dessin Yoshikawa 2005

Nouvelle de Christian Pose

Le treizième citoyen du monde


"...Toutefois le sujet, selon toute apparence, est une fiction logique, au même titre que les points et les instants mathématiques. On l'introduit, non parce que l'observation révèle son existence, mais pour des raisons de convenance linguistique et parce qu'apparemment la grammaire l'exige... Si nous voulons éviter une supposition parfaitement gratuite, nous devons renoncer à voir le sujet comme une partie intégrante du monde."
Hirata Gunto (1926-?), extrait de la conférence "Conscience et Expérience", université Todaï, Tokyo, 20 mars 2003 (1).




  1.

La jeep du commandant Kosaka Masanobu frayait un passage dans les cendres. Le véhicule s'enfonçait jusqu'aux portes. Les enfants soldats suivaient péniblement, le souffle court, les jambes noires, les casquettes de combat vissées sur les masques à gaz. Les sous-officiers allaient et venaient sur les côtés chassant vainement la poussière volcanique à coups de pieds, fouillant la pluie noire à l'aide de vieilles torches Benfield tandis que les capos chargés des "traitements spéciaux" cravachaient la double colonne pour maintenir écarts et alignements.
Les officiers fermaient la marche serrant les chiens à la voix. A intervalles réguliers les dogues étaient lâchés sur les novices - les plus jeunes avaient à peine sept ans. "Opération psychologique spéciale", disait le lieutenant Kagome à son co-équipier nain Jion-ô. Le lieutenant Kagome avait été l'un d'entre eux quinze ans plus tôt.
Les plus faibles s'effondraient dans le chaos, asphyxiés, renversés par les molosses, abattus par les coups, écrasés par les sacs à dos chargés de briques. Ceux qui demeuraient dans les rangs, terrorisés, s'accrochaient désespérément à leurs armes.
Les dogues hallucinés par les cris, la pluie noire, le feu qui gagnait les arbres, se disputaient les corps inertes. Les vainqueurs mutilaient les petits êtres en quelques coups de machoîres, lacéraient les effets; hamacs moustiquaires et toiles de pluie volaient jusqu'aux branches, s'enflammaient instantanément. Les casques de combat sanglés sur les rabats des sacs, arrachés, terminaient leur course dans l'épais lit de cendre.
Depuis la jeep le commandant Kosaka Masanobu murmurait un message radio au lieutenant Kagome : "Kagome, retrouvez les sabres...".

"Le glorieux sabre du S.R.A.S." dessiné par le capitaine-adjoint Obata Kagenori affirmait une fois de plus l'arrogante suprématie du meurtre sur la vie. Sa légende avait précédé tous les assassinats durant toutes les guerres. Jamais homme ne tuera avec autant de fierté nationale qu'avec "le glorieux sabre du S.R.A.S."
"Je fais du droit de tuer celui de protéger ma stratégie, disait le capitaine-adjoint Obata Kagenori. Tuer et être tuer, la voie du guerrier réside dans la mort ! "
"Mourir pour l'honneur !", "Mourir pour la Patrie ! ", "Mourir pour la victoire ! ", "Camp Zama ! "(2).

En colonne par deux, les quatre premiers de chaque unité, corps de chiffons meurtris, maintenaient avec peine les drapeaux noircis du pays, de l'unité spéciale, de la compagnie, du régiment.

"Green Day"...
"Green Day" symbolisait la période militaire de printemps.
"Green Day" signifiait l'excellence en toute chose, la vitalité, la nature, "nos enfants".
"Green Day" signifiait l'exaltation patriotique sur fond d'exhibitions terrestres et de combats nautiques, "notre pays" ou "la vie nouvelle".


  2.

Sur ordre du capo-chef Sugawara Gidô les gardiens fermaient les portes du camp. Ligoté avec du fil barbelé, dépité, blessé, Hirata Gunto ne parvenait plus à faire un seul mouvement. Briser ses liens ?
"Du fil barbelé nouvelle génération..." avait dit le bourreau Sugawara Gidô. Politesse exquise du chef de rang surveillant les délicates phases du découpage et du flambage des viandes ou des poissons.


  3.

Troncs épars calcinés, débris de mousses et d'herbes projetés dans l'eau saumâtre de la lagune, pélicans bruns saisis par les cendres, hérons brûlés sur pieds, fuite éperdue d'aigrettes blanches emportées par le souffle de la nuée, balbuzards pris au piège dans les fumées noires, lit de cadavres carbonisés...
Les rivières salées étaient hautes et les brumes soufrées. Les éruptions se succédaient. Les cendres répandaient la nuit sur la forêt primaire transformée en un monde d'ombres incertain tandis que les averses répétées annonçaient la mousson.
Les enfants soldats du Service de Renseignement et d'Action Spéciale construiraient les postes d'observation sur les arbres les plus robustes, creuseraient les abris dans la terre pétrifiée parmi les animaux morts, sous un monceau de roches volcaniques, d'arbres déracinés.
Jour après jour, ils observeraient la mangrove, scrupteraient le delta, les vagues sans reflet jusqu'aux confins de l'océan sous la pluie noire, le black-out.
Jour après jour, ils subiraient les rigueurs du programme scientifique du commandant Kosaka Masanabou et du capitaine-adjoint Obata Kagenori.
Jour après jour, le commandant Kosaka Masanabou et le capitaine-adjoint Obata Kagenori feraient irruption en chacun. Les sujets les plus brillants seraient soumis aux effractions psychiques délibérées sans jamais accéder à l'intentionalité des persécuteurs, sans jamais comprendre le sens de leurs actes.
"Ils reçevront dans un état d'épuisement physique et mental total la transmission de l'influence destructrice, disaient l'idéologue Ryoichi Naito, le substrat de la prédation mais aussi le goût pour le jeûne, l'effort et le silence, la communion. L'absence de doute au moment de l'acte sublime".

Chacun se réveillerait, un jour, un goût âcre sur la langue, sous le palais, des douleurs au ventre, au sexe, aux cuisses. Chacun découvrirait l'ordre et le désordre, la pensée unique et le dégoût de la raison. Il y aurait, un jour, d'un côté : "les nôtres" et de l'autre : "l'ennemi". Chacun gagnerait, un jour, le droit de torturer un prisonnier.

Les plus doux subiraient un déclassement dans la hiérarchie des novices méritants sans échapper pour autant à l'ivrognerie, à la grossièreté, aux obsessions amoureuses des chefs monomaniaques oppressés et inquiets. Les moins chanceux seraient abandonnés, souillés, au parfait camouflage de la putréfaction sous les racines des palétuviers, dans la vase chaude.


  4.

Ces semaines de vie recluse avaient opéré un irrémédiable processus de rupture, de désafilliation d'avec le monde, les illusions, encore...
"Nos chefs affirment que les guerres civiles seront les plaies que nous infligerons à ce siècle, enseignait le fringant idéologue Ryoichi Naito aux sous-officiers chargés des "traitements spéciaux" : Hideo Yoshimura, Takeo Tamiya, Kozo Okamato, Kenichi Kanazawa. L'histoire retiendra sans doute leurs noms.
"Nous poursuivrons les travaux de nos maîtres, reprit Ryoichi Naito. Autant dire que nous opposerons le fils au père et la fille à la mère. Nous déchirerons les groupes improductifs et désobéissants. Nous polluerons le sang du peuple avec du sang de cheval. Nous transplanterons, s'il le faut, les cerveaux de nos meilleurs novices dans le crâne de nos marutas, tous héritiers de bonne famille (3)... Il n'y a pas d'opposition entre la volonté, la paix, la guerre. Nous infiltrerons jusqu'à la plus infime particule de volonté de ce temps. Nous détruirons tout ce qui rattache à la vie, aux sensations, aux sentiments. Nous ne douterons jamais de notre droit. "Le dédain de la souffrance, dit le capitaine Obata Kagenori, sera notre support d'élévation." Nous infiltrerons les masses sur des bases nouvelles. Notre manière de tuer sera supérieure. "Nous ne sommes plus humains, dit le capitaine Obata Kagenori, nous sommes un ordre souverain !!""


  5.

Pour la plupart des enfants soldats du S.R.A.S. le bac à sable et sa mythologie organique étaient encore proches. Un monde de petits. Un monde de petites choses où chaque brindille plantée, chaque fleur semée, chaque feuille rapportée, chaque goutte d'eau versée, chaque grin de sable déplacé avaient joué un rôle essentiel dans le développement personnel et l'organisation.
L'absence de cohérence apparente avait guidé les sauts dans l'univers. La création avait renouvelé l'espace vital pour les besoins de l'action, de la justice, de l'amour, de la pensée. Cette façon avait permis de vivre la nature, l'instinct, de déjouer les pièges de la peur et de la violence. Cette façon avait enfanté la part non maudite de l'humanité.
La vie demeurait cependant inachevée à cet endroit précis dans les dunes de sable noir où s'engouffraient inépuisablement hommes et mondes et desquelles rien ne s'écoulait plus ou desquelles rien ne devait plus s'écouler; si petit endroit au regard de l'univers, minuscule portrait de femme, d'homme, d'enfant, terrain vague pour jouer et mourir.


  6.

Les cendres recouvraient les brindilles, les fleurs, les feuilles, les insectes, la terre, dense, chaude, douce, hier si disposée au bien qu'en un rien : collines, montagnes, vallées, canyons, abris providentiels, tunnels de secours, buissons, forêts, océans, jaillissaient des mains, de la matière, et retournaient par ces mêmes mains à la matière et au vent.
L'eau ne portait plus l'empreinte des nuages, du ciel sans fond, du visage, de la chevelure, du corps de cette fille si belle, de ce garçon silencieux si entêtant... La présence lumineuse des premiers tourments conçus pour la forme, l'action réaliste, l'étreinte, intense, douloureuse, avait disparu dans cette effroyable nuit diurne de la fin de printemps.


  7.

Hier, ceux qui guerroyaient touchaient vite les limites de l'omnipotence magique.
Hier, le réalisme entraînait les soldats vaincus dans la grande prison où, déjà, des innocents affaiblis agonisaient.
Hier, les tyrans étaient abandonnés dans ce même trou de sable noir innondé par les pluies froides de mars ou mouraient, sombres, dans une clairière isolée, brûlés par les feux de juillet ou d'août. Certains, malgré tout, survivaient, infiltraient le monde, gagnaient les hiérarchies, invitaient les hommes à battre les femmes, à prostituer les enfants ou à s'armer contre l'étranger.
Hier, lors des joûtes pour la liberté, l'amour, l'imaginaire politique, l'anarchie, la justice sans Etat ni police, les salauds consummés par le désir morbide de gouverner ou de châtier apprenaient leur rôle en nous trompant, soumettant les filles et les garçons les plus pauvres.
Hier, au bord du gouffre, nous cherchions à dissiper nos craintes, nos doutes. Les bourreaux avaient une ombre, des jambes maigres, un dos rond, fuyant, une tête de clou... soldatesque féroce perchée sur le toit du monde en quête de promesses mystiques.
"La pensée dans la misère est un mal, disaient-ils. La pensée intelligente naît de la conquête, de la puissance, de la gloire".
Nous devions agir, vite. Mais comment ? Nous avions juré sur notre Charte que la paix serait gagnée sans violence ni haine. Nos espoirs de paix... Nous devions sauver le monde.


  8.

Parfois nous lisions dans les champs le poème des planteurs de pruniers. Le poème débutait ainsi : "Un oiseau ne chante pas sur un arbre brûlé..."


  9.

Un enfant soldat doté d'une voix claire entonna le premier vers du chant "Pour la victoire" :

"Je suis un guerrier..."

La troupe reprit sous la pluie noire :

"Je suis un guerrier
Je servirai le pays jusqu'à la mort
Je placerai toujours ma mission en premier
Je n'accepterai jamais la défaite
Je suis discipliné et entraîné
Je suis né pour infiltrer et pour tuer l'ennemi
Je suis prêt à me déployer
Je suis le gardien de la liberté
Je suis un guerrier..."


  10.

Enchaîné à son destin Hirata Gunto égrainait l'hymne à la guerre quand un groupe de prisonniers repentis disparut en courant, courbant l'échine sous les matraques, levant les jambes pour éviter les dogues. Un rouleau de poussières volcaniques se formait sur les toits, léchait les branches des arbres, se ramassait, prenait de la vitesse, fouettait les baraquements, aveuglait soldats, chiens, prisonniers. Les jeunes officiers de garde volaient en écrasant leur casquette d'une main, saluant stupidement les non repentis de l'autre.
La forêt était entrainée dans un maelstrom de cendres, d'eau, d'air brûlant. Le maelstrom absorbait l'interface comprise entre le ciel et la canopée, les sous-bois et la terre. Tout ce qui était bas montait, disparaissait par un étroit orifice, ouverture dans la nuit.
Tout ce que la nature comptait de solide ou de liquide se sustentait, seul. Puis, la grande déformation mue par un mouvement interne prit de la vitesse, tournoya sur son centre, siphon immobile. Des bandes de nuit morte, de temps et de matière s'y abîmaient avec fracas tandis que la trombe intertropicale arrivée enfin à maturité, vertigineuse cheminée d'admission, toupie assourdissante, se déplaçait ivre, aveugle, explosant au contact des obstacles.


  11.

Le fil barbelé de dernière génération du bourreau Sugawara Gidô découpait la chair des suppliciés nus. Les non repentis agonisaient le corps droit, sanglés à des grilles fichées dans une base de béton. Le calme revint dans une pâle lueur sous la pluie noire (6).


  12.

Yuanming Gunto, son père, racontait que les chants guerriers ramenaient à la vie les âmes en peine et les dieux morts. Chaque arbre, chaque fougère, chaque pierre, chaque racine de cette terre foulée était un aspect de ces esprits violents, éruptifs, malveillants, jaloux, qui cherchaient de nouveau à prendre forme. Le fracas des armes réveillait les forces égoïstes, les croyances primitives, tous les rites de possession de la terre, des naissances, des animaux, des hommes, des semis, des récoltes, des nuages, de la pluie, des rivières, du soleil, de la brume, des océans. Le vivant disparaissait sous les trombes de roches. Opérait alors la métempsychose.
Yuanming Gunto disait : "les guerres reposent sur les trois éléments de la possession territoriale : la maladie, la sorcellerie, le pouvoir. Rien ne se passe sans ces trois éléments. Dans les campagnes l'on joue du tambour pour faire parler les âmes en peine et les dieux morts. Âmes en peine et dieux morts rendent malade, entrent dans les maisons, tuent la fertilité des femmes. Les morts sont à l'oeuvre quand les enfants ne naissent plus, quand les campagnes se vident, quand les maladies dispersent les hommes. Quand les sorciers appellent les morts, la mort se répand. Les sorciers ont le pouvoir des dieux morts. Ce pouvoir est bien supérieur au pouvoir politique. Les sorciers agissent comme les insectes sur le grain, les réserves. Les sorciers commandent les nuisances, les faillites, les suicides. Les sorciers rendent fous avant de vous voler : santé, biens, femmes, enfants, maris, travail, volonté, liberté."
Les enfants soldats du S.R.A.S. ensevelis dans les boues avaient répondu aux dieux morts. Ces derniers avaient pris la forme du manuel, des ordres inflexibles, des ivresses, des obsessions amoureuses du commandant Kosaka Masanobu et du capitaine-adjoint Obata Kagenori brûlés par la nuée ardente.

"Lors des entraînements spéciaux le code militaire autorise jusqu'à 20% de perte, 40% en temps de guerre..."avait dit Ryoichi Naito à son équipié Katô Kiyomasa en quittant le camp au matin.
"Etre sincère dans l'exécution des ordres, avait-il lançé railleur aux pieds des suppliciés, veut dire que tous nos sentiments et nos actions relèvent du service absolu et que l'on se donne totalement à la tâche qu'on est en train d'accomplir...En exécutant nos tâches, cher ami, nous devenons partie intégrante de l'univers entier, nous réalisons notre véritable nature originelle..."


  13.

Le monde s'était pourtant préparé à ne rien tolérer des fascistes. Le monde s'était mobilisé contre les Etats bourgeois, les classes moyennes passives, les leaders populistes, les commissaires politiques nostalgiques. Le monde s'était mobilisé contre le recrutement, l'armement, la guerre. Le monde avait pourtant choisi de s'effondrer au pied de la colline imprenable au nom des luttes partisanes. La puissance des croyances primitives, extrêmement possessives, territoriales, avait miné le sol des résistances civiles non combattantes et détruit la portée symbolique des messages citoyens sur l'autonomie politique, la paix, la liberté réelle. L'autonomie politique était détruite. La paix civile était détruite. La liberté réelle était détruite.
Le monde était prisonnier d'un nouvel ordre amoureux, prisonnier comme un seul homme. Comment en était-il arrivé là ?


  14.

Où étaient ses enfants ? Les enfants des villes et des îles voisines avaient-ils été conduits dans ce camp ? Etaient-ils tombés dans le puit de vagues et d'écume des enfants perdus ?


  15.

Le lacet de barbelé glissé autour de sa gorge par le capo-chef Sugawara Gidô entaillait la chair, écrasait les carotides.
"De jolies mailles de fil croisé de chez Heibei Fangzheng (7), avait dit le bourreau Sugawara Gidô. De Chine Populaire, Professeur. "Fishing, steel, ceramics", ah, ah... De bonnes mailles de fil barbelé lamellé, longues comme le Huang He, jolies, pratiques, peu chères...Regardez autour de vous, nous avons acheté le meilleur lamellé croisé. Fini le tressage artisanal de 1939. Aujourd'hui on fait dans le renforcé industriel avec de la plaque d'acier inox et de la plaque d'acier zingué entre deux lames de fil. Il n'y a pas mieux pour les camps militaires spéciaux et les prisons. Le professionnels nous envient, vous savez !?."


  16.

Hirata Gunto entendit un cri : "GUNTO !!" puis le claquement sec du fouet, le ricanement des soldats élégants, frais, athlétiques, beaux enfants bruns aux yeux noirs de la police politique militaire, du renseignement militaire scientifique, du S.R.A.S. : " Matsumoto, Ôkuryakyô, Jôchô, Naitô, Fujiwara, Gyôja, Ji-un, Okisato, Ôkurakyô, Hosoi...". Certains comptaient peut être parmi ses anciens élèves. Hirata Gunto perdit connaissance.


  17.

"Gunto?" Qui était Gunto ?... Quelle importance.
Gunto était un type comme tout le monde, ou presque. Toute sa vie il avait tenu à n'être personne; semblable aux lignes causales qui permettent d'avoir conscience des objets. Des lignes que l'on trouve partout, susceptibles de disparaître comme les rivières dans le sable. Une proposition qui signifiait que l'on ne perçevait pas tout à tout moment, qu'il était inconcevable de prétendre tout savoir, tout comprendre, vain de retenir, contrôler, diriger... Vain de refuser de partager la liberté.
Gunto était un homme simple. Il n'aimait pas quand il n'aimait pas et aimait quand il aimait. Gunto ne faisait d'ombre à personne. Et pourtant... Ne pas faire d'ombre produisait quand même de l'ombre.
Gunto aimait les petits arbres. Il racontait souvent à sa femme, Yukino, et à ses deux enfants, Kai, Yuto, qu'il n'était pas un grand arbre. Gunto s'était voulu camélia en souvenir d'une histoire que lui avait raconté son père.
"Parfois les anciens inventent des histoires. Il est bon de changer d'apparence, retrouver sa dimension réelle, changer le cours du temps. Change de temps en temps, deviens non pas quelqu'un d'autre mais quelque chose d'autre...Tiens, moi par exemple, je suis une belle brique de four à pain..."

Hirata Gunto s'était donc inventé une surprenante idée de lui-même. Il était devenu un camélia rouge, un arbre jeune dont il avait dégagé le tronc, le feuillage et les fleurs pris au piège d'une glycine, derrière la maison, au bout du chemin conduisant à la rivière et aux plantations de champignons.
Kai était devenu une carpe car son père avait déversé des dizaines de carpes dans la rizière familiale pour désherber chaque pied de riz. Kai avait trouvé cette idée extraordinaire, de belles carpes noires et dorées nageant dans la rizière. Yuto se projetait plutôt dans l'habileté de Yukino quand elle fabriquait paniers et ombrelles, peignait des fleurs d'eau ou travaillait le bois, artiste inspirée et sobre. Les mains de Yukino n'étaient jamais blessées ou tâchées. Il l'observait des heures entières, silencieux comme une chouette perchée sur un banc. Parfois il jouait avec de la poudre de pin rouge et devenait de la poudre de pin rouge. Il réussissait une authentique transubstantiation.
Hirata Gunto avait aussi le pouvoir d'entendre et de voir, de respirer, de vivre. Gunto n'était pas comme tout le monde. Gunto était comme tout le monde et cette nuit chaude et humide de printemps l'emportait, l'une des premières sous ces latitudes intertropicales. Hirata Gunto agonisait suspendu aux grilles de la prison, pressé comme un fruit contre une râpe, garrotté avec du barbelé de lignes de défense.


  18.

"Qui es-tu Gunto ?"
"Mr. lnférénce" (pour ses propos sur l'inférence scientifique), "Toto" (pour son usage fantaisiste d'Aristote) ou encore "Gunto l'anarchiste" pour ses prises de positions anti-guerre, anti-Etat, anti-capitaliste, anti-parti.
"Gunto falsificateur!". "Gunto profiteur!"
Une façon pour ses ennemis d'exprimer l'arrogance scientifique et politique d'un système épuisé et corrompu. Gunto était de ceux qui donnaient envie qu'on se fiche d'eux et à qui on épinglait, quand on le pouvait, un poisson-lune dans le dos.
"Toto" conseillait, par exemple, de débattre du pacifisme avec les académiciens en appliquant le "reductio ad absurdum" d'Aristote (4), démonstration par l'absurde qu'une proposition non fausse était forcément vraie.
"Toto" démontrait que l'hypothèse "la paix par la conquête du pouvoir d'Etat conduit à la guerre" soutenue de bonne foi par les mathématiciens salariés était vraie, qu'il fallait concevoir l'organisation des oppositions pacifistes anticapitalistes, les modalités de fuite ou de résistance, la morale et l'éthique, autrement.
Mais Hirata Gunto, pour tout dire, n'aimait pas la philosophie car réfuter ne signifiait pas prouver. Hirata Gunto était avant tout un mathématicien et un physicien intraitable sur la façon d'aborder l'analyse de la connaissance. Il scandalisait, donc. Membre du Conseil de l'université il tenait souvent des propos ubuesques lors des assemblées générales. "Mes classes préférées, disait-il... le conseil pense qu'après avoir procédé à l'hydrolyse de l'eau il peut encore obtenir une boisson rafraichissante avec les produits de l'analyse... notre connaissance des hydrocrabures régresse... j'espère des sciences une satisfaction religieuse... donner des définitions exactes fait courir un grand danger".


  19.

"Qui es-tu Gunto?"
"Hirata Gunto est mon fils" disait sa vieille mère. "Mon meilleur ami" disaient les voisins. "Mon père" disaient ses enfants. "Mon époux" disait sa femme.
"Gunto ?"
C'est la prochaine ferme après la rizière, disait la postière septuagénaire, il utilise du riz fermenté pour désherber sa rizière".
"Gunto ? Il se chauffe au bois et s'éclaire à l'huile de colza, disait le copain gazier-pompiste, il souhaite que ses enfants fassent l'expérience de la nuit noire".
Gunto enseignait à l'université deux fois par semaine. Gunto était un homme simple. Il avait démontré depuis longtemps la distinction entre l'humain et le divin.
"Pour que la simplicité soit évidente, écrivait-il au tableau avec cette manière si chinoise de composer les caractères, il faut que la pensée s'enracine réellement dans le besoin de l'homme pratique". Gunto possédait donc cette sorte de grandeur que l'on sent devant d'immenses résultats qui ont été atteints à partir d'un minimum de données.
Gunto possédait un dégoût naturel pour le pouvoir et le salariat. Il refusait, du reste, d'enseigner ou de chercher en échange d'un salaire "acceptant, disait-il à la presse, ce qui est accordé de droit à tous les pauvres du monde, la misère".
Gunto vivait donc du produit de ses champs. Il échangeait du riz contre de beaux plans d'aubergines, des patates douces contre des oeufs, du taro (tubercule farineux proche de la pomme de terre, légèrement sucré) contre des pois, des goyas amers d'Okinawa ou du bois. Il cuisinait le meilleur "kimchi" de la région (chou blanc pimenté à la façon coréenne) et cultivait toutes sortes de courges. Il vivait du troc, de la vente des paniers et des ombrelles militantes de Yukino.
Défenseur de la décroissance et du désarmement il percevait les secrets des lois générales et présentait à ce titre une menace pour l'Etat et la bourgeoisie mafieuse, l'armement, l'énergie, le business agroalimentaire. Pourquoi une telle agitation ?
Comme tout le monde Gunto se posait la question. Comme tout le monde Gunto oubliait rarement ce qu'il avait appris. Comme tout le monde Gunto savait tout. Comme tout le monde Gunto et la foule savaient tout du nouveau discours amoureux qui s'était imposé à l'intelligence organique. Comme tout le monde Gunto avait goutté aux fruits défendus : aux nouvelles générations de jouets-robots, aux cents chaînes télévisées, à la simplification du Kanji, aux images 3D, aux ordinateurs, aux satellites, aux vidéo-conférences, au télescope optique, au golf et au baseball, à cet amour des choses produites sous le sceau implacable de la dérégulation.
Comme tout le monde il s'était opposé à l'amour du système car l'amour du système et l'exigence de certitudes étaient de sérieux obstacles à l'honnêteté d'esprit.
"- D'un côté les pions Rouges et les pions Noirs, écrivait-il au tableau, de l'autre les pions supposés Idiots encadrés par les pions de l'Ordre. Deux contre deux...
"- De quel type d'univers s'agit-il ? avait demandé un étudiant astucieux.
"- De l'univers des préjugés. La partie à quatre symbolise nos habitudes qui ne veulent pas tomber. Essayons d'envisager l'avenir au petit bonheur, loin des inventions, de l'ordre, des guerres, de l'unité, de la continuité, de l'Etat, y compris de la mémoire. Le monde est fait d'évènements brefs, minuscules, discontinus.... Cette partie à quatre nous interdit de regarder le monde d'une manière nouvelle.
"- Une somme infinie de coups jouables nous conduirait encore aux préjugés ? demanda l'étudiant astucieux.
"- Cette partie est pénible. Elle réduit la mémoire à l'exercice de la domination. Je ne vois pas le jeu dans ce jeu, même à deux contre un supposé crétin qui n'avance jamais sans ses soldats.
"- Mais existe-t-il un univers sans préjugé ? demanda l'étudiant insistant.
"- Le notre, un univers composé de points et de sauts, sans unité, sans cohérence, sans ordre et sans aucune des autres propriétés qui gouverne l'amour."


  20.

Hirata Gunto mourait boucané comme tout ce qui vivait sur l'île. Chaque soir les gardes ramenaient en riant des singes assommés avec des balles de caoutchouc tirées avec des fusils anti-émeute ou paralysés avec du gaz incapacitant. Les gardes avaient tous servis dans la police politique. Sur chaque fusil étaient gravés les noms d'émeutiers célèbres, ouvriers, étudiants, écrivains, syndicalistes, massacrés lors d'affrontements historiques.
Les gardes disaient : "tiens, voilà Torenku Gekijô, sorti tout droit de l'enfer, retournes-y ! Tiens, voilà Hisaita Eijirô, la lutte continue, retournes-y ! Tiens, voilà Kaji Wataru, dénonce les politiques, veut davantage d'étudiants dans les mouvements révolutionnaires, retournes-y ! Tiens, voilà Miyoshi Jûrô, veut casser du fonctionnaire incompétent, retournes-y ! Tiens, voilà Murayama Tomoyoshi, veut des militants en bonne santé pour la vie des syndicats, retournes-y !...".
Les bêtes étaient accrochées aux grilles sans ménagement puis traînées aux cuisines quelques heures plus tard où elles étaient rasées pour le repas du soir.
Hirata Gunto avait été assommé à l'aide d'une décharge lumineuse, jeté à moitié nu dans un sac et conduit aux "cuisines".
Quelles cuisines ? "Les cuisines!" avait lancé le capo Sugawara Gidô.
Quelle île ? "l'île!" avait crié Yamamoto Isoroku son co-équipier taré.


  21.

Hirata Gunto pensait sans cesse aux disparus du régime d'occupation, ces inconnu(e)s dont on ne gardait pour souvenir qu'un photoportrait collé sur un mur ou sur un poteau avec la mention spéciale "disparu".... Il était désormais l'un d'eux.
Tous les soirs une table ronde coiffait son crâne, rasé, cerclé d'un bandeau de métal tandis que de nouveaux liens maintenaient ses poignets et ses chevilles. Tous les soirs la scie circulaire du cuisinier découpait méticuleusement la boîte cranienne. Tous les soirs les mangeurs de cervelles cherchaient à connaître le cadre de ses pensées - les raisons ou le contenu, faire parler, ils s'en fichaient.
Tous les soirs les assassins idéalisés faisaient silence et pratiquaient le "messhi-hôkô". Ils supprimaient le "soi" pour servir le bien public et communiaient une petite cuillère en argent à la main. Hirata Gunto demeurait malgré tout "shi" ou "watakushi", autrement dit un irréductible "je", un moi privé, secret, arbitraire, contraire à l'ordre public.
Le système tortionnaire comme tout système amoureux s'attaquait à la part collective de l'identité. Une démarche initiatique qui ne conduisait à rien. Les législateurs de l'amour souhaitaient qu'Hirata Gunto et les non repentis soient isolés, mis au secret, jusqu'à ce que s'effondre le sentiment d'adhésion aux groupes passés, jusqu'à la mort de l'expérience, de la mémoire, de l'égo.
Hirata Gunto (ses aveux seront écris avant même qu'il soit torturé) ne sera jamais relaché pour servir le terrorisme d'Etat dans les gares ou dans les grands magasins, pour fabriquer de la biologie sociale raciale dans les pays riches, des plannings familiaux eugénistes dans les pays pauvres ou pour semer de la terreur religieuse parmi les étudiants boursiers sans famille.

"Tout le monde sait ce qu'est un homme-singe, murmurait Hirata Gunto sous la pluie noire, mais personne ne sait ce qu'est un homme-singe anti-unitariste, athée, en soi (5). Les possédés de l'amour du système savent ce qu'est la foule unitaire. Mais ce qu'est l'être sensible en soi, monde privé, homme, femme, enfant, nourrisson, nul ne veut s'en souvenir. Un homme-singe dévoré vivant sur une île inconnue endure ce que tout homme isolé par le système amoureux endure piégé dans la masse dévorée par les Etats, le commerce, les partis, les guerres".


  22.

Qui était Hirata Gunto ?
Au cinquième coup de fouet le cuir pénètrait la chair. Le corps lacéré de la veille et de l'avant-veille se réveillait. A chaque secousse le fil barbelé déchirait le torse et le ventre, les hanches, les jambes. Hirata Gunto savait qu'il était vain d'espérer. Ses doigts cherchaient douloureusement les barreaux de la grille. Parfois le fouet glissait sur le cou ou sur l'oreille, l'oreille s'ouvrait. Le sang coulait abondamment. Il existait bien des façons d'endurer le fouet. Hirata Gunto en connaissait deux, avec traction des doigts, sans traction des doigts. Ces deux moyens correspondaient à deux types de suppliciés. Avec traction l'on parvenait à se dire que la vie était là, quelque part dans l'effort de traction, au bout des doigts. C'était suffisant. Les suppliciés accédaient, pour ainsi dire, à un espace privé situé au-delà de l'autonomie du bourreau... Sans traction la mort était plus rapide. Hirata Gunto était de ceux qui s'accrochaient à la grille. Il endurait ainsi plusieurs jours de suspension et de lacération. Puis la vie phénoménale se substituait à la volonté et maintenait le corps suspendu, les entrailles en feu, tout en l'entraînant inexorablement dans l'abîme, la terre ferme.

Hirata Gunto sombrait dans l'inconscience mais son esprit projetait encore de l'univers logique. Hirata Gunto se surprit en vie plus d'une fois et plus d'une fois se surprit en compagnie d'une vieille hypothèse scientifique sans pouvoir aller plus loin : "bien que le monde extérieur ne soit pas tout à fait le monde de la perception..."
Peut-on se rappeler ce que l'on a jamais connu? L'esprit, fragment de matière, se pensait "Vie" répudiant la subjectivité du temps et de l'espace. L'esprit repoussait l'échéance finale par d'improbables moments de connaissance; improbables car la violence et la répétition des coups réduisaient à rien les possibilités de fuite spéculative.


  23.

"Gunto?"
"Qui es-tu Gunto ?"
Pour les enfants soldats du camp Gunto était un supplicié. "Gunto le supplicié". Il y en avait toujours un pour l'observer avec des yeux de daim, mimer une absurde crucifixion, arracher un morceau de peau brûlée par le chalumeau d'émailleur du capo Gidô ou par les cendres du volcan.
Gunto était donc "Gunto". "Salut Gunto". Le "bon à rien" accroché à une grille fichée dans une base de béton. Et ce camp, de quel camp s'agissait-il ? D'un camp qui avait échappé aux lois, à la géographie, au monde. Un camp secret.
Un trou de fer, une muraille de fer, une surveillance de fer ? Non, une grande prairie noire, des chalets sombres, un grillage de quelques mètres de haut, du fil barbelé en rouleau recouvert de muriers, d'érables sous les cendres, un chemin déambulatoire fermé par une haie de pins mornes, de fougères, de bambous, de pruniers nains calcinés. Une terre qu'aucun paysan ne cultiverait.


  24.

Les grilles aux supplicés étaient recouvertes de sang noir, d'un goudron d'insectes morts, de putréfaction, de cendres chaudes. Les insectes les plus résitants et les plus voraces cherchaient encore à se repaître de la charogne des révoltés tandis que de nouvelles escouades de diptères, de mouches vertes, à damiers, bleues, colonisaient ce nouvel espace de vie pour implanter leurs larves. Une escouade de sarcophagiens surgirait des profondeurs de la forêt le mois prochain. Elle entreprendrait la matière fécale. Une escouade de dermestes (coléoptères, lépidoptères) surgiraient des trois et neuvième mois attirés par l'odeur de graisse rance. Surgiraient encore les escouades coryétiennes (dixième mois), sylphiennes (deuxième année), d'autres escouades interviendraient encore pour coloniser l'espace des poussières. Gunto et le groupe des non repentis étaient déjà créatures silencieuses, sans forme.


  25.

Un repenti écrira : "La vie d'ici est purement réglementaire. Elle n'est jamais confrontée aux faits du dehors. Des faits auxquels nous avons été arrachés précisément pour subir la vie réglementaire. Les faits d'ici consistent en des successions d'instants couplés à un subtil mouvement d'horloger. Il n'y a jamais de place pour l'esprit en dehors du réglement. Nous faisons corps aux gémissements des hommes accablés... Nous avons reçu l'ordre d'avançer par deux, tout comme les soldats. Nous ne sommes jamais seuls. Les binômes, parfois les colonnes, donnent l'impression d'évoluer dans un ciel vide, une misère religieuse qui confère une réalité fantastique au soldat. Comme si chaque homme en s'engageant volontaire dans la mission secrète du capo ou du bourreau avait été doté d'un ciel à part. Les capos sourient toujours aimablement. Un sourire hypnotique et malheureux qui dit : "tu vois j'ai trouvé mon propre reflet. Je suis mieux."


  26.

"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?". Claquement de fouet.
Gunto n'était pas étranger à lui-même. Si l'homme était un être générique, lui, Hirata Gunto, avait refusé la doctrine de l'"Etre-de-l'homme" exploitée par le parti, l'Etat, l'église, l'entreprise, l'armée, le S.R.A.S.. L'"Etre-de-l'homme"... être générique de l'homme devenu étranger à lui-même, graine des créatures obéissantes fondues dans l'objectivité supra-humaine des catastrophes, des guerres, de la détermination sociale.
Demeuraient au bout du compte les trésors sacrés ou maudits du paléontologue, les forêts stratifiées de fossiles humains de type : "démocrates-empereurs" entérés avec leurs esclaves amoureux, autre type.


  27.

"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?". Claquement de fouet.
Le bourreau accélérait la cadence.
Dans les baraquements les soldats discutaient comme d'honnêtes repentis sur une planète miraculée peuplée d'apprentis. Il y était question d'objectivation politique et d'étapes spéciales pour parvenir au règne militaire de l'objectivité impériale. Il y était question de l'"Etre" que "l'homme seul" ne pouvait obtenir de droit ou par ses seules aptitudes à l'amour. Triomphe de la volonté couplé à un savant mécanisme d'horloger, encore. Ryoichi Naito enseignait qu'il était question de délivrer l'"Etre-de-l'homme" des liens et des bornes de l'individu puis de transformer en objet ce qui devait être adoré et contemplé comme un être à part.
Il disait : "au delà de la folie temporaire chacun retrouvera cette essence en lui-même une fois le processus accompli."
Ici, les matons et les capos de l'ordre spécial observaient leur propre être sous l'aspect d'un autre être tout en fustigeant l'esprit et la chair des faibles. La torture était un outil pédagogique qui permettait d'accélérer le processus du détachement, de l'élévation spirituelle.
Au delà des haies de muriers les entrepreneurs amoureux parachevaient le grand oeuvre des aryens privés de leur foi.


  28.

"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?"
Gunto respirait avec peine. Il économisait son souffle pour la longue nuit noire.


  29.

"Pour que l'"Etre-de-l'homme" et le pouvoir amoureux soient enrichis l'homme doit être appauvri, disaient les hommes par deux. L'"Etre-de-l'homme" n'est pas ce que l'homme veut être, l'"Etre-de-l'homme" est l'"Etre-de-l'homme" et l'ordre amoureux s'oppose à ce que l"Etre-de-l'homme" soit représenté sous la forme d'un être réel".
Le nouvel ordre amoureux souhaitait récupérer l'essence de l'homme aliénée en l'"Etre-de-l'homme", lui confisquer son être générique et le maintenir séparé de lui. L'objectif de l'ordre amoureux consistait à se substituer à l'"Etre" sans lequel l'ordre ne pouvait exister; technique de contrôle du comportement et de l'esprit exploitée rationellement par les ordres papistes, les marchés, les médias, les Etats, le collectivisme, le gouvernorat mondial.
L'ordre amoureux espérait ainsi saper le fondement théorique de l'individualisme, le fameux "monde sans l'Etre-de-l'homme" auquel de plus en plus d'apostats et de révolutionnaires sociaux non violents faisaient allusion, autre colline imprenable.
Ici, l'incroyance, la raison, l'activisme politique avaient remplacé la foi et le dogme de l'ordre. L'homme avait renversé la statue du prêtre et mis le feu à la forêt secrète du roi thaumaturge. La misère matérielle avait remplacé l'enfer.


  30.

"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?"
La nuit venue l'homme prisonnier se faisait camelia rouge.


  31.

Au début de l'été Yukino peignait des jacynthes d'eau sur une ombrelle. Ses manches vertes légères étaient roulées aux coudes, son chemisier bâillait. Assise sur les marches de l'atelier elle serrait délicatement l'ombrelle entre ses cuisses, sur un tablier de toile de coton bleu qu' en cette saison elle ne quittait jamais. Yukino mordillait souvent une brindille quand elle travaillait. Hirata Gunto souriait à ce coeur, ce corps, ce visage calme, ces lèvres douces, régulières, ces yeux si doux qui furent sa vie. Kai la carpe de rizière, Yuto la poudre de pin rouge...
Il se souvint de ce petit chat qu'un paysan fou avait abandonné dans un sac de riz au fond d'une ravine. La pauvre bête terrorisée miaulait à damner les vivants. Il était descendu dans les broussailles et avait sauvé le petit. Yukino, Kai, Yuto avaient applaudi à tout rompre. Le petit chat avait été adopté et aussitôt baptisé "patate" parce que la famille s'en allait au champ chercher les patates. Tout au long du trajet "patate" avait été fêté en héros des contrées lontaines.


  32.

La vérité impersonnelle effaçait peu à peu sa formidable mémoire. Mais là encore il y avait de quoi rire car il était peu problable qu'il soit jamais parvenu à la vérité dernière. Il n'était pas dévoré non plus par la tendance incurable à se faire des disciples. Aussi, la mémoire...


  33.

Hirata Gunto se souvint énigmatiquement de la journée du 16 mai 1966. Mao fustigeait "les représentants de la bourgeoisie qui avaient, disait-il, infiltré tous les niveaux du Parti communiste". Il souhaitait provoquer le soulèvement des étudiants contre le Parti. La Chine plongeait à nouveau dans l'insurrection, la guerre civile, le chaos. C'était le début de la Révolution Culturelle, quête du pouvoir personnel amorcée au nom de la lutte des classes, achevée au nom de la révolution idéologique permanente, mouvement de masse sans précédent, répressif et réprimé. C'était aussi le jour de la mort de son père.
Ce jour il avait dispensé un cours d'initiation : "... les entités de la physique mathématique ne sont pas la substance du monde mais des constructions composées d'évènements prises pour unités par le mathématicien pour de simples raisons de commodités".


  34.

Chaque soir Ryoichi Naito sortait seul une cigarette aux lèvres. Il marchait pensif jusqu'aux corps suspendus, inertes et s'arrêtait devant la charogne d'Hirata Gunto. Il respirait profondément, dégrafait sa vareuse, dandy érudit, à la façon des fils de grandes familles évoluant depuis des siècles dans les couloirs et les alcoves du pouvoir impérial... C'était son allure à Ryoichi Naito; beau gymnaste sélectionné par le comité olympique, cheval d'arçons et anneaux, spécialiste de la croix de fer, adulé.
Cela dit, quand il pensait à "Anarchie et Pacifisme", il y pensait maintenant tous les jours, il éprouvait le besoin de se parler, de fumer immodérément tout au long de la nuit. Une conférence qu'il n'avait toujours pas digéré.
Il y avait eu beaucoup de monde cette nuit de décembre 1990. Des gens de tous âges, si nombreux, parfois très âgés et très jeunes, "trop jeunes, avait dit Ryoichi Naito à ses confrères cadets de Todaï, et les vieux, trop vieux et trop tordus pour comprendre".
C'était un mois avant qu'il ne s'engage dans la campagne de soutien à l'opération militaire "Tempête du désert" au Koweit, contre l'Irak. Saddham Hussein menaçait les soldats américains de "fleuves de sang" et d'une "mer de feu". Tel Aviv devait être la première ville détruite.
Au sein des groupes nationalistes et militaristes de l'université - comme Diktat d'Adachi Kenzô, Rétablissement de Nagano Seigô, d'inspiration mussolinienne, ou Renouveau, son propre groupe d'action pour la restauration impériale en lisière des organisations criminelles - l'on avait craint une représaille violente, une pluie de missiles nucléaires nord-coréens ou chinois.

"- ... C'est ici bas dans l'état terrestre que l'homme doit réaliser la plénitude générique qu'il cherchait dans l'au-delà céleste, récitait Ryoichi Naito. Car le véritable "état" est l'homme émancipé de ses bornes individuelles...L'homme vrai, achevé, "divin" est cet homme qui sans être délivré de la question de l'au delà car il existe bien un au delà de nous-même, expertisable, admet comme probable l'existence d'une vérité impersonnelle qui ne fait pas seulement que décrire le monde qui se trouve exister. L'homme vrai est cet homme se déterminant lui-même, l'homme se rapportant à soi...".
"- L'homme vrai, toutefois..., ajouta Ryoichi Naito en boutonnant sa vareuse, il ne peut y en avoir qu'un seul. Quant au pays, il ne se déterminera que par ce même homme. Il nous aura fallu soixante années pour nous redresser, Professeur. Nous avons de nouveau des lois favorables, un parti, un grand Ministère de la Guerre, une armée puissante, une industrie militaire, des appuis solides qui ne dorment plus, une morale nationale, un drapeau, un avenir à conquérir.... Comme quoi, la logique pure sans la politique du prince, sans Hegel, dirons-nous..."

Ryoichi Naito se frottait toujours les yeux en fin de séance. Il souffrait d'hémianopsie chronique et ne terminait pour ainsi dire jamais ses soliloques. Mais était-ce bien nécessaire ?


  Epilogue.

L'histoire saura que la vie d'Hirata Gunto aura été au service d'une authentique émancipation scientifique, politique, poétique, écologique. Une émancipation publique qui le conduira à une peine spéciale dans un monde en pleine mutation amoureuse.
Cette mutation amoureuse lui vaudra d'être condamné par un tribunal militaire secret à la déportation pénale dans un camp spécial au coeur d'une forêt primaire dévastée par les nuées et les tornades. Un camp où les soldats marchent par deux, parlent comme des scientifiques et des lettrés pacifiés, sourient et donnent le change aux prisonniers blessés ou mourants tout en demeurant intransigeants sur le choix des parfums pour embaumer les morts, sur la façon de traiter de l'univers, de l'Etre-de-l'homme, du pouvoir d'Etat, de la guerre, de la torture, du thé, de la lumière, du ciel étoilé.
"Un ciel étoilé que la sensation visuelle fait connaître à l'intérieur de nous, dira Hirata Gunto. Un ciel extérieur auquel nous croyons, inféré."

Hirata Gunto n'aura jamais cherché à affirmer que cette théorie puisse être prouvée. Il dira cependant qu'il n'était pas possible de la réfuter et qu'un esprit prudent ne pouvait exiger davantage d'une théorie.


« Fin »

Notes ----------------------------
( 1 ) Cet extrait est dédié au mathématicien et physicien pacifiste Hirata Gunto ainsi qu'à l'exceptionnelle conférence qu'il donnera le 20 mars 2003 à l'Université Todaï de Tokyo - jour de l'invasion de l'Irak par l'armée américaine. Le professeur Hirata Gunto dédiera cette prestation au philosophe et mathématicien Bertrand Russell.
Cette conférence "Conscience et Expérience" est particulière pour trois raisons.
Tout d'abord le professseur s'exprimera sur les concepts "prise de conscience" et "connaissance directe" pour signifier la relation entre le sujet et l'objet. Hirata Gunto rappelera qu'il est possible une fois libéré du "je" de regarder un esprit et un fragment de matière "comme des constructions logiques formées de matériaux dont la différence n'est pas si radicale et qui sont parfois réellement identiques". Bertrand Russell soutiendra cette thèse en 1959 dans My Philosophical Development. Selon Gunto/Russell il est désormais possible de penser que la matière du cerveau soit réellement composée de pensées et de sentiments et que la différence entre l'esprit et la matière soit simplement une différence d'arrangement.
Deuxième raison d'importance : la conférence se situe au moment où les forces américaines bombardent les villes et les populations civiles non-combattantes Irakiennes. Une guerre que le Professeur combattra dès 1991 tout en s'opposant au principe hégémonique de gouvernement mondial et au concept de citoyenneté mondiale. Ce type de gouvernement et de citoyenneté sera défendu par Bertrand Russell sur d'autres bases. Hirata Gunto, bien qu'élu délégué au Congrès des Peuples (1967, 1971, 1973) et bien que signataire de l'appel du 3 mars 1966, abandonnera sa place de "treizième citoyen du monde" à son ami Shinzo Hamaï, ancien maire de Hiroshima.
Hirata Gunto ne souscrira qu'un temps à l'appel du 3 mars 1966 ( Appel & Registre de citoyen du monde). Sa rupture s'appuiera sur une analyse éthique de "la citoyenneté mondiale" dont certains disent encore qu'elle est/sera le but ulltime de l'organisation sans Etat ou de l'Etat global, unique, planétaire : "la vérité de notre temps", voire "la base universelle de la connaisance et de la vérité". "Parfaitement absurde, écrira Hira Gunto dans ses "Carnets" (1975), la connaissance ne se composant que de certaines croyances, pas de toutes".
Il tiendra un discours similaire à propos de "l'universalité de la vérité" : "la vérité est seulement un moyen logique pour parvenir à une définition fiable de la connaissance. Une théorie de la vérité, écrira-t-il en citant Russell, est fondamentalement une théorie de la correspondance qui affirme que lorsqu'une phrase ou une croyance est vraie, elle l'est en vertu d'une relation quelconque à un ou plusieurs faits; la relation varie selon la structure de la phrase en question et selon la relation de ce qui est affirmé à l'expérience,...".
Hirata Gunto critiquera également le concept de "registre de citoyenneté du monde" prélude, selon lui, à de nouvelles polices politiques au service du capitalisme.
"Une voie conduisant à l'institutionnalisation défintives des libertés, à l'embrigadement de la vie civile et citoyenne, une voie opposée à la diversité culturelle et finalement à la liberté individuelle, à l'imaginaire, à la création, à l'anarchie, une nouvelle voie totalitaire...".
Troisième raison d'importance : le 22 mars 2003, deux jour après cette mémorable conférence, le Professeur Hirata Gunto disparaitra dans des circonstances encore inexpliquables. Son bureau-studio de l'université qui reçevra tant d'élèves, de chercheurs, de militants anti-guerre ne livrera aucune trace d'effraction ou de lutte à l'enquête, aucun document. L'hypothèse du suicide sera écartée. Hirata Gunto traitera la question longuement dans le cinquième volet de son journal publié en 2001. En 2006 le mystère de sa disparition demeure entier. Les enquêteurs et sa famille n'ont aucune raison valable de le croire vivant ou mort.

Eléments de biographie
Tao Yuanming Gunto-père rencontrera Bertrand Russell pour la première fois en Chine durant les années du "Kuomingtang idéalisé" à l'université de Pékin entre 1921 et 1922 dans le cadre d'un séminaire international. Le Professeur Tao Yuanming Gunto est alors ingénieur, spécialiste des crues et de l'énergie hydroélectrique, conseiller scientifique de Sun Yat Sen. Le professeur Tao Yuanming Gunto concevra son expatriation au Japon peu après cette rencontre. Hirata Gunto naîtra à Tokyo le 25 décembre 1926, jour du décès de l'empereur Taisho : "...une journée sinistre, écrira Hirata Gunto, qui ouvrit la porte au règne de la violence, de l'inhumanité du progrès scientifique, autrement dit au règne du capitalisme Japonais". Hirata Gunto ne citera ou ne prononcera jamais le nom "Hirohito".
Notons encore que le Professeur Tao Yuamning Gunto sera envoyé à la tête d'une délégtion scientifique Chinoise au Japon début 1923, qu'il survivra au séisme du 1er septembre faisant 44000 morts et qu'il contribuera au programme de restructuration du réseau de distribution d'eau de Tokyo jusqu' à l'attentat du 27 décembre 1923 dirigé contre le régent Hirohito.
Le massacre des cheminots de la ligne Pékin-Hankou de juin 1923 perpétré par des organisations criminelles payées par le gouvernement Chinois pour réprimer leur mouvement de grève conduira Tao Yuanming Gunto à une rupture définitive d'avec toute forme de gouvernement politique. Ce sera, du reste, en janvier 1924 que le professeur s'expatriera avec sa femme et ses cinq enfants au Japon (Hirata étant le sixième). Tao Yuamning Gunto refusera la présidence de l'université de Pékin en 1946 qui sera attribuée au philosophe Hu Shi, auteur d'une histoire de la philosophie Chinoise qui reflètera son opposition au marxisme qu'il confondra, à tort selon nous, avec "le terrorisme et l'étroitesse d'esprit du XIXème siècle". Hu Shi sera, il est vrai, ambassadeur de Chine aux Etats-Unis entre 1938 et 1941.
Un dernier point qui n'est pas sans rapport avec notre propos, Hu Shi qui sera l'élève et le traducteur de John Dewey soutiendra une intéressante thèse à l'université de Columbia en 1917 sur le développement de la méthode logique dans la Chine ancienne, méthode que l'on attrbuera au philosophe Mozi.

Apport historique et a-historique
Cette fiction évoque certaines idées chères au savant, la servitude involontaire, la violence psychologique et physique alors que la constitution politique du Japon sanctionne l'injustice, interdit la violence administrative, politique, militaire, la sujetion, la soumission aux rites ou aux cérémonials religieux, les atteintes aux libertés de conscience, d'association, de manifestation et d'opinion. Cette fiction plaidera également en faveur des "portés disparus" au Japon depuis les cinquante dernières années. D'aucuns pensent que les cas de disparition et de déportation sont liés à la persistence de lieux de détentions datant des années d'occupation américaine entre 1946 et 1952.
Les lieux de détentions spéciaux auxquels nous faisons allusion seraient actifs militairement, entrainements spéciaux, et scientifiquement, expérimentations N.B.C. (Nucléaire, Biologique, Chimique) sur cobayes humains vivants.
La thèse du kidnapping Nord Coréen ou Chinois entretenue un temps par les autorités policières est contredite par les articles de nombreux historiens spécialistes de la propagande, de la manipulation, du révisionnisme d'Etat.
Il est impossible de dire avec certitude où ces lieux de déportation et de détention spéciaux se trouvent (l'on parlera de navires tortionnaires propriétés de la mafia dans la rade de Tokyo et dans les eaux territoriales) et qui les dirigent. L'on sait seulement qu'ils existent.
Certains parleront avec raison de camps militaires secrets installés en Mongolie par les services spéciaux américains après le passage de G.W. Bush a Oulan Bator en novembre 2005. C'est très pertinent d'autant que la Mongolie est l'alliée des Etats-Unis en Irak et s'affiche ennemie de l'islam et du communisme en Asie. D'autres évoqueront les camps américains désaffectés en Corée du Sud. Cette piste est également très pertinente compte tenu du nombre de crimes militaires américains qui y sont recensés.
Lee Sohee, Secrétaire Général de la Campagne Nationale pour l'Eradication des Crimes commis par les Troupes Américaines stationnées en Corée du Sud, recensera 100 000 crimes et délits perpétrés contre les civils non-combattants ou les pacifistes anti-guerre depuis 1945 (Chronologie des actes criminels des troupes américaines en corée du Sud).
Cette campagne indique que seulement 10% des crimes et délits commis par les troupes américaines depuis 1945 seront jugés. Les crimes militaires américains en Corée du Sud non jugés concernent également une grande quantité de kidnappings et de disparitions de civils, femmes, hommes, enfants dont on ne retrouvera jamais les corps sinon dans de monstrueux états : torturés, mutilés, carbonisés, congelés...
Nous avons recensé avec des amis écrivains alternatifs japonais quelques 1000 Îles susceptibles d'abriter des prisons secrètes; des îles comprises entre le 40ème degré de latitude Nord et l'équateur (Japon au nord et Indonésie au sud), entre le 120ème degré de longitude Est et le 160ème degré de longitude Est - 120 ° L.E., immense façade maritime chinoise, coréenne, taïwanaise, philippine, vietnamienne, indonésienne et au-delà, désert d'eau, jusqu'au 160° L.E..
Nous avons reçu récemment de notre ami l'écrivain-poète Yua Cho de Shanghaï qui partage comme nous la doctrine philosophique dite "du plus faible moyen" ce très intéressant lien à une brêve histoire des Îles Chinoises du Sud. Je recommande aux lecteurs de parcourir avec attention, quoique sibyllines et en Chinois, les cartes insérées en bas de document. Elles nous offrent un aperçu du vaste problème traité.

( 2 ) "Camp Zama", symbole hier du redressement militaire impérial de la nation et aujourd'hui camp de l'Etat-Major des troupes nippo-américaines du Pacifique situé à 40 km au sud-ouest de Tokyo, préfecture de Kanagawa, villes de Zama et de Sagamihara, et 9th Theater Support Command

( 3 ) "Marutas", "bûches, billes de bois" en japonais, terme utilisé par les bourreaux-médecins militaires japonais de l'Unité 731durant la seconde guerre mondiale en Chine du Nord-Est, à Pingfang près de Harbin (hier Manchukuo). Le "maruta" était un cobaye humain vivant sur lequel était effectué des opérations scientifiques ou médicales, création de virus, injections, congélations, carbonisations, transplantations, greffes, etc... les cobayes étaient des prostituées et leurs enfants, des prisonniers chinois, des communistes, des vagabonds, des criminels, des infirmes, des vieillards sans famille. Cette unité spéciale équivalent japonais de l'Ahnenerbe-SS de Himmler était dirigée par le médecin militaire Shiro Ishii (1892-1959), criminel de guerre.
(Extrait...: La prison (de l'Unité 731) était une vraie vision de l'enfer. Par un juda aménagé dans la porte d'acier de chaque cellule, les gardiens vérifiaient l'état des "marutas", ce qui signifie en japonais "la bûche, la bille de bois"(en tant qu'une entité physique). Ils voyaient des membres pourris, des bouts d'os qui pointaient hors des chairs noires de nécrose. D'autres suaient dans une fièvre atroce, se tordant et gémissant de douleur. Ceux qui souffraient d'infections respiratoires ne faisaient plus que tousser. D'autres avaient le corps gonflé, d'autres encores étaient squelettiques, et il y en avaient couverts de blessures ouvertes ou de cloques... Les japonais mettaient souvent un maruta infecté avec d'autres prisonniers en bonne santé afin de vérifier la facilité avec laquelle se propageait la maladie. Un maruta n'avait aucune possibilité de s'évader ni d'échapper à l'inoculation d'une maladie contagieuse. (...)
"(...) Pour les services commémoratifs l'on prenait un prêtre bouddhiste parmi les soldats du camp". (Morimura II, Ch.1, section : "The "logs" supply route" ou "la route d'approvisionnement en marutas" et "3000 personnes furent sacrifiés -aux expériences- à Pingfan", documents du procès de Khabarovsk, 1949, ed. de Moscou, 1950) in Le droit des riches, le néo-libéralisme et la terreur (critique du fascisme japonais)

( 4 ) "Reductio ad absurdum"

( 5 ) Bref apport conceptuel sur "l'athéisme et sa raison"
Le problème de l'existence de Dieu au regard de l'identité de structure entre les propositions et les faits atomiques, entre la logique et la réalité sensible sera jugé insoluble par Russell/Gunto.
Hirata Gunto refusera cependant l'affirmation "l'inexistence de Dieu" ou "Dieu n'existe pas" et laissera un traité de logique digne du XVIIème siècle : "Le langage et l'idéalisme" dans lequel il consignera une surprenante "Lettre aux théologiens de marché, aux jésuites et au Cardinal Dulles". Extraits.
"(...)Le mystère de la résurrection du Christ serait accessible par la réfutation du capitalisme et inconcevable au regard de l'entropie.Toutefois la résurrection semble une apologie de ce qui existe sans l'ordre, la continuité, la propriété, l'hérédité ou l'Etat. Le mystère serait une poésie de la brièveté, de l'instant, la qualité de ce qui serait pauvre, faible, mortel.
L'univers de la résurrection, non limitable au temps, à l'espace, à la matière du Christ, serait plutôt fait de points, de choses infimes, minuscules, inconstantes et discontinues. Au regard de quoi le pouvoir politique de l'Eglise semblerait une abération.
L'apologétique de la peine qui dure s'abat sur le pauvre dans le temps politique de la justice criminelle de Tibère, du procurateur Pilate. Elle repose sur un supplice, la crucifixion criminelle, qui durera trois jours si l'on en croit les Antiquités juives de l'historien juif Flavius Joseph.
Le Sanhedrin, la cour suprême pour les infractions à la loi qui s'occupe en même temps de fixer la doctrine, la foi d'Israel, qui dispose d'une assemblée de grands prêtres, d'une noblesse, d'une police politique sous le commandement du Temple, qui arrêtera Jésus afin de le juger, le droit pénal romain, la justice romaine qui a autorité sur le droit juif et qui ordonnera la peine de mort pour crime de lèse-majesté, sont bien vaincus par le pauvre parmi les pauvres, le Christ jeune, sans fortune, sans hérédité, sans terre, sans Etat ou sans royaume.
Le pouvoir politique quasi héréditaire de l'Eglise romaine, territorialisée, étatisée, la théologie politique de la crucifixion, la théologie de marché (le "Saint Siège" a bien aujourd'hui le statut d'observateur à l'OMC) paraîssent davantage le fruit de l'expropriation de l'humanité, du calcul, du profit, que le fruit d'un quelconque amour établi sur la foi en ce qui est bref, faible, pauvre".

( 6 ) "Kuroi aime" ou "pluie noire" en japonais. Nous rendons hommage, ici, à Shohei Imamura et à Masuji Ibuse pour leurs oeuvres (Kuroi aime,1989/1990), au couple Shizuma et à leur nièce Yasuko, aux familles atomisées à Hiroshima par Truman, bien inutilement, puisqu'au regard des thèses les plus récentes proposées par les historiens Tsuyoshi Hasegawa, Herbert Bix, Ernest R. May, Barton Bernstein, Gar Alperovitz, la partie jouée par les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l'U.R.S.S. et le Japon était possiblement bien terminée avant le 6 août 1945. Lire "Hiroshima after sixty years : the debate continues" by Gar Alperovitz, CommonDreams, 3 août 2005 et "The Russian option for ending the war" by Gar Alperovitz

( 7 ) Heibei Fangzeng Metal Net CO., Ltd


« fin »



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