissement de certaines qualités chez l'appelé, comme la force, la bravoure l'endurance...Notons que les instructeurs participent entièrement à la formation, aux marches, aux exercices d'endurance. Quels que soit leur âge, ils sont et restent toujours les plus forts.
"Deuxième phase : la phase de déconstruction de l'identité initiale... Les mêmes instructeurs deviennent soudain grossiers, humiliants, imprévisibles : leurs ordres sont totalement incohérents, absurdes. Tout lien personnel avec le monde d'avant (photos de famille, par exemple) est détruit volontairement par les instructeurs.
"Puis arrive la troisième phase : la reconstruction d'une nouvelle identité. L'accent est à nouveau mis sur la force, la bravoure, sur un enseignement théorique moralisateur et dichotomique : il y a les notres, il y a les ennemis. L'initiation se termine par une cérémonie rituelle officielle : la remise du képi signant l'appartenance au corps de police spéciale. L'initiation est pensée de telle sorte que la première des choses que doivent faire les jeunes recrues de retour après une sortie en ville confirmant qu'ils sont au dessus des lois, c'est de torturer un prisonnier".

"(...) Le Japon, écrira Seizelet en 1988, pour maintenir son avance technologique et tenir sa place dans la compétition internationale doit former de nouvelles élites capables de répondre aux défis du nouvel âge - ce qui suppose une plus grande ouverture sur le monde extérieur - de lui permettre d'exercer de plus grandes responsabilités en tant que membre à part entière du monde libre - et de valoriser le modèle culturel dominant qui a facilité son succès - ce qui suggère une plus grande indépendance par rapport aux archétypes moraux et éthiques d'un Occident englué dans la récession ....
"(...) Deux formules sont au goût du jour (dans les années 80 au Japon) : sécurité globale, "sôgô anzen hoshô", et gestion des crises "kiki kanri". Sur le premier point, un rapport du conseil économique du Japon, émanation du patronat nippon, daté d'avril 1980 est des plus révélateur. Quatre points principaux y étaient abordés :
"(a) Les perspectives destabilisatrices ouvertes au cours de la présente décennie par les fluctuations du leadership américain, la concurrence entre pays industrialisés et les revendications du Tiers-Monde, menaçant le libéralisme économique.
"(b) Le maintien de la sécurité des approvisionnements énergétiques et en matières premières.
"(c) Le rôle plus actif que doivent jouer le Japon et l'Europe dans le maintien des structures de l'économie libérale par un partage équitable des responsabilités avec les USA.
"(d) La sensibilisation de l'opinion publique interne aux impératifs de sécurité, requérant une revalorisation de l'idée d'Etat et des responabilités envers la communauté nationale.(...)

"(...) Le patriotisme, que l'on se place avant ou après la guerre, est une valeur nécessaire. Si le concept de sécurité implique la préservation de l'indépendance nationale et de la sauvegarde du pays contre les menaces internes ou externes, il faut, en se fondant sur le patriotisme, se vouer à l'Etat. Si la sécurité du pays devait être un jour menacée, la nation, pour y faire face devra s'unir en un seul bloc, faire fi des intérêts privés pour se consacrer corps et âme à l'intérêt public." ("Les attaques contre les manuels scolaires, la voie vers l'intégration de la défense et de l'enseignement", Mura Takahiro et Otani Masashi, 1981, cité par Seizelet dans "La crise des années 80 et le miracle technologique", Les petits-fils du soleil, 1988)


< 2 > Seconde manière de fabriquer des bourreaux.
"Des pays ou des groupes culturels soumis à des processus d'acculturation violents et répétitifs à travers leur histoire, peuvent constituer un terreau propice à la fabrication des bourreaux. Une idéologie, écrit F. Sironi, agit comme une acculturation violente, quand il n' y a plus aucun lien entre la culture d'origine et la culture nouvelle que l'on tente d'implanter. Plutôt que de fabrication de bourreaux, il serait exact de dire, dans ce cas, qu'une acculturation violente et répétée favorise l'émergence d'êtres qui ne sont plus humains, qui sont un pur fragment de négativité. Tel est le cas des enfants soldats du Mozambique, du Sierra Leone, et des enfants devenus Khmers Rouges au Cambodge.

"(Il est possible d'identifier) la trace de la fabrication des bourreaux dans la pathologie individuelle...
1-"(...) Une patiente, écrit Françoise Sironi, qui était médicalement suivie dans un centre de soins pour victimes de tortures ou j'exercais alors, souhaita témoigner sur les exactions des Khmers Rouges, au cours d'une émission télévisée. Qu'elle ne fut la surprise de son médecin et de tout ceux qui connaissaient son histoire quand nous entendîmes raconter une histoire qui n'était pas la sienne... Alors que la sienne était tout aussi tragique que celle qu'elle a racontée.
"Pourquoi cela ? Et pourquoi ma patiente cité plus haut agit-elle de cette manière, trente ans après les faits ?
"La réponse réside dans les techniques de déculturation et de fabrication de l'homme nouveau qui ont été en usage au Cambodge, pendant plusieurs années. Dans cette guerre civile méthodiquement organisée, ce sont des semblables qui s'entretuent (les gamins qu'on obligeait à tuer leurs parents), qui "s'entre-dénoncent" (les méthodes de délation systématisées) et qui deviennent leur propre bourreau (par la pratique intensive des séances d'auto-critiques). Tout un pays était soumis à une restructuration des liens. Les liens les plus dangereux étaient les liens "naturels". Tout lien de confiance est soudain susceptible de se retourner et de devenir un lien destructeur. Les pires ennemis, on les trouvaient dans sa propre famille.

2-"Voilà pourquoi Madame T. accuse son mari et son fils d'être des Khmers Rouges. Il en va de même pour les voisins. Plus ils sont proches d'elle culturellement ou géographiquement, plus ils sont dangereux. Elle n'est pas menacée par des français, ni par ceux qui ne sont pas des voisins directs, mais par les "siens".
"Les Khmers Rouges étaient spécialisés dans une méthode particulière d'interrogatoires, méthode à laquelle cette patiente avait été soumise : la technique, généralisée à l'ensemble d'un peuple, des aveux forcés. Même si les personnes n'avaient rien fait de mal, elles étaient accusées. Il leur fallait construire des aveux à partir de bribes d'éléments vrais de leur histoire.
"Ces aveux étaient mis en scène et déclamés publiquement. Placé dans une situation (la télévision, le public, les éclairages...) qui peut lui rappeler la situation traumatique initiale (les aveux publics où il fallait avouer n'importe quoi, quitte à mentir), "elle" déroule alors automatiquement la même séquence comportementale, qui est restée gravée dans son fonctionnement psychique, tel un engramme (trace laissée dans le cerveau par un évènement du passé individuel) partiellement désactivé mais qui se remet à être fonctionnel dès qu'une situation minimale lui rappelle la situation initiale.
"Quand aux Khmers Rouges, ils ont eux mêmes été soumis à des techniques de déculturation. Quand ils entraient dans les unités Khmers Rouges, généralement très jeunes, ils étaient souvent contraint à tuer un de leur parent, au choix, comme signe d'appartenance. Et immédiatement, cet acte signait leur désaffiliation avec des groupes naturels, par inversion des générations (les enfants avaient droit de vie ou de mort sur les adultes dans les camps de détention ou de travail), par affiliation transversale paradoxale, la personne la plus proche devenant obligatoirement un délateur."

La théorie des modèles préetablis, des "kata" et le fascisme des bons citoyens
Le sociojuriste japonais Ichiro Kitamura (plutôt libéral et institutionnaliste) écrira à propos de la coercition de la culture juridique des formes préétablies (kata) et de son impact sur la société dans son ensemble, que celles-ci, "les formes préétablies (juridiques), s'apprennent par imitation. Les modèles sont fournis non seulement par le précédent mais aussi par le comportement des autres. Une tendance à l'homogénéité et à la standardisation en est la conséquence : le critère de l'homme moyen ou raisonnable, employé en matière de responsabilité par exemple, cadre bien avec le caractère "extro-déterminé" de l'homme en combinaison binaire.
"Ensuite l'apprentissage et la conservation des modèles s'accompagne parfois d'une obsession perfectionniste. Symptôme d'une fixation psychologique, elle entraîne une tendance à la subtilité d'une part, et à d'autre part à l'intolérance, à l'intransigeance. Le droit mou (soft law, incitations administratives, directives, guide-lines) risque alors de devenir dur (un precepte à suivre, un modèle de réference ayant une valeur pédagogique), ce qui sera grave de conséquence sans contrôle efficace contre l'arbitraire de ceux qui le suivent ou qui l'exécutent (bas de page : Il y a, sur ce point, un phénomène, voire un malaise social, que les faibles sont éloignés et mêmes persécutés par les autres membres de la "maison", surtout à l'école, qui semble constituer une sorte de noviciat de la morale dirigiste et standardisante... (l'on parlera, plus tard) de fascisme des bons citoyens". ("Une esquisse psychanalytique de l'homme juridique au Japon", I.Kitamura R.I.D.C 4- 1987, Société de Légisation Comparée, Paris, 1989)

Façonnement des esprits
"(...) Les menaces qui pèsent sur l'archipel, écrit E. Seizelet, sont à la fois militaires, politiques, économiques et culturelles. Selon l'institut de recheches Nomura, proche des conservateurs et des milieux d'affaires, la crise ne s'identifie pas seulement à un quelconque danger en provenance de l'extérieur. Elle est comprise comme un phénomène social impliquant une modification du système existant. Elle est globale car par un effet d'entraînement, elle risque de porter atteinte au système libéral qui a permis l'expansion du capitalisme nippon et la stabilité du niveau de vie à l'abri du système de sécurité nippo-américain. En conséquence, dit Seizelet, la riposte doit être elle-même. L'axe militaire demeure : on a vu le "zakaï" - le monde des affaires - prendre position en faveur du renforcement des dépenses militaires et de l'établissement d'un nouveau consensus sur la politique de défense, allant jusqu'à proposer le retour à la conscription. Le but poursuivi était double : d'une part, lier la politique de défense à l'objectif de protection de la société libérale, d'autre part, stimuler les industries militaires pour limiter les effets de la récession....Du côté du PLD, certains ministres ont multiplié les "éclats" révisionnistes...

"(...) M.Fujio Masayuki, (...) président de la commission d'études politiques du PLD (principale formation politique au Japon), "seimu chôsakaï", (dira que) la réforme de l'enseignement en cours n'a pas seulement pour but "technique" la modification du système scolaire, mais "le façonnement des esprits en vue d'une opitimisation maximale de l'utilisation des chars et des avions dans le cadre de l'actuel système de sécurité" ou "la réaffirmation et la réactivation de l'ordre ethnonational, dont le Japon a hérité (1982)... (et fondé sur la valorisation du système impérial comme legs culturel).
"D'ores et déjà, écrira Seizelet, certains observateurs craignent que les stances sur l'internationalisation de l'archipel ne servent qu'à justifier la poussée du Japon sur les marchés extérieurs, à encourager le processus de "nipponisation" et de satellisation culturelles, appuyé sur le plan interne par une reprise en main idéologique exaltant un particularisme confinant parfois (le mot nous paraîtra très faible) au chauvinisme ..." ("L'instruction patriotique et l'internationalisation", Les petits-fils du soleil, 1988)


< 3 > Troisième manière de fabriquer des bourreaux et critique de l'élitisme, du patriotisme et du militarisme.
"Identification de la trace de la fabrication des bourreaux dans la pathologie individuelle...
"Dans ce cas de figure, il s'agit de la fabrication dans l'action, par l'action. Cette fabrication est déterminée par la situation de combat. Il s'agit d'une fabrication en temps de guerre, pendant les conflits. Prenons l'exemple des vétérans de l'Armée Rouge que j'ai suivi à Perm, dans l'Oural. Trois heures avant d'atterrir à Kaboul, ils apprenaient qu'ils allaient être affectés à la guerre d'Afghanistan. La logique de guerre est la suivante :"soit je tue, soit tu me tues". Cette logique est en permanence réitérée au combat.
"Cette formation est aussi déterminée par une formation à l'inaction, en temps de paix ou entre les combats.
"Pendant la guerre d'Afganistan, les unités d'éclaireurs étaient composées d'appelés qui avaient effectué la première partie de leur service en tant que garde-frontière, le long de la frontière sino-soviétique.
"La formation par l'action est également un modèle présent dans la Légion Etrangère. Les légionnaires doivent toujours être en action. Peu importe ce qu'ils font, même s'ils n'ont rien à faire, ils faut qu'ils soient en action. Et pourtant, de façon paradoxale pourrait-on croire, rien ne se passe, à la longueur de journée, dans leurs casernes. Cette mise en tension permanente par l'inaction (apparente, mais efficace), galvanise leur potentiel guerrier.
"La formation à l'inaction détermine l'attitude des combattants face à la torture, en situation de combat. On ne forme pas de la même manière des commandos, des pilotes de chasse et des spécialistes des transmissions.
"Comme pour les victimes de torture, la logique binaire est très présente dans la technique de fabrication des bourreaux. Ils la mettront en oeuvre, ultérieurement, avec les personnes qu'ils torturent. Le monde est séparé en deux : il y a le propre et le sale, le dedans et le dehors.
"(...) Pour que la coupure de la capacité d'empathie demeure efficiente, il faut que le tortionnaire pense l'autre comme un non-humain, comme "ein stück", un morceau. Si le morceau, dit F.Sironi, montre une capacité d'empathie avec le bourreau, si dont l'étanchéité des univers n'est pas parfaite, c'est le bourreau qui peut être menacé d'effraction psychique (...)"

L'article 65 des règles fondamentales du guide publié par le Service secret japonais pour les interrogatoires des prisonniers de guerre stipulera :
"Il est nécessaire de ne pas oublier que les méthodes de torture doivent êtres telles qu'on puisse facilement les appliquer, et il ne faut pas qu'elles suscitent (chez celui qui y recourt) des sentiments de pitié; elles ne doivent provoquer ni blessures ni cicatrices. Cependant, dans les cas où il est nécessaire de créer chez la personne interrogée un sentiment de mort, on peut ignorer le mal qu'on lui cause (....)." (Documents du procès de Khabarovsk d'ex-militaires de l'armée japonaise - essentiellement des savants médecins généraux et des officiers érudits subalternes- accusés d'avoir fabriqué et utilisé des armes bactériologiques, Moscou, 1950, cités par P.Willams et D.Wallace )

Chaîne des responsabilités humaines dans la construction des bourreaux et propagande des forces d'autodéfense envers les jeunes au Japon.
"Il existe des analogies, écrit F.Sironi, entre la formation des tortionnaires et les méthodes de tortures utilisées par eux sur des victimes de tortures : l'incommunicabilité de l'expérience, l'alternance imprévisible de phases (alternance bon et méchant instructeur, bon et méchant tortionnaire), l'organisation délibérée d'un traumatisme de nature intellectuelle. Mais là où les choses diffèrent radicalement c'est que la torture ne débouche pas sur une nouvelle affiliation. Une logique initiatique a été activée par l'utilisation de techniques traumatiques qui n'ont pas abouties à une nouvelle transformation, dans le cas des victimes de torture.
"Le traumatisme intentionnel, dira Sironi, ne peut être considéré comme une pathologie mentale. Il est l'expression d'un non-achèvement de la mise en acte de techniques traumatiques habituellement utilisées dans un processus initiatique."

"Comment combattre les constructions du bourreau ?"
"On ne peut pas soigner une personne traumatisée de façon intentionnelle, dira Sironi, et faire sortir l'agresseur de sa victime, si on ne s'interesse pas aux systèmes qui produisent ce type de traumatisme psychique (le pauvre sans terre traumatisé intentionnellement par les maîtres du travail forcé au Tibet d'ancien régime est pénalisé deux fois, d'une part par la catégorisation juridique de sa personne telle que définie dans les codes royaux et d'autre part par la démonisation de sa condition dans la langue des maîtres, n.d.a.), et si on ne s'interresse pas aux méthodes utilisées, aux agents qui les mettent en oeuvre, et à la formation de ces agents. Pourquoi ? Précisément parce que ce n'est pas de folie privée dont souffrent les victimes de traumatismes intentionnels.
"Ces traumatismes ont été pensés, élaborés en amont par des humains qui en connaissaient l'impact.
"(...) Le traumatisme lié à la torture est une "situation expérimentale", un exemple princeps par lequel se dévoile l'intentionnalité.
Cette clinique-là, met précisément le doigt sur ce qui a fait défaut chez Freud : la prise en compte de l'interaction. Comment penser la responsabilité de l'autre ou plus exactement comment penser qu'une psyché (modèle fictif de représentation d'un organe psychologique chez Freud) est perpétuellement co-construite ?

Les victimes de traumatismes intentionnels sont donc un paradigme par lequel se révèle la limitation de notre système de pensées...
"Celui-ci consiste à identifier le symptôme comme "production de la psyché" du patient. Dans la psychopathologie occidentale, le symptôme est considéré comme une production individuelle et le sens que va lui attribuer le thérapeute est toujours situé à l'intérieur de la psyché de la personne. Mais quand le désordre est lié à l'utilisation de la torture, quand il est la conséquence d'un processus d'influence, il est nécessaire d'introduire ce tiers de nature extra-psychique qui est à l'origine du mal dont souffre le patient.
"Toute la théorie du système tortionnaire est inscrite dans une partie des symptômes. Dans leur essence même, les symptômes sont le révélateur de l'influence et de l'intentionalité du tortionnaire.
L'agressivité et les accès de colère incontrôlés peuvent être compris comme une tentative d'expulsion du tortionnaire intériorisé. La pathologie liée au traumatisme apparaît alors non plus comme une figure désorganisatrice, mais au contraire comme une véritable organisation cohérente et logique.
"La psychothérapie avec des victimes de torture est menée sur un mode intellectuel. C'est délibérément que nous privilégions les pensées, non pas au détriment des affects, mais à la place du travail sur les affects. Pourquoi ? Parce que l'attaque du système tortionnaire a lieu au point d'articulation entre l'histoire singulière et l'histoire collective, la tentative de déculturation qu'ont subies les victimes de traumatismes intentionnels provoque un blocage de la pensée, (maux de têtes en lieu et place de pensées). C'est la capacité de pensée qui est attaquée, les idées, les adhésions aux groupes, communautés, mouvements divers... Récupérer la capacité de penser, se libérer de l'agresseur intériorisé passe obligatoirement par un travail sur l'intention des agresseurs. (...)"


< 4 > Critique de l'intensification de l'action de propagande des forces d'autodéfense envers les jeunes au Japon alors que l'art. 9 de la constitution de 1946 lui interdit tout "potentiel militaire".
1-"(...) Il faut noter, écrit Eric Seizelet, que d'anciens officiers supérieurs des forces d'autodéfense et des professeurs de l'académie militaire," bôei daigakko", école qui forme la "jieitaï" (forces d'autodéfense instituées en 1954 pour remplacer la Garde de défense, placées sous l'autorité du 1er ministre, elles sont chargées de la défense du territoire, de la lutte contre les calamités naturelles, de la protection de l'ordre public et de la surveillance maritime) sont liés à l'académie précitée pour la paix mondiale, par l'intermédiaire d'une amicale sur les questions de défense transformée en avril 1977 en section d'études sur la sécurité qui est une dépendance de l'académie.
"Cette dernière a rendu publique en octobre 1977 une série de rapports intermédiaires sur "les buts nationaux" déplorant "la démilitarisation psychologique et morale du Japon d'après-guerre", la perte des valeurs nationales et du sens du devoir, les excès de l'individualisme, compromettant le réflexe collectif de défense.
"Elle proposait à titre de remède d'agir auprès des pouvoirs publics et des médiais, la rédaction de manuels types, l'organisation de cycles de conférences, de stages spéciaux pour les enseignements du primaire et des collèges, la création de chaires dans les Universités spécialisées dans la politique militaire, la défense et les questions stratégiques voire des périodes d'incorporation de courte durée pour les professeurs et leurs étudiants de séminaires (...)

2-"Dans quel esprit la "jieitaï" entend-elle obtenir la reconnaissance populaire et se faire connaître auprès des jeunes pour l'application de cet objectif ?
Une instruction d'avril 1978 émanant du "Bôeichô" (agence de Défense, organe détaché des services du 1er Ministre chargé des questions de défense et dont le directeur a rang de ministre, crée en 1954 en même temps que les forces d'autodéfense) est à cet égard révélatrice :
"La défense de notre pays n'est pas seulement du ressort de la "jieitaï". Elle doit reposer très largement sur des assises nationales, exigeant des efforts persistants, tant sur le plan culturel, qu'au niveau diplomatique et économique, en vue d'obtenir le soutien et la compréhension de toutes les couches de la population, d'obtenir sa confiance et sa coopération."
"En d'autre termes, la défense n'est pas seulement l'affaire des militaires. Ce doit être aussi une préoccupation de l'ensemble de la nation. Pour cela, la "jieitaï" entend mener une politique de propagande et de relations publiques qui est à double détente :
- informative : rôle, structure, missions des forces d'autodéfense,
- pédagogique : une meilleure connaissance des impératifs de défense,
"la conjonction de ces deux actions devant permettre à la fois la reconnaissance populaire de la "jieitaï" en tant que force de défense, et l'établissement d'un consensus national (...)

3-"Outre les manifestations "grand public" telles que : concerts, films, visites de camps et de bases, journées portes ouvertes, parades diverses, incorporations de courte durée, participations aux fêtes populaires, dont l'objectif principal est d'inciter les populations locales à des rapports de bon voisinage avec les forces d'autodéfense, il convient de citer les "journées jieitaï", "chibikko yangu taikai", organisées depuis 1977 pendant les vacances d'été, au profit des élèves du primaire et des collégiens. Elles comprennent principalement des expositions de matériel, des films, une invitation au maniement des armes, l'organisation de compétitions sportives et de camps de jeunes, parfois une journée d'enrôlement simulé.
"Pour les plus âgés, il existe depuis 1979 des cours de défense spécialisés ou "seishônen bôei kôza", qui ont lieu également pendant l'été et qui sont de véritables cours de préparation militaire. Ces dernières opérations ont concerné plus de 79 000 jeunes dès leur création. Parfois, comme dans la préfecture de Miyasaki, certains lycées ont intégré des périodes d'instruction paramilitaire dans le cursus scolaire... Un peu plus d'un lycéen sur quatre a été directement approché par la "jieitaï" principalement par voie de lettres et de visites à domiciles ces dernières étant plus nombreuses en zones rurales réputées plus conservatrices (touchées également, ajoutons-nous, par la dette agricole, l'exclusion et le chômage paysan), et donc moins rebelles (?) à ce type d'action"(...). (Les petits-fils du soleil, Seizelet, 1988)

Conclusion
Cette mise en perspectice critique de la formation, des méthodes du tortionnaire, de la torture, de la victime, de l'élitisme et de la propagande patriotique, aura laissé apparaître une certaine analogie entre les formes initiatiques mises en pratique par le tortionnaire et par l'idéologie politique patriotique ou nationaliste, causes, pour reprendre l'expression de Françoise Sironi, de nombreux "traumatismes intentionnels" (en temps de paix par l'inaction et en temps de guerre par l'action) et dont il serait possible, malgré tout, "d'identifier la trace de la fabrication dans la pathologie individuelle". Cette analyse nous aura permis de faire la différence entre pathologie mentale (folie privée) et traumatisme intentionnel.
Françoise Sironi aura par ailleurs mis en évidence, ce qui nous touche particulièrement, l'intentionalité de l'agresseur, la responsabilité de l'autre et la notion de processus d'influence "ce tiers de nature extra-psychique qui est à l'origine du mal dont souffre le patient".
La méthode neuropsychiatrique clinique et psychologique de Françoise Sironi mettra un autre point en valeur, pour nous essentiel, le point d'articulation entre l'histoire singulière et l'histoire collective comme base d'attaque du système tortionnaire. Le bourreau, par la stratégie de la déculturation (formation et méthode d'agression) s'attaque à la capacité de pensée, aux idées, aux adhésions, aux groupes, aux communautés, aux mouvements... à l'expérience et donc à la mémoire individuelle et collective.

Francoise Sironi terminera enfin sont enseignement intitulé "Comment devient-on un bourreau, comment combattre les constructions du bourreau ?" en disant ceci : "J'affirme que pour construire la paix, il faut nécessairement penser la guerre, penser le mal et la destruction : mettre en évidence l'intentionnalité de l'agresseur et celle des systèmes tortionnaires, retrouver et dévoiler au grand jour les théories qui sous-tendent les actions et pensées destructrices, démonter les initiations par lesquelles les systèmes tortionnaires ont formé des bourreaux. "
("Comment devient-on un Bourreau ?", Françoise Sironi, Collège de France, Paris, 31.01.2001)

(1) "Comment devient-on un Bourreau ?" Les mécanismes de destruction de l'autre. Conférence prononcée au Collège de France dans le cadre du séminaire de Physiologie de l'action et de la perception dirigé par le Professeur Alain Berthoz, et consacré, cette année aux bases neurales de l'empathie et de la connaissance d'autrui et http://www.ethnopsychiatrie.net/actu/collegedeF.htm
(2) "Résister ? un devoir !" par Isabelle Stengers, la philosophe I.Stengers répond à la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, Politis N°579, 16.12.1999 et http://www.ethnopsychiatrie.net/actu/resister.htm
(3) "The Trial of A.Eichmann", http://www.pbs.org/eichmann/trial.htm
(4) "La guerre bactériologique, les secrets des expérimentations Japonaises" Unit 731 The Japonese army's secret of secrets, P.Williams, D.Wallace, Albin Michel 1990 et Hodder and Stoughton Limited, Londres, 1989
(5) "Une manière supérieure de tuer" A Higher Form of Killing, Harris Robert et Jeremy Pawman, Chatto&Windus, Londres, 1982
(6) Extrait de "L'armée japonaise en chine - le sac de Nanking" avec l'accord de Franck Brunner INTERET-GENERAL.INFO
soldat japonais entoure de cadavres chinois Soldat japonais s'entrainant
[gauche] Ce soldat japonais entouré de cadavres chinois tient son sabre d'une main et une tête coupée de l'autre.
[droite] Soldat japonais s'entrainant à la baïonnette sur un prisonnier chinois.


(7) "Le Japon admet que la guerre des germes a tué des cobayes humains prisonniers de guerre" Daily Telegraph, 28 avril 1982 et Williams et Wallace
(8) "Les Etats-Unis ont appuyé les essais bactériologiques Japonais sur les malades mentaux", Observer, 21 aout, 1983 et Williams et Wallace.
(9) "Japanese Chemical Weapons Left in China in 1945" by Asai Shimbun, May 20, 2003, ZNetASIA http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?SectionID=44&ItemID=3642
(10) "Japanese Government Should Dispose of World War II Vomiting Gas" by Keiichi Tsuneishi, Asahi Shimbun, June 23, 2003, ZNet ASIA et http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?SectionID=17&ItemID=3823
(11) "La conspiration de Hiro-Hito", Le Japon dans la seconde guerre mondiale 1941-1945 " Japan's Imperial Conspiracy, David Bergamini, Fayard, 1973, 1971
(12) "Victors' Justice" The Tokyo War Crimes Trial, Richard H.Minear, Princeton University Press,1973
(13) "Les petits fils du soleil", La jeunesse Japonaise et le patriotisme, Eric Seizelet, Publications Orientalistes de France, 1988 et liste des publications: http://www.ish-lyon.cnrs.fr/labo/iao/4SEIZELET.html
(14) "Le zen en guerre, 1868-1945", bonze Brian Victoria, Seuil, Septembre 2001 et du même auteur sur la même question du nationalisme et du militarisme dissimulés sous le bouddhisme mahayana et vajrayana : "Engaged Buddhism: A skeleton in the Closet?" http://www.globalbuddhism.org/2/victoria011.html
(15) "Myth an Reality, Western concepts of Tibet embrace more myth than reality. The idea that Tibet is an oppressed nation composed of peaceful Buddhists who never did anyone any harm distorts history", Forest Stockwell et http://members.tripod.com/~journeyeast/myth_and_reality.html


::: la fin du chapitre 4 :::

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