Nouvelle de Christian Pose
Le
treizième citoyen du monde
"...Toutefois le sujet, selon toute
apparence, est une fiction logique, au même titre que les points
et les instants mathématiques. On l'introduit, non parce que l'observation
révèle son existence, mais pour des raisons de convenance
linguistique et parce qu'apparemment la grammaire l'exige... Si nous voulons
éviter une supposition parfaitement gratuite, nous devons renoncer
à voir le sujet comme une partie intégrante du monde."
Hirata Gunto (1926-?), extrait de la conférence "Conscience
et Expérience", université Todaï, Tokyo, 20 mars
2003 (1).
1.
La jeep du commandant Kosaka Masanobu frayait un passage dans les cendres.
Le véhicule s'enfonçait jusqu'aux portes. Les enfants soldats
suivaient péniblement, le souffle court, les jambes noires, les
casquettes de combat vissées sur les masques à gaz. Les
sous-officiers allaient et venaient sur les côtés chassant
vainement la poussière volcanique à coups de pieds, fouillant
la pluie noire à l'aide de vieilles torches Benfield tandis que
les capos chargés des "traitements spéciaux" cravachaient
la double colonne pour maintenir écarts et alignements.
Les officiers fermaient la marche serrant les chiens à la voix.
A intervalles réguliers les dogues étaient lâchés
sur les novices - les plus jeunes avaient à peine sept ans. "Opération
psychologique spéciale", disait le lieutenant Kagome à
son co-équipier nain Jion-ô. Le lieutenant Kagome avait été
l'un d'entre eux quinze ans plus tôt.
Les plus faibles s'effondraient dans le chaos, asphyxiés, renversés
par les molosses, abattus par les coups, écrasés par les
sacs à dos chargés de briques. Ceux qui demeuraient dans
les rangs, terrorisés, s'accrochaient désespérément
à leurs armes.
Les dogues hallucinés par les cris, la pluie noire, le feu qui
gagnait les arbres, se disputaient les corps inertes. Les vainqueurs mutilaient
les petits êtres en quelques coups de machoîres, lacéraient
les effets; hamacs moustiquaires et toiles de pluie volaient jusqu'aux
branches, s'enflammaient instantanément. Les casques de combat
sanglés sur les rabats des sacs, arrachés, terminaient leur
course dans l'épais lit de cendre.
Depuis la jeep le commandant Kosaka Masanobu murmurait un message radio
au lieutenant Kagome : "Kagome, retrouvez les sabres...".
"Le glorieux sabre du S.R.A.S." dessiné par le capitaine-adjoint
Obata Kagenori affirmait une fois de plus l'arrogante suprématie
du meurtre sur la vie. Sa légende avait précédé
tous les assassinats durant toutes les guerres. Jamais homme ne tuera
avec autant de fierté nationale qu'avec "le glorieux sabre
du S.R.A.S."
"Je fais du droit de tuer celui de protéger ma stratégie,
disait le capitaine-adjoint Obata Kagenori. Tuer et être tuer, la
voie du guerrier réside dans la mort ! "
"Mourir pour l'honneur !", "Mourir pour la Patrie ! ",
"Mourir pour la victoire ! ", "Camp Zama ! "(2).
En colonne par deux, les quatre premiers de chaque unité, corps
de chiffons meurtris, maintenaient avec peine les drapeaux noircis du
pays, de l'unité spéciale, de la compagnie, du régiment.
"Green Day"...
"Green Day" symbolisait la période militaire de printemps.
"Green Day" signifiait l'excellence en toute chose, la vitalité,
la nature, "nos enfants".
"Green Day" signifiait l'exaltation patriotique sur fond d'exhibitions
terrestres et de combats nautiques, "notre pays" ou "la
vie nouvelle".
2.
Sur ordre du capo-chef Sugawara Gidô les gardiens fermaient les
portes du camp. Ligoté avec du fil barbelé, dépité,
blessé, Hirata Gunto ne parvenait plus à faire un seul mouvement.
Briser ses liens ?
"Du fil barbelé nouvelle génération..."
avait dit le bourreau Sugawara Gidô. Politesse exquise du chef de
rang surveillant les délicates phases du découpage et du
flambage des viandes ou des poissons.
3.
Troncs épars calcinés, débris de mousses et d'herbes
projetés dans l'eau saumâtre de la lagune, pélicans
bruns saisis par les cendres, hérons brûlés sur pieds,
fuite éperdue d'aigrettes blanches emportées par le souffle
de la nuée, balbuzards pris au piège dans les fumées
noires, lit de cadavres carbonisés...
Les rivières salées étaient hautes et les brumes
soufrées. Les éruptions se succédaient. Les cendres
répandaient la nuit sur la forêt primaire transformée
en un monde d'ombres incertain tandis que les averses répétées
annonçaient la mousson.
Les enfants soldats du Service de Renseignement et d'Action Spéciale
construiraient les postes d'observation sur les arbres les plus robustes,
creuseraient les abris dans la terre pétrifiée parmi les
animaux morts, sous un monceau de roches volcaniques, d'arbres déracinés.
Jour après jour, ils observeraient la mangrove, scrupteraient le
delta, les vagues sans reflet jusqu'aux confins de l'océan sous
la pluie noire, le black-out.
Jour après jour, ils subiraient les rigueurs du programme scientifique
du commandant Kosaka Masanabou et du capitaine-adjoint Obata Kagenori.
Jour après jour, le commandant Kosaka Masanabou et le capitaine-adjoint
Obata Kagenori feraient irruption en chacun. Les sujets les plus brillants
seraient soumis aux effractions psychiques délibérées
sans jamais accéder à l'intentionalité des persécuteurs,
sans jamais comprendre le sens de leurs actes.
"Ils reçevront dans un état d'épuisement physique
et mental total la transmission de l'influence destructrice, disaient
l'idéologue Ryoichi Naito, le substrat de la prédation mais
aussi le goût pour le jeûne, l'effort et le silence, la communion.
L'absence de doute au moment de l'acte sublime".
Chacun se réveillerait, un jour, un goût âcre sur la
langue, sous le palais, des douleurs au ventre, au sexe, aux cuisses.
Chacun découvrirait l'ordre et le désordre, la pensée
unique et le dégoût de la raison. Il y aurait, un jour, d'un
côté : "les nôtres" et de l'autre : "l'ennemi".
Chacun gagnerait, un jour, le droit de torturer un prisonnier.
Les plus doux subiraient un déclassement dans la hiérarchie
des novices méritants sans échapper pour autant à
l'ivrognerie, à la grossièreté, aux obsessions amoureuses
des chefs monomaniaques oppressés et inquiets. Les moins chanceux
seraient abandonnés, souillés, au parfait camouflage de
la putréfaction sous les racines des palétuviers, dans la
vase chaude.
4.
Ces semaines de vie recluse avaient opéré un irrémédiable
processus de rupture, de désafilliation d'avec le monde, les illusions,
encore...
"Nos chefs affirment que les guerres civiles seront les plaies que
nous infligerons à ce siècle, enseignait le fringant idéologue
Ryoichi Naito aux sous-officiers chargés des "traitements
spéciaux" : Hideo Yoshimura, Takeo Tamiya, Kozo Okamato, Kenichi
Kanazawa. L'histoire retiendra sans doute leurs noms.
"Nous poursuivrons les travaux de nos maîtres, reprit Ryoichi
Naito. Autant dire que nous opposerons le fils au père et la fille
à la mère. Nous déchirerons les groupes improductifs
et désobéissants. Nous polluerons le sang du peuple avec
du sang de cheval. Nous transplanterons, s'il le faut, les cerveaux de
nos meilleurs novices dans le crâne de nos marutas, tous héritiers
de bonne famille (3)... Il n'y a pas d'opposition entre
la volonté, la paix, la guerre. Nous infiltrerons jusqu'à
la plus infime particule de volonté de ce temps. Nous détruirons
tout ce qui rattache à la vie, aux sensations, aux sentiments.
Nous ne douterons jamais de notre droit. "Le dédain de la
souffrance, dit le capitaine Obata Kagenori, sera notre support d'élévation."
Nous infiltrerons les masses sur des bases nouvelles. Notre manière
de tuer sera supérieure. "Nous ne sommes plus humains, dit
le capitaine Obata Kagenori, nous sommes un ordre souverain !!""
5.
Pour la plupart des enfants soldats du S.R.A.S. le bac à sable
et sa mythologie organique étaient encore proches. Un monde de
petits. Un monde de petites choses où chaque brindille plantée,
chaque fleur semée, chaque feuille rapportée, chaque goutte
d'eau versée, chaque grin de sable déplacé avaient
joué un rôle essentiel dans le développement personnel
et l'organisation.
L'absence de cohérence apparente avait guidé les sauts dans
l'univers. La création avait renouvelé l'espace vital pour
les besoins de l'action, de la justice, de l'amour, de la pensée.
Cette façon avait permis de vivre la nature, l'instinct, de déjouer
les pièges de la peur et de la violence. Cette façon avait
enfanté la part non maudite de l'humanité.
La vie demeurait cependant inachevée à cet endroit précis
dans les dunes de sable noir où s'engouffraient inépuisablement
hommes et mondes et desquelles rien ne s'écoulait plus ou desquelles
rien ne devait plus s'écouler; si petit endroit au regard de l'univers,
minuscule portrait de femme, d'homme, d'enfant, terrain vague pour jouer
et mourir.
6.
Les cendres recouvraient les brindilles, les fleurs, les feuilles, les
insectes, la terre, dense, chaude, douce, hier si disposée au bien
qu'en un rien : collines, montagnes, vallées, canyons, abris providentiels,
tunnels de secours, buissons, forêts, océans, jaillissaient
des mains, de la matière, et retournaient par ces mêmes mains
à la matière et au vent.
L'eau ne portait plus l'empreinte des nuages, du ciel sans fond, du visage,
de la chevelure, du corps de cette fille si belle, de ce garçon
silencieux si entêtant... La présence lumineuse des premiers
tourments conçus pour la forme, l'action réaliste, l'étreinte,
intense, douloureuse, avait disparu dans cette effroyable nuit diurne
de la fin de printemps.
7.
Hier, ceux qui guerroyaient touchaient vite les limites de l'omnipotence
magique.
Hier, le réalisme entraînait les soldats vaincus dans la
grande prison où, déjà, des innocents affaiblis agonisaient.
Hier, les tyrans étaient abandonnés dans ce même trou
de sable noir innondé par les pluies froides de mars ou mouraient,
sombres, dans une clairière isolée, brûlés
par les feux de juillet ou d'août. Certains, malgré tout,
survivaient, infiltraient le monde, gagnaient les hiérarchies,
invitaient les hommes à battre les femmes, à prostituer
les enfants ou à s'armer contre l'étranger.
Hier, lors des joûtes pour la liberté, l'amour, l'imaginaire
politique, l'anarchie, la justice sans Etat ni police, les salauds consummés
par le désir morbide de gouverner ou de châtier apprenaient
leur rôle en nous trompant, soumettant les filles et les garçons
les plus pauvres.
Hier, au bord du gouffre, nous cherchions à dissiper nos craintes,
nos doutes. Les bourreaux avaient une ombre, des jambes maigres, un dos
rond, fuyant, une tête de clou... soldatesque féroce perchée
sur le toit du monde en quête de promesses mystiques.
"La pensée dans la misère est un mal, disaient-ils.
La pensée intelligente naît de la conquête, de la puissance,
de la gloire".
Nous devions agir, vite. Mais comment ? Nous avions juré sur notre
Charte que la paix serait gagnée sans violence ni haine. Nos espoirs
de paix... Nous devions sauver le monde.
8.
Parfois nous lisions dans les champs le poème des planteurs de
pruniers. Le poème débutait ainsi : "Un oiseau ne chante
pas sur un arbre brûlé..."
9.
Un enfant soldat doté d'une voix claire entonna le premier vers
du chant "Pour la victoire" :
"Je suis un guerrier..."
La troupe reprit sous la pluie noire :
"Je suis un guerrier
Je servirai le pays jusqu'à la mort
Je placerai toujours ma mission en premier
Je n'accepterai jamais la défaite
Je suis discipliné et entraîné
Je suis né pour infiltrer et pour tuer l'ennemi
Je suis prêt à me déployer
Je suis le gardien de la liberté
Je suis un guerrier..."
10.
Enchaîné à son destin Hirata Gunto égrainait
l'hymne à la guerre quand un groupe de prisonniers repentis disparut
en courant, courbant l'échine sous les matraques, levant les jambes
pour éviter les dogues. Un rouleau de poussières volcaniques
se formait sur les toits, léchait les branches des arbres, se ramassait,
prenait de la vitesse, fouettait les baraquements, aveuglait soldats,
chiens, prisonniers. Les jeunes officiers de garde volaient en écrasant
leur casquette d'une main, saluant stupidement les non repentis de l'autre.
La forêt était entrainée dans un maelstrom de cendres,
d'eau, d'air brûlant. Le maelstrom absorbait l'interface comprise
entre le ciel et la canopée, les sous-bois et la terre. Tout ce
qui était bas montait, disparaissait par un étroit orifice,
ouverture dans la nuit.
Tout ce que la nature comptait de solide ou de liquide se sustentait,
seul. Puis, la grande déformation mue par un mouvement interne
prit de la vitesse, tournoya sur son centre, siphon immobile. Des bandes
de nuit morte, de temps et de matière s'y abîmaient avec
fracas tandis que la trombe intertropicale arrivée enfin à
maturité, vertigineuse cheminée d'admission, toupie assourdissante,
se déplaçait ivre, aveugle, explosant au contact des obstacles.
11.
Le fil barbelé de dernière génération du bourreau
Sugawara Gidô découpait la chair des suppliciés nus.
Les non repentis agonisaient le corps droit, sanglés à des
grilles fichées dans une base de béton. Le calme revint
dans une pâle lueur sous la pluie noire (6).
12.
Yuanming Gunto, son père, racontait que les chants guerriers ramenaient
à la vie les âmes en peine et les dieux morts. Chaque arbre,
chaque fougère, chaque pierre, chaque racine de cette terre foulée
était un aspect de ces esprits violents, éruptifs, malveillants,
jaloux, qui cherchaient de nouveau à prendre forme. Le fracas des
armes réveillait les forces égoïstes, les croyances
primitives, tous les rites de possession de la terre, des naissances,
des animaux, des hommes, des semis, des récoltes, des nuages, de
la pluie, des rivières, du soleil, de la brume, des océans.
Le vivant disparaissait sous les trombes de roches. Opérait alors
la métempsychose.
Yuanming Gunto disait : "les guerres reposent sur les trois éléments
de la possession territoriale : la maladie, la sorcellerie, le pouvoir.
Rien ne se passe sans ces trois éléments. Dans les campagnes
l'on joue du tambour pour faire parler les âmes en peine et les
dieux morts. Âmes en peine et dieux morts rendent malade, entrent
dans les maisons, tuent la fertilité des femmes. Les morts sont
à l'oeuvre quand les enfants ne naissent plus, quand les campagnes
se vident, quand les maladies dispersent les hommes. Quand les sorciers
appellent les morts, la mort se répand. Les sorciers ont le pouvoir
des dieux morts. Ce pouvoir est bien supérieur au pouvoir politique.
Les sorciers agissent comme les insectes sur le grain, les réserves.
Les sorciers commandent les nuisances, les faillites, les suicides. Les
sorciers rendent fous avant de vous voler : santé, biens, femmes,
enfants, maris, travail, volonté, liberté."
Les enfants soldats du S.R.A.S. ensevelis dans les boues avaient répondu
aux dieux morts. Ces derniers avaient pris la forme du manuel, des ordres
inflexibles, des ivresses, des obsessions amoureuses du commandant Kosaka
Masanobu et du capitaine-adjoint Obata Kagenori brûlés par
la nuée ardente.
"Lors des entraînements spéciaux le code militaire autorise
jusqu'à 20% de perte, 40% en temps de guerre..."avait dit
Ryoichi Naito à son équipié Katô Kiyomasa en
quittant le camp au matin.
"Etre sincère dans l'exécution des ordres, avait-il
lançé railleur aux pieds des suppliciés, veut dire
que tous nos sentiments et nos actions relèvent du service absolu
et que l'on se donne totalement à la tâche qu'on est en train
d'accomplir...En exécutant nos tâches, cher ami, nous devenons
partie intégrante de l'univers entier, nous réalisons notre
véritable nature originelle..."
13.
Le monde s'était pourtant préparé à ne rien
tolérer des fascistes. Le monde s'était mobilisé
contre les Etats bourgeois, les classes moyennes passives, les leaders
populistes, les commissaires politiques nostalgiques. Le monde s'était
mobilisé contre le recrutement, l'armement, la guerre. Le monde
avait pourtant choisi de s'effondrer au pied de la colline imprenable
au nom des luttes partisanes. La puissance des croyances primitives, extrêmement
possessives, territoriales, avait miné le sol des résistances
civiles non combattantes et détruit la portée symbolique
des messages citoyens sur l'autonomie politique, la paix, la liberté
réelle. L'autonomie politique était détruite. La
paix civile était détruite. La liberté réelle
était détruite.
Le monde était prisonnier d'un nouvel ordre amoureux, prisonnier
comme un seul homme. Comment en était-il arrivé là
?
14.
Où étaient ses enfants ? Les enfants des villes et des îles
voisines avaient-ils été conduits dans ce camp ? Etaient-ils
tombés dans le puit de vagues et d'écume des enfants perdus
?
15.
Le lacet de barbelé glissé autour de sa gorge par le capo-chef
Sugawara Gidô entaillait la chair, écrasait les carotides.
"De jolies mailles de fil croisé de chez Heibei Fangzheng
(7), avait dit le bourreau Sugawara Gidô. De Chine
Populaire, Professeur. "Fishing, steel, ceramics", ah, ah...
De bonnes mailles de fil barbelé lamellé, longues comme
le Huang He, jolies, pratiques, peu chères...Regardez autour de
vous, nous avons acheté le meilleur lamellé croisé.
Fini le tressage artisanal de 1939. Aujourd'hui on fait dans le renforcé
industriel avec de la plaque d'acier inox et de la plaque d'acier zingué
entre deux lames de fil. Il n'y a pas mieux pour les camps militaires
spéciaux et les prisons. Le professionnels nous envient, vous savez
!?."
16.
Hirata Gunto entendit un cri : "GUNTO !!" puis le claquement
sec du fouet, le ricanement des soldats élégants, frais,
athlétiques, beaux enfants bruns aux yeux noirs de la police politique
militaire, du renseignement militaire scientifique, du S.R.A.S. : "
Matsumoto, Ôkuryakyô, Jôchô, Naitô, Fujiwara,
Gyôja, Ji-un, Okisato, Ôkurakyô, Hosoi...". Certains
comptaient peut être parmi ses anciens élèves. Hirata
Gunto perdit connaissance.
17.
"Gunto?" Qui était Gunto ?... Quelle importance.
Gunto était un type comme tout le monde, ou presque. Toute sa vie
il avait tenu à n'être personne; semblable aux lignes causales
qui permettent d'avoir conscience des objets. Des lignes que l'on trouve
partout, susceptibles de disparaître comme les rivières dans
le sable. Une proposition qui signifiait que l'on ne perçevait
pas tout à tout moment, qu'il était inconcevable de prétendre
tout savoir, tout comprendre, vain de retenir, contrôler, diriger...
Vain de refuser de partager la liberté.
Gunto était un homme simple. Il n'aimait pas quand il n'aimait
pas et aimait quand il aimait. Gunto ne faisait d'ombre à personne.
Et pourtant... Ne pas faire d'ombre produisait quand même de l'ombre.
Gunto aimait les petits arbres. Il racontait souvent à sa femme,
Yukino, et à ses deux enfants, Kai, Yuto, qu'il n'était
pas un grand arbre. Gunto s'était voulu camélia en souvenir
d'une histoire que lui avait raconté son père.
"Parfois les anciens inventent des histoires. Il est bon de changer
d'apparence, retrouver sa dimension réelle, changer le cours du
temps. Change de temps en temps, deviens non pas quelqu'un d'autre mais
quelque chose d'autre...Tiens, moi par exemple, je suis une belle brique
de four à pain..."
Hirata Gunto s'était donc inventé une surprenante idée
de lui-même. Il était devenu un camélia rouge, un
arbre jeune dont il avait dégagé le tronc, le feuillage
et les fleurs pris au piège d'une glycine, derrière la maison,
au bout du chemin conduisant à la rivière et aux plantations
de champignons.
Kai était devenu une carpe car son père avait déversé
des dizaines de carpes dans la rizière familiale pour désherber
chaque pied de riz. Kai avait trouvé cette idée extraordinaire,
de belles carpes noires et dorées nageant dans la rizière.
Yuto se projetait plutôt dans l'habileté de Yukino quand
elle fabriquait paniers et ombrelles, peignait des fleurs d'eau ou travaillait
le bois, artiste inspirée et sobre. Les mains de Yukino n'étaient
jamais blessées ou tâchées. Il l'observait des heures
entières, silencieux comme une chouette perchée sur un banc.
Parfois il jouait avec de la poudre de pin rouge et devenait de la poudre
de pin rouge. Il réussissait une authentique transubstantiation.
Hirata Gunto avait aussi le pouvoir d'entendre et de voir, de respirer,
de vivre. Gunto n'était pas comme tout le monde. Gunto était
comme tout le monde et cette nuit chaude et humide de printemps l'emportait,
l'une des premières sous ces latitudes intertropicales. Hirata
Gunto agonisait suspendu aux grilles de la prison, pressé comme
un fruit contre une râpe, garrotté avec du barbelé
de lignes de défense.
18.
"Qui es-tu Gunto ?"
"Mr. lnférénce" (pour ses propos sur l'inférence
scientifique), "Toto" (pour son usage fantaisiste d'Aristote)
ou encore "Gunto l'anarchiste" pour ses prises de positions
anti-guerre, anti-Etat, anti-capitaliste, anti-parti.
"Gunto falsificateur!". "Gunto profiteur!"
Une façon pour ses ennemis d'exprimer l'arrogance scientifique
et politique d'un système épuisé et corrompu. Gunto
était de ceux qui donnaient envie qu'on se fiche d'eux et à
qui on épinglait, quand on le pouvait, un poisson-lune dans le
dos.
"Toto" conseillait, par exemple, de débattre du pacifisme
avec les académiciens en appliquant le "reductio ad absurdum"
d'Aristote (4), démonstration par l'absurde qu'une
proposition non fausse était forcément vraie.
"Toto" démontrait que l'hypothèse "la paix
par la conquête du pouvoir d'Etat conduit à la guerre"
soutenue de bonne foi par les mathématiciens salariés était
vraie, qu'il fallait concevoir l'organisation des oppositions pacifistes
anticapitalistes, les modalités de fuite ou de résistance,
la morale et l'éthique, autrement.
Mais Hirata Gunto, pour tout dire, n'aimait pas la philosophie car réfuter
ne signifiait pas prouver. Hirata Gunto était avant tout un mathématicien
et un physicien intraitable sur la façon d'aborder l'analyse de
la connaissance. Il scandalisait, donc. Membre du Conseil de l'université
il tenait souvent des propos ubuesques lors des assemblées générales.
"Mes classes préférées, disait-il... le conseil
pense qu'après avoir procédé à l'hydrolyse
de l'eau il peut encore obtenir une boisson rafraichissante avec les produits
de l'analyse... notre connaissance des hydrocrabures régresse...
j'espère des sciences une satisfaction religieuse... donner des
définitions exactes fait courir un grand danger".
19.
"Qui es-tu Gunto?"
"Hirata Gunto est mon fils" disait sa vieille mère. "Mon
meilleur ami" disaient les voisins. "Mon père" disaient
ses enfants. "Mon époux" disait sa femme.
"Gunto ?"
C'est la prochaine ferme après la rizière, disait la postière
septuagénaire, il utilise du riz fermenté pour désherber
sa rizière".
"Gunto ? Il se chauffe au bois et s'éclaire à l'huile
de colza, disait le copain gazier-pompiste, il souhaite que ses enfants
fassent l'expérience de la nuit noire".
Gunto enseignait à l'université deux fois par semaine. Gunto
était un homme simple. Il avait démontré depuis longtemps
la distinction entre l'humain et le divin.
"Pour que la simplicité soit évidente, écrivait-il
au tableau avec cette manière si chinoise de composer les caractères,
il faut que la pensée s'enracine réellement dans le besoin
de l'homme pratique". Gunto possédait donc cette sorte de
grandeur que l'on sent devant d'immenses résultats qui ont été
atteints à partir d'un minimum de données.
Gunto possédait un dégoût naturel pour le pouvoir
et le salariat. Il refusait, du reste, d'enseigner ou de chercher en échange
d'un salaire "acceptant, disait-il à la presse, ce qui est
accordé de droit à tous les pauvres du monde, la misère".
Gunto vivait donc du produit de ses champs. Il échangeait du riz
contre de beaux plans d'aubergines, des patates douces contre des oeufs,
du taro (tubercule farineux proche de la pomme de terre, légèrement
sucré) contre des pois, des goyas amers d'Okinawa ou du bois. Il
cuisinait le meilleur "kimchi" de la région (chou blanc
pimenté à la façon coréenne) et cultivait
toutes sortes de courges. Il vivait du troc, de la vente des paniers et
des ombrelles militantes de Yukino.
Défenseur de la décroissance et du désarmement il
percevait les secrets des lois générales et présentait
à ce titre une menace pour l'Etat et la bourgeoisie mafieuse, l'armement,
l'énergie, le business agroalimentaire. Pourquoi une telle agitation
?
Comme tout le monde Gunto se posait la question. Comme tout le monde Gunto
oubliait rarement ce qu'il avait appris. Comme tout le monde Gunto savait
tout. Comme tout le monde Gunto et la foule savaient tout du nouveau discours
amoureux qui s'était imposé à l'intelligence organique.
Comme tout le monde Gunto avait goutté aux fruits défendus
: aux nouvelles générations de jouets-robots, aux cents
chaînes télévisées, à la simplification
du Kanji, aux images 3D, aux ordinateurs, aux satellites, aux vidéo-conférences,
au télescope optique, au golf et au baseball, à cet amour
des choses produites sous le sceau implacable de la dérégulation.
Comme tout le monde il s'était opposé à l'amour du
système car l'amour du système et l'exigence de certitudes
étaient de sérieux obstacles à l'honnêteté
d'esprit.
"- D'un côté les pions Rouges et les pions Noirs, écrivait-il
au tableau, de l'autre les pions supposés Idiots encadrés
par les pions de l'Ordre. Deux contre deux...
"- De quel type d'univers s'agit-il ? avait demandé un étudiant
astucieux.
"- De l'univers des préjugés. La partie à quatre
symbolise nos habitudes qui ne veulent pas tomber. Essayons d'envisager
l'avenir au petit bonheur, loin des inventions, de l'ordre, des guerres,
de l'unité, de la continuité, de l'Etat, y compris de la
mémoire. Le monde est fait d'évènements brefs, minuscules,
discontinus.... Cette partie à quatre nous interdit de regarder
le monde d'une manière nouvelle.
"- Une somme infinie de coups jouables nous conduirait encore aux
préjugés ? demanda l'étudiant astucieux.
"- Cette partie est pénible. Elle réduit la mémoire
à l'exercice de la domination. Je ne vois pas le jeu dans ce jeu,
même à deux contre un supposé crétin qui n'avance
jamais sans ses soldats.
"- Mais existe-t-il un univers sans préjugé ? demanda
l'étudiant insistant.
"- Le notre, un univers composé de points et de sauts, sans
unité, sans cohérence, sans ordre et sans aucune des autres
propriétés qui gouverne l'amour."
20.
Hirata Gunto mourait boucané comme tout ce qui vivait sur l'île.
Chaque soir les gardes ramenaient en riant des singes assommés
avec des balles de caoutchouc tirées avec des fusils anti-émeute
ou paralysés avec du gaz incapacitant. Les gardes avaient tous
servis dans la police politique. Sur chaque fusil étaient gravés
les noms d'émeutiers célèbres, ouvriers, étudiants,
écrivains, syndicalistes, massacrés lors d'affrontements
historiques.
Les gardes disaient : "tiens, voilà Torenku Gekijô,
sorti tout droit de l'enfer, retournes-y ! Tiens, voilà Hisaita
Eijirô, la lutte continue, retournes-y ! Tiens, voilà Kaji
Wataru, dénonce les politiques, veut davantage d'étudiants
dans les mouvements révolutionnaires, retournes-y ! Tiens, voilà
Miyoshi Jûrô, veut casser du fonctionnaire incompétent,
retournes-y ! Tiens, voilà Murayama Tomoyoshi, veut des militants
en bonne santé pour la vie des syndicats, retournes-y !...".
Les bêtes étaient accrochées aux grilles sans ménagement
puis traînées aux cuisines quelques heures plus tard où
elles étaient rasées pour le repas du soir.
Hirata Gunto avait été assommé à l'aide d'une
décharge lumineuse, jeté à moitié nu dans
un sac et conduit aux "cuisines".
Quelles cuisines ? "Les cuisines!" avait lancé le capo
Sugawara Gidô.
Quelle île ? "l'île!" avait crié Yamamoto
Isoroku son co-équipier taré.
21.
Hirata Gunto pensait sans cesse aux disparus du régime d'occupation,
ces inconnu(e)s dont on ne gardait pour souvenir qu'un photoportrait collé
sur un mur ou sur un poteau avec la mention spéciale "disparu"....
Il était désormais l'un d'eux.
Tous les soirs une table ronde coiffait son crâne, rasé,
cerclé d'un bandeau de métal tandis que de nouveaux liens
maintenaient ses poignets et ses chevilles. Tous les soirs la scie circulaire
du cuisinier découpait méticuleusement la boîte cranienne.
Tous les soirs les mangeurs de cervelles cherchaient à connaître
le cadre de ses pensées - les raisons ou le contenu, faire parler,
ils s'en fichaient.
Tous les soirs les assassins idéalisés faisaient silence
et pratiquaient le "messhi-hôkô". Ils supprimaient
le "soi" pour servir le bien public et communiaient une petite
cuillère en argent à la main. Hirata Gunto demeurait malgré
tout "shi" ou "watakushi", autrement dit un irréductible
"je", un moi privé, secret, arbitraire, contraire à
l'ordre public.
Le système tortionnaire comme tout système amoureux s'attaquait
à la part collective de l'identité. Une démarche
initiatique qui ne conduisait à rien. Les législateurs de
l'amour souhaitaient qu'Hirata Gunto et les non repentis soient isolés,
mis au secret, jusqu'à ce que s'effondre le sentiment d'adhésion
aux groupes passés, jusqu'à la mort de l'expérience,
de la mémoire, de l'égo.
Hirata Gunto (ses aveux seront écris avant même qu'il soit
torturé) ne sera jamais relaché pour servir le terrorisme
d'Etat dans les gares ou dans les grands magasins, pour fabriquer de la
biologie sociale raciale dans les pays riches, des plannings familiaux
eugénistes dans les pays pauvres ou pour semer de la terreur religieuse
parmi les étudiants boursiers sans famille.
"Tout le monde sait ce qu'est un homme-singe, murmurait Hirata Gunto
sous la pluie noire, mais personne ne sait ce qu'est un homme-singe anti-unitariste,
athée, en soi (5). Les possédés
de l'amour du système savent ce qu'est la foule unitaire. Mais
ce qu'est l'être sensible en soi, monde privé, homme, femme,
enfant, nourrisson, nul ne veut s'en souvenir. Un homme-singe dévoré
vivant sur une île inconnue endure ce que tout homme isolé
par le système amoureux endure piégé dans la masse
dévorée par les Etats, le commerce, les partis, les guerres".
22.
Qui était Hirata Gunto ?
Au cinquième coup de fouet le cuir pénètrait la chair.
Le corps lacéré de la veille et de l'avant-veille se réveillait.
A chaque secousse le fil barbelé déchirait le torse et le
ventre, les hanches, les jambes. Hirata Gunto savait qu'il était
vain d'espérer. Ses doigts cherchaient douloureusement les barreaux
de la grille. Parfois le fouet glissait sur le cou ou sur l'oreille, l'oreille
s'ouvrait. Le sang coulait abondamment. Il existait bien des façons
d'endurer le fouet. Hirata Gunto en connaissait deux, avec traction des
doigts, sans traction des doigts. Ces deux moyens correspondaient à
deux types de suppliciés. Avec traction l'on parvenait à
se dire que la vie était là, quelque part dans l'effort
de traction, au bout des doigts. C'était suffisant. Les suppliciés
accédaient, pour ainsi dire, à un espace privé situé
au-delà de l'autonomie du bourreau... Sans traction la mort était
plus rapide. Hirata Gunto était de ceux qui s'accrochaient à
la grille. Il endurait ainsi plusieurs jours de suspension et de lacération.
Puis la vie phénoménale se substituait à la volonté
et maintenait le corps suspendu, les entrailles en feu, tout en l'entraînant
inexorablement dans l'abîme, la terre ferme.
Hirata Gunto sombrait dans l'inconscience mais son esprit projetait encore
de l'univers logique. Hirata Gunto se surprit en vie plus d'une fois et
plus d'une fois se surprit en compagnie d'une vieille hypothèse
scientifique sans pouvoir aller plus loin : "bien que le monde extérieur
ne soit pas tout à fait le monde de la perception..."
Peut-on se rappeler ce que l'on a jamais connu? L'esprit, fragment de
matière, se pensait "Vie" répudiant la subjectivité
du temps et de l'espace. L'esprit repoussait l'échéance
finale par d'improbables moments de connaissance; improbables car la violence
et la répétition des coups réduisaient à rien
les possibilités de fuite spéculative.
23.
"Gunto?"
"Qui es-tu Gunto ?"
Pour les enfants soldats du camp Gunto était un supplicié.
"Gunto le supplicié". Il y en avait toujours un pour
l'observer avec des yeux de daim, mimer une absurde crucifixion, arracher
un morceau de peau brûlée par le chalumeau d'émailleur
du capo Gidô ou par les cendres du volcan.
Gunto était donc "Gunto". "Salut Gunto". Le
"bon à rien" accroché à une grille fichée
dans une base de béton. Et ce camp, de quel camp s'agissait-il
? D'un camp qui avait échappé aux lois, à la géographie,
au monde. Un camp secret.
Un trou de fer, une muraille de fer, une surveillance de fer ? Non, une
grande prairie noire, des chalets sombres, un grillage de quelques mètres
de haut, du fil barbelé en rouleau recouvert de muriers, d'érables
sous les cendres, un chemin déambulatoire fermé par une
haie de pins mornes, de fougères, de bambous, de pruniers nains
calcinés. Une terre qu'aucun paysan ne cultiverait.
24.
Les grilles aux supplicés étaient recouvertes de sang noir,
d'un goudron d'insectes morts, de putréfaction, de cendres chaudes.
Les insectes les plus résitants et les plus voraces cherchaient
encore à se repaître de la charogne des révoltés
tandis que de nouvelles escouades de diptères, de mouches vertes,
à damiers, bleues, colonisaient ce nouvel espace de vie pour implanter
leurs larves. Une escouade de sarcophagiens surgirait des profondeurs
de la forêt le mois prochain. Elle entreprendrait la matière
fécale. Une escouade de dermestes (coléoptères, lépidoptères)
surgiraient des trois et neuvième mois attirés par l'odeur
de graisse rance. Surgiraient encore les escouades coryétiennes
(dixième mois), sylphiennes (deuxième année), d'autres
escouades interviendraient encore pour coloniser l'espace des poussières.
Gunto et le groupe des non repentis étaient déjà
créatures silencieuses, sans forme.
25.
Un repenti écrira : "La vie d'ici est purement réglementaire.
Elle n'est jamais confrontée aux faits du dehors. Des faits auxquels
nous avons été arrachés précisément
pour subir la vie réglementaire. Les faits d'ici consistent en
des successions d'instants couplés à un subtil mouvement
d'horloger. Il n'y a jamais de place pour l'esprit en dehors du réglement.
Nous faisons corps aux gémissements des hommes accablés...
Nous avons reçu l'ordre d'avançer par deux, tout comme les
soldats. Nous ne sommes jamais seuls. Les binômes, parfois les colonnes,
donnent l'impression d'évoluer dans un ciel vide, une misère
religieuse qui confère une réalité fantastique au
soldat. Comme si chaque homme en s'engageant volontaire dans la mission
secrète du capo ou du bourreau avait été doté
d'un ciel à part. Les capos sourient toujours aimablement. Un sourire
hypnotique et malheureux qui dit : "tu vois j'ai trouvé mon
propre reflet. Je suis mieux."
26.
"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?". Claquement de fouet.
Gunto n'était pas étranger à lui-même. Si l'homme
était un être générique, lui, Hirata Gunto,
avait refusé la doctrine de l'"Etre-de-l'homme" exploitée
par le parti, l'Etat, l'église, l'entreprise, l'armée, le
S.R.A.S.. L'"Etre-de-l'homme"... être générique
de l'homme devenu étranger à lui-même, graine des
créatures obéissantes fondues dans l'objectivité
supra-humaine des catastrophes, des guerres, de la détermination
sociale.
Demeuraient au bout du compte les trésors sacrés ou maudits
du paléontologue, les forêts stratifiées de fossiles
humains de type : "démocrates-empereurs" entérés
avec leurs esclaves amoureux, autre type.
27.
"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?". Claquement de fouet.
Le bourreau accélérait la cadence.
Dans les baraquements les soldats discutaient comme d'honnêtes repentis
sur une planète miraculée peuplée d'apprentis. Il
y était question d'objectivation politique et d'étapes spéciales
pour parvenir au règne militaire de l'objectivité impériale.
Il y était question de l'"Etre" que "l'homme seul"
ne pouvait obtenir de droit ou par ses seules aptitudes à l'amour.
Triomphe de la volonté couplé à un savant mécanisme
d'horloger, encore. Ryoichi Naito enseignait qu'il était question
de délivrer l'"Etre-de-l'homme" des liens et des bornes
de l'individu puis de transformer en objet ce qui devait être adoré
et contemplé comme un être à part.
Il disait : "au delà de la folie temporaire chacun retrouvera
cette essence en lui-même une fois le processus accompli."
Ici, les matons et les capos de l'ordre spécial observaient leur
propre être sous l'aspect d'un autre être tout en fustigeant
l'esprit et la chair des faibles. La torture était un outil pédagogique
qui permettait d'accélérer le processus du détachement,
de l'élévation spirituelle.
Au delà des haies de muriers les entrepreneurs amoureux parachevaient
le grand oeuvre des aryens privés de leur foi.
28.
"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?"
Gunto respirait avec peine. Il économisait son souffle pour la
longue nuit noire.
29.
"Pour que l'"Etre-de-l'homme" et le pouvoir amoureux soient
enrichis l'homme doit être appauvri, disaient les hommes par deux.
L'"Etre-de-l'homme" n'est pas ce que l'homme veut être,
l'"Etre-de-l'homme" est l'"Etre-de-l'homme" et l'ordre
amoureux s'oppose à ce que l"Etre-de-l'homme" soit représenté
sous la forme d'un être réel".
Le nouvel ordre amoureux souhaitait récupérer l'essence
de l'homme aliénée en l'"Etre-de-l'homme", lui
confisquer son être générique et le maintenir séparé
de lui. L'objectif de l'ordre amoureux consistait à se substituer
à l'"Etre" sans lequel l'ordre ne pouvait exister; technique
de contrôle du comportement et de l'esprit exploitée rationellement
par les ordres papistes, les marchés, les médias, les Etats,
le collectivisme, le gouvernorat mondial.
L'ordre amoureux espérait ainsi saper le fondement théorique
de l'individualisme, le fameux "monde sans l'Etre-de-l'homme"
auquel de plus en plus d'apostats et de révolutionnaires sociaux
non violents faisaient allusion, autre colline imprenable.
Ici, l'incroyance, la raison, l'activisme politique avaient remplacé
la foi et le dogme de l'ordre. L'homme avait renversé la statue
du prêtre et mis le feu à la forêt secrète du
roi thaumaturge. La misère matérielle avait remplacé
l'enfer.
30.
"Gunto!!"
"Qui es-tu Gunto!!?"
La nuit venue l'homme prisonnier se faisait camelia rouge.
31.
Au début de l'été Yukino peignait des jacynthes d'eau
sur une ombrelle. Ses manches vertes légères étaient
roulées aux coudes, son chemisier bâillait. Assise sur les
marches de l'atelier elle serrait délicatement l'ombrelle entre
ses cuisses, sur un tablier de toile de coton bleu qu' en cette saison
elle ne quittait jamais. Yukino mordillait souvent une brindille quand
elle travaillait. Hirata Gunto souriait à ce coeur, ce corps, ce
visage calme, ces lèvres douces, régulières, ces
yeux si doux qui furent sa vie. Kai la carpe de rizière, Yuto la
poudre de pin rouge...
Il se souvint de ce petit chat qu'un paysan fou avait abandonné
dans un sac de riz au fond d'une ravine. La pauvre bête terrorisée
miaulait à damner les vivants. Il était descendu dans les
broussailles et avait sauvé le petit. Yukino, Kai, Yuto avaient
applaudi à tout rompre. Le petit chat avait été adopté
et aussitôt baptisé "patate" parce que la famille
s'en allait au champ chercher les patates. Tout au long du trajet "patate"
avait été fêté en héros des contrées
lontaines.
32.
La vérité impersonnelle effaçait peu à peu
sa formidable mémoire. Mais là encore il y avait de quoi
rire car il était peu problable qu'il soit jamais parvenu à
la vérité dernière. Il n'était pas dévoré
non plus par la tendance incurable à se faire des disciples. Aussi,
la mémoire...
33.
Hirata Gunto se souvint énigmatiquement de la journée du
16 mai 1966. Mao fustigeait "les représentants de la bourgeoisie
qui avaient, disait-il, infiltré tous les niveaux du Parti communiste".
Il souhaitait provoquer le soulèvement des étudiants contre
le Parti. La Chine plongeait à nouveau dans l'insurrection, la
guerre civile, le chaos. C'était le début de la Révolution
Culturelle, quête du pouvoir personnel amorcée au nom de
la lutte des classes, achevée au nom de la révolution idéologique
permanente, mouvement de masse sans précédent, répressif
et réprimé. C'était aussi le jour de la mort de son
père.
Ce jour il avait dispensé un cours d'initiation : "... les
entités de la physique mathématique ne sont pas la substance
du monde mais des constructions composées d'évènements
prises pour unités par le mathématicien pour de simples
raisons de commodités".
34.
Chaque soir Ryoichi Naito sortait seul une cigarette aux lèvres.
Il marchait pensif jusqu'aux corps suspendus, inertes et s'arrêtait
devant la charogne d'Hirata Gunto. Il respirait profondément, dégrafait
sa vareuse, dandy érudit, à la façon des fils de
grandes familles évoluant depuis des siècles dans les couloirs
et les alcoves du pouvoir impérial... C'était son allure
à Ryoichi Naito; beau gymnaste sélectionné par le
comité olympique, cheval d'arçons et anneaux, spécialiste
de la croix de fer, adulé.
Cela dit, quand il pensait à "Anarchie et Pacifisme",
il y pensait maintenant tous les jours, il éprouvait le besoin
de se parler, de fumer immodérément tout au long de la nuit.
Une conférence qu'il n'avait toujours pas digéré.
Il y avait eu beaucoup de monde cette nuit de décembre 1990. Des
gens de tous âges, si nombreux, parfois très âgés
et très jeunes, "trop jeunes, avait dit Ryoichi Naito à
ses confrères cadets de Todaï, et les vieux, trop vieux et
trop tordus pour comprendre".
C'était un mois avant qu'il ne s'engage dans la campagne de soutien
à l'opération militaire "Tempête du désert"
au Koweit, contre l'Irak. Saddham Hussein menaçait les soldats
américains de "fleuves de sang" et d'une "mer de
feu". Tel Aviv devait être la première ville détruite.
Au sein des groupes nationalistes et militaristes de l'université
- comme Diktat d'Adachi Kenzô, Rétablissement de Nagano Seigô,
d'inspiration mussolinienne, ou Renouveau, son propre groupe d'action
pour la restauration impériale en lisière des organisations
criminelles - l'on avait craint une représaille violente, une pluie
de missiles nucléaires nord-coréens ou chinois.
"- ... C'est ici bas dans l'état terrestre que l'homme doit
réaliser la plénitude générique qu'il cherchait
dans l'au-delà céleste, récitait Ryoichi Naito. Car
le véritable "état" est l'homme émancipé
de ses bornes individuelles...L'homme vrai, achevé, "divin"
est cet homme qui sans être délivré de la question
de l'au delà car il existe bien un au delà de nous-même,
expertisable, admet comme probable l'existence d'une vérité
impersonnelle qui ne fait pas seulement que décrire le monde qui
se trouve exister. L'homme vrai est cet homme se déterminant lui-même,
l'homme se rapportant à soi...".
"- L'homme vrai, toutefois..., ajouta Ryoichi Naito en boutonnant
sa vareuse, il ne peut y en avoir qu'un seul. Quant au pays, il ne se
déterminera que par ce même homme. Il nous aura fallu soixante
années pour nous redresser, Professeur. Nous avons de nouveau des
lois favorables, un parti, un grand Ministère de la Guerre, une
armée puissante, une industrie militaire, des appuis solides qui
ne dorment plus, une morale nationale, un drapeau, un avenir à
conquérir.... Comme quoi, la logique pure sans la politique du
prince, sans Hegel, dirons-nous..."
Ryoichi Naito se frottait toujours les yeux en fin de séance. Il
souffrait d'hémianopsie chronique et ne terminait pour ainsi dire
jamais ses soliloques. Mais était-ce bien nécessaire ?
Epilogue.
L'histoire saura que la vie d'Hirata Gunto aura été au service
d'une authentique émancipation scientifique, politique, poétique,
écologique. Une émancipation publique qui le conduira à
une peine spéciale dans un monde en pleine mutation amoureuse.
Cette mutation amoureuse lui vaudra d'être condamné par un
tribunal militaire secret à la déportation pénale
dans un camp spécial au coeur d'une forêt primaire dévastée
par les nuées et les tornades. Un camp où les soldats marchent
par deux, parlent comme des scientifiques et des lettrés pacifiés,
sourient et donnent le change aux prisonniers blessés ou mourants
tout en demeurant intransigeants sur le choix des parfums pour embaumer
les morts, sur la façon de traiter de l'univers, de l'Etre-de-l'homme,
du pouvoir d'Etat, de la guerre, de la torture, du thé, de la lumière,
du ciel étoilé.
"Un ciel étoilé que la sensation visuelle fait connaître
à l'intérieur de nous, dira Hirata Gunto. Un ciel extérieur
auquel nous croyons, inféré."
Hirata Gunto n'aura jamais cherché à affirmer que cette
théorie puisse être prouvée. Il dira cependant qu'il
n'était pas possible de la réfuter et qu'un esprit prudent
ne pouvait exiger davantage d'une théorie.
« Fin »
Notes ----------------------------
( 1 ) Cet extrait est dédié au mathématicien
et physicien pacifiste Hirata Gunto ainsi qu'à l'exceptionnelle
conférence qu'il donnera le 20 mars 2003 à l'Université
Todaï de Tokyo - jour de l'invasion de l'Irak par l'armée
américaine. Le professeur Hirata Gunto dédiera cette prestation
au philosophe et mathématicien Bertrand Russell.
Cette conférence "Conscience et Expérience" est
particulière pour trois raisons.
Tout d'abord le professseur s'exprimera sur les concepts "prise de
conscience" et "connaissance directe" pour signifier la
relation entre le sujet et l'objet. Hirata Gunto rappelera qu'il est possible
une fois libéré du "je" de regarder un esprit
et un fragment de matière "comme des constructions logiques
formées de matériaux dont la différence n'est pas
si radicale et qui sont parfois réellement identiques". Bertrand
Russell soutiendra cette thèse en 1959 dans My Philosophical Development.
Selon Gunto/Russell il est désormais possible de penser que la
matière du cerveau soit réellement composée de pensées
et de sentiments et que la différence entre l'esprit et la matière
soit simplement une différence d'arrangement.
Deuxième raison d'importance : la conférence se situe au
moment où les forces américaines bombardent les villes et
les populations civiles non-combattantes Irakiennes. Une guerre que le
Professeur combattra dès 1991 tout en s'opposant au principe hégémonique
de gouvernement mondial et au concept de citoyenneté mondiale.
Ce type de gouvernement et de citoyenneté sera défendu par
Bertrand Russell sur d'autres bases. Hirata Gunto, bien qu'élu
délégué au Congrès des Peuples (1967, 1971,
1973) et bien que signataire de l'appel du 3 mars 1966, abandonnera sa
place de "treizième citoyen du monde" à son ami
Shinzo Hamaï, ancien maire de Hiroshima.
Hirata Gunto ne souscrira qu'un temps à l'appel
du 3 mars 1966 ( Appel
& Registre de citoyen
du monde). Sa rupture s'appuiera sur une analyse éthique de
"la citoyenneté mondiale" dont certains disent encore
qu'elle est/sera le but ulltime de l'organisation sans Etat ou de l'Etat
global, unique, planétaire : "la vérité de notre
temps", voire "la base universelle de la connaisance et de la
vérité". "Parfaitement absurde, écrira
Hira Gunto dans ses "Carnets" (1975), la connaissance ne se
composant que de certaines croyances, pas de toutes".
Il tiendra un discours similaire à propos de "l'universalité
de la vérité" : "la vérité est seulement
un moyen logique pour parvenir à une définition fiable de
la connaissance. Une théorie de la vérité, écrira-t-il
en citant Russell, est fondamentalement une théorie de la correspondance
qui affirme que lorsqu'une phrase ou une croyance est vraie, elle l'est
en vertu d'une relation quelconque à un ou plusieurs faits; la
relation varie selon la structure de la phrase en question et selon la
relation de ce qui est affirmé à l'expérience,...".
Hirata Gunto critiquera également le concept de "registre
de citoyenneté du monde" prélude, selon lui, à
de nouvelles polices politiques au service du capitalisme.
"Une voie conduisant à l'institutionnalisation défintives
des libertés, à l'embrigadement de la vie civile et citoyenne,
une voie opposée à la diversité culturelle et finalement
à la liberté individuelle, à l'imaginaire, à
la création, à l'anarchie, une nouvelle voie totalitaire...".
Troisième raison d'importance : le 22 mars 2003, deux jour après
cette mémorable conférence, le Professeur Hirata Gunto disparaitra
dans des circonstances encore inexpliquables. Son bureau-studio de l'université
qui reçevra tant d'élèves, de chercheurs, de militants
anti-guerre ne livrera aucune trace d'effraction ou de lutte à
l'enquête, aucun document. L'hypothèse du suicide sera écartée.
Hirata Gunto traitera la question longuement dans le cinquième
volet de son journal publié en 2001. En 2006 le mystère
de sa disparition demeure entier. Les enquêteurs et sa famille n'ont
aucune raison valable de le croire vivant ou mort.
Eléments de biographie
Tao Yuanming Gunto-père rencontrera Bertrand Russell pour la première
fois en Chine durant les années du "Kuomingtang idéalisé"
à l'université de Pékin entre 1921 et 1922 dans le
cadre d'un séminaire international. Le Professeur Tao Yuanming
Gunto est alors ingénieur, spécialiste des crues et de l'énergie
hydroélectrique, conseiller scientifique de Sun Yat Sen. Le professeur
Tao Yuanming Gunto concevra son expatriation au Japon peu après
cette rencontre. Hirata Gunto naîtra à Tokyo le 25 décembre
1926, jour du décès de l'empereur Taisho : "...une
journée sinistre, écrira Hirata Gunto, qui ouvrit la porte
au règne de la violence, de l'inhumanité du progrès
scientifique, autrement dit au règne du capitalisme Japonais".
Hirata Gunto ne citera ou ne prononcera jamais le nom "Hirohito".
Notons encore que le Professeur Tao Yuamning Gunto sera envoyé
à la tête d'une délégtion scientifique Chinoise
au Japon début 1923, qu'il survivra au séisme du 1er septembre
faisant 44000 morts et qu'il contribuera au programme de restructuration
du réseau de distribution d'eau de Tokyo jusqu' à l'attentat
du 27 décembre 1923 dirigé contre le régent Hirohito.
Le massacre des cheminots de la ligne Pékin-Hankou de juin 1923
perpétré par des organisations criminelles payées
par le gouvernement Chinois pour réprimer leur mouvement de grève
conduira Tao Yuanming Gunto à une rupture définitive d'avec
toute forme de gouvernement politique. Ce sera, du reste, en janvier 1924
que le professeur s'expatriera avec sa femme et ses cinq enfants au Japon
(Hirata étant le sixième). Tao Yuamning Gunto refusera la
présidence de l'université de Pékin en 1946 qui sera
attribuée au philosophe Hu Shi, auteur d'une histoire de la philosophie
Chinoise qui reflètera son opposition au marxisme qu'il confondra,
à tort selon nous, avec "le terrorisme et l'étroitesse
d'esprit du XIXème siècle". Hu Shi sera, il est vrai,
ambassadeur de Chine aux Etats-Unis entre 1938 et 1941.
Un dernier point qui n'est pas sans rapport avec notre propos, Hu Shi
qui sera l'élève et le traducteur de John Dewey soutiendra
une intéressante thèse à l'université de Columbia
en 1917 sur le développement de la méthode logique dans
la Chine ancienne, méthode que l'on attrbuera au philosophe Mozi.
Apport historique et a-historique
Cette fiction évoque certaines idées chères au savant,
la servitude involontaire, la violence psychologique et physique alors
que la constitution politique du Japon sanctionne l'injustice, interdit
la violence administrative, politique, militaire, la sujetion, la soumission
aux rites ou aux cérémonials religieux, les atteintes aux
libertés de conscience, d'association, de manifestation et d'opinion.
Cette fiction plaidera également en faveur des "portés
disparus" au Japon depuis les cinquante dernières années.
D'aucuns pensent que les cas de disparition et de déportation sont
liés à la persistence de lieux de détentions datant
des années d'occupation américaine entre 1946 et 1952.
Les lieux de détentions spéciaux auxquels nous faisons allusion
seraient actifs militairement, entrainements spéciaux, et scientifiquement,
expérimentations N.B.C. (Nucléaire, Biologique, Chimique)
sur cobayes humains vivants.
La thèse du kidnapping Nord Coréen ou Chinois entretenue
un temps par les autorités policières est contredite par
les articles de nombreux historiens spécialistes de la propagande,
de la manipulation, du révisionnisme d'Etat.
Il est impossible de dire avec certitude où ces lieux de déportation
et de détention spéciaux se trouvent (l'on parlera de navires
tortionnaires propriétés de la mafia dans la rade de Tokyo
et dans les eaux territoriales) et qui les dirigent. L'on sait seulement
qu'ils existent.
Certains parleront avec raison de camps militaires secrets installés
en Mongolie par les services spéciaux américains après
le passage de G.W. Bush a Oulan Bator en novembre 2005. C'est très
pertinent d'autant que la Mongolie est l'alliée des Etats-Unis
en Irak et s'affiche ennemie de l'islam et du communisme en Asie. D'autres
évoqueront les camps américains désaffectés
en Corée du Sud. Cette piste est également très pertinente
compte tenu du nombre de crimes militaires américains qui y sont
recensés.
Lee Sohee, Secrétaire Général de la Campagne Nationale
pour l'Eradication des Crimes commis par les Troupes Américaines
stationnées en Corée du Sud, recensera 100 000 crimes et
délits perpétrés contre les civils non-combattants
ou les
pacifistes anti-guerre depuis 1945 (Chronologie
des actes criminels des troupes américaines en corée du
Sud).
Cette campagne indique que seulement 10% des crimes et délits commis
par les troupes américaines depuis 1945 seront jugés. Les
crimes militaires américains en Corée du Sud non jugés
concernent également une grande quantité de kidnappings
et de disparitions de civils, femmes, hommes, enfants dont on ne retrouvera
jamais les corps sinon dans de monstrueux états : torturés,
mutilés, carbonisés, congelés...
Nous avons recensé avec des amis écrivains alternatifs japonais
quelques 1000 Îles susceptibles d'abriter des prisons secrètes;
des îles comprises entre le 40ème degré de latitude
Nord et l'équateur (Japon au nord et Indonésie au sud),
entre le 120ème degré de longitude Est et le 160ème
degré de longitude Est - 120 ° L.E., immense façade
maritime chinoise, coréenne, taïwanaise, philippine, vietnamienne,
indonésienne et au-delà, désert d'eau, jusqu'au 160°
L.E..
Nous avons reçu récemment de notre ami l'écrivain-poète
Yua Cho de Shanghaï qui partage comme nous la doctrine philosophique
dite "du plus faible moyen" ce très intéressant
lien à une brêve histoire des Îles Chinoises du Sud.
Je recommande aux lecteurs de parcourir avec attention, quoique sibyllines et en Chinois,
les
cartes insérées en bas de document. Elles nous offrent
un aperçu du vaste problème traité.
( 2 ) "Camp
Zama", symbole hier du redressement militaire impérial
de la nation et aujourd'hui camp de l'Etat-Major des troupes nippo-américaines
du Pacifique situé à 40 km au sud-ouest de Tokyo, préfecture
de Kanagawa, villes de Zama et de Sagamihara, et 9th
Theater Support Command
( 3 ) "Marutas", "bûches,
billes de bois" en japonais, terme utilisé par les bourreaux-médecins
militaires japonais de l'Unité 731durant la seconde guerre mondiale
en Chine du Nord-Est, à Pingfang près de Harbin (hier Manchukuo).
Le "maruta" était un cobaye humain vivant sur lequel
était effectué des opérations scientifiques ou médicales,
création de virus, injections, congélations, carbonisations,
transplantations, greffes, etc... les cobayes étaient des prostituées
et leurs enfants, des prisonniers chinois, des communistes, des vagabonds,
des criminels, des infirmes, des vieillards sans famille. Cette unité
spéciale équivalent japonais de l'Ahnenerbe-SS de Himmler
était dirigée par le médecin militaire Shiro Ishii
(1892-1959), criminel de guerre.
(Extrait...: La prison (de l'Unité 731) était une vraie
vision de l'enfer. Par un juda aménagé dans la porte d'acier
de chaque cellule, les gardiens vérifiaient l'état des "marutas",
ce qui signifie en japonais "la bûche, la bille de bois"(en
tant qu'une entité physique). Ils voyaient des membres pourris,
des bouts d'os qui pointaient hors des chairs noires de nécrose.
D'autres suaient dans une fièvre atroce, se tordant et gémissant
de douleur. Ceux qui souffraient d'infections respiratoires ne faisaient
plus que tousser. D'autres avaient le corps gonflé, d'autres encores
étaient squelettiques, et il y en avaient couverts de blessures
ouvertes ou de cloques... Les japonais mettaient souvent un maruta infecté
avec d'autres prisonniers en bonne santé afin de vérifier
la facilité avec laquelle se propageait la maladie. Un maruta n'avait
aucune possibilité de s'évader ni d'échapper à
l'inoculation d'une maladie contagieuse. (...)
"(...) Pour les services commémoratifs l'on prenait un prêtre
bouddhiste parmi les soldats du camp". (Morimura II, Ch.1, section
: "The "logs" supply route" ou "la route d'approvisionnement
en marutas" et "3000 personnes furent sacrifiés -aux
expériences- à Pingfan", documents du procès
de Khabarovsk, 1949, ed. de Moscou, 1950) in Le droit des riches, le néo-libéralisme
et la terreur (critique
du fascisme japonais)
( 4 ) "Reductio
ad absurdum"
( 5 ) Bref apport conceptuel sur "l'athéisme
et sa raison"
Le problème de l'existence de Dieu au regard de l'identité
de structure entre les propositions et les faits atomiques, entre la logique
et la réalité sensible sera jugé insoluble par Russell/Gunto.
Hirata Gunto refusera cependant l'affirmation "l'inexistence de Dieu"
ou "Dieu n'existe pas" et laissera un traité de logique
digne du XVIIème siècle : "Le langage et l'idéalisme"
dans lequel il consignera une surprenante "Lettre
aux théologiens de marché, aux jésuites et au Cardinal
Dulles". Extraits.
"(...)Le mystère de la résurrection du Christ serait
accessible par la réfutation du capitalisme et inconcevable au
regard de l'entropie.Toutefois la résurrection semble une apologie
de ce qui existe sans l'ordre, la continuité, la propriété,
l'hérédité ou l'Etat. Le mystère serait une
poésie de la brièveté, de l'instant, la qualité
de ce qui serait pauvre, faible, mortel.
L'univers de la résurrection, non limitable au temps, à
l'espace, à la matière du Christ, serait plutôt fait
de points, de choses infimes, minuscules, inconstantes et discontinues.
Au regard de quoi le pouvoir politique de l'Eglise semblerait une abération.
L'apologétique de la peine qui dure s'abat sur le pauvre dans le
temps politique de la justice criminelle de Tibère, du procurateur
Pilate. Elle repose sur un supplice, la crucifixion criminelle, qui durera
trois jours si l'on en croit les Antiquités juives de l'historien
juif Flavius Joseph.
Le Sanhedrin, la cour suprême pour les infractions à la loi
qui s'occupe en même temps de fixer la doctrine, la foi d'Israel,
qui dispose d'une assemblée de grands prêtres, d'une noblesse,
d'une police politique sous le commandement du Temple, qui arrêtera
Jésus afin de le juger, le droit pénal romain, la justice
romaine qui a autorité sur le droit juif et qui ordonnera la peine
de mort pour crime de lèse-majesté, sont bien vaincus par
le pauvre parmi les pauvres, le Christ jeune, sans fortune, sans hérédité,
sans terre, sans Etat ou sans royaume.
Le pouvoir politique quasi héréditaire de l'Eglise romaine,
territorialisée, étatisée, la théologie politique
de la crucifixion, la théologie de marché (le "Saint
Siège" a bien aujourd'hui le statut d'observateur à
l'OMC) paraîssent davantage le fruit de l'expropriation de l'humanité,
du calcul, du profit, que le fruit d'un quelconque amour établi
sur la foi en ce qui est bref, faible, pauvre".
( 6 ) "Kuroi aime" ou "pluie noire"
en japonais. Nous rendons hommage, ici, à Shohei Imamura et à
Masuji Ibuse pour leurs oeuvres (Kuroi aime,1989/1990), au couple Shizuma
et à leur nièce Yasuko, aux familles atomisées à
Hiroshima par Truman, bien inutilement, puisqu'au regard des thèses
les plus récentes proposées par les historiens Tsuyoshi
Hasegawa, Herbert Bix, Ernest R. May, Barton Bernstein, Gar Alperovitz,
la partie jouée par les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l'U.R.S.S.
et le Japon était possiblement bien terminée avant le 6
août 1945. Lire "Hiroshima
after sixty years : the debate continues" by Gar Alperovitz,
CommonDreams, 3 août 2005 et "The
Russian option for ending the war" by Gar Alperovitz
( 7 )
Heibei Fangzeng Metal Net CO., Ltd
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