CHAPITRE 2 [1-2]



------------------------------------------------------------------------------------------------
CHAPITRE 2 [1-2] : [3-7]

La loi des causes et des effets

Nous dédions ce chapitre au pamphlet "Zen at war" ou "Le zen en guerre, 1868-1945" du moine zen (soto) Brian Victoria.
Nous rendons hommage aux grandes orientations du pr. Hichikawa Hakugen de l'université bouddhiste Hanazono de Kyoto sur la question de la responsabilité religieuse, politique et pénale, des acteurs bouddhistes, ainsi qu'à celles des chercheurs Hakamaya Noriaki et Matsumoto Shiro de l'université bouddhiste Komazawa de Tokyo. Nous espérons que leurs travaux serviront de base doctrinale à une histoire judiciaire (par pays) du bouddhisme.
Nous dédions ce chapitre à nos camarades (femmes et hommes) qui on été, au nom de la "guerre sainte contre l'égo", privés de leur vie et souillés par l'incompétence de nombreux gourous du maha-vajrayana en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.
------------------------------------------------------------------------------------------------


1

Réflexions générales sur les liens institutionnels contradictoires et les oppositions sur la question d'une même loi ou l'agression stratégique des codifications. (notes 9 et 10)

"L'harmonie" selon la réforme ?


"Dans Hihan bukkyô (le bouddhisme critique), écrit le moine zen Brian Victoria, Hakamaya Noriaki fait écho à la critique formulée par Ichikawa Hakugen du concept bouddhique d'harmonie, wa :
- les vrais bouddhistes doivent désavouer la Loi du souverain et croire en la loi du bouddha. Ils doivent établir une démarcation nette entre les enseignements conformes au bouddhisme et ceux qui lui sont contraires, et se servir de l'intelligence et du langage pour dénoncer ces derniers (...). A l'époque actuelle, où règne une harmonie toujours disposée au compromis, être opposé à la guerre signifie rejeter l'harmonie (wago)...
"...Avec quoi le bouddhisme japonais moderne s'est-il harmonisé ? Avec le shinto d'Etat. Avec la puissance étatique. Avec le militarisme. Et donc avec les guerres. Envers quoi le bouddhisme japonais moderne a-t-il exercé sa non opposition ? Envers le shinto d'Etat. Envers la puissance étatique. Envers le militarisme. Envers les guerres d'agression. Vis-à-vis de quoi le bouddhisme japonais moderne s'est-il montré tolérant ? Vis-à-vis des entités mentionnées ci-dessous, avec laquelle il s'est harmonisé. Et par voie de conséquence vis-à-vis de sa propre responsabilité dans la guerre (seconde guerre mondiale, guerres d'annexion de Chine, de Corée, de Mandchourie...) et, dit Ichikawa Hakugen, je ne dois pas oublier de me ranger au nombre des bouddhistes japonais modernes qui ont agi de la sorte"...
"La condamnation que Hakugen prononce contre lui-même était en vérité tout à fait justifiée compte tenu du dévouement qu'il a manifesté pendant les années de guerre à la cause de la "guerre sainte".

Quelques éléments pour une histoire judiciaire criminelle du bouddhisme

Ajoutons, ici, dans une optique judiciaire pénale voisine, que nombreux seront les apologistes de la théocratie tibétaine (tibétains et occidentaux) et peu nombreux seront les critiques, et l'on se demandera pourquoi, du phénomène totalitaire et des faits criminels religieux tibétains.
Les dérives nationalistes, clientélistes et militariste, la corruption/pollution de l'Etat tibétain, des institutions monastiques et l'effondrement quasi général du religieux au Tibet (ici, la loi du bouddha est indissociable de celle du souverain) conduiront synchroniquement, selon nous, aux causes probables de l'effondrement du régime et de l'invasion du Tibet par les troupes anglaises en 1904 puis chinoises en 1949/1950.

Les prémisses

L'on se souviendra maintenant, en élargissant notre vue à l'Asie, et en observant les intérêts des populations chinoises, japonaises ou vietnamiennes, que jésuites, scientifiques, juristes, commerçants, médecins, espions militaires et officiers, portugais, britanniques et français, joueront un rôle essentiel dans la destabilisation de la Chine impériale (guerres de l'opium de 1842 et 1856), de la destabilisation de la toute jeune république chinoise de Sun Yat Sen, de la destabilisation du Viêt-nam (attaque de Da Nang par la marine française en août 1858; l'évêque Pellerin, selon l'historien vietnamien Nguyen Khac Vien, proposera au commandement militaire français le soutient de 400 000 catholiques -armés- prêts à se soulever pour soutenir une percée militaire au delta du Fleuve Rouge), la destabilisation du Japon shogunal (attaque de la marine américaine en 1852), pour le seul avantage du capitalisme et du catholicisme (qui ne comptait pas moins de trois millions de pratiquants en Chine en 1937) .

Une métaphysique du meurtre habilement dissimulée
Cette "évolution par les crimes d'agression militaire" relèvera, semble-t-il, et la remarque peut ne pas être anodine :
a- d'une dogmatique traditionnelle théologique ou divine en expansion, semblable à celle qui soutiendra Constantinople sous Constantin et Justinien, et qui soutiendra les principaux Etats capitalistes d'aujourd'hui, partageant plus ou moins le même esprit des lois, le même droit pour un même esprit de conquête,
b- de l'évolution du commerce par la guerre,
c- de l'implantation de la paix civile par le droit,
d- de la manifestation de l'Etat de droit et, selon la formule consacrée : " de la sustentation de ce qui fait tenir debout la chose que nous appelons publique " ...

L'agression stratégique par le droit
civil
Notons ici, pour la section concernant la paix civile par le droit :
-l'envoi préliminaire en Chine du ministre plénipotentiaire français Georges Padoux, conseiller du gouvernement chinois (programme d'enseignement de la science du droit et de sinologie juridique auprès du président du conseil executif du gouvernement national Wang Ching Wei)
-l'envoi du juriste orientaliste Jean Escarra (1921, 1933), correspondant du ministère de l'Instruction Publique et de la S.D.N., de l'Institut des Hautes Etudes Chinoises, écrivain d'un code civil chinois,
-l'envoi préliminaire au Japon du ministre plénipotentiaire Léon Roches, en 1864 (soutient direct du shogun Tokugawa Yoshinobu, seigneur de guerre du clan Tokugawa opposé au parti britannique soutenant la restauration de l'empereur Mutsushito, Meiji Tennô -122ème empereur),
-l'envoi du juriste G.Boissonnade de Fontarabie, écrivain du premier code civil japonais (1873-1874).
Nous observerons à la base de l'édifice civile japonais l'activité missionnaire des fransiscains, des bénédictins et des jésuites (François Xavier 1549 -à qui l'on dira "si vous voulez le Japon prenez la Chine", Alessendro Valignano, 1590).
Bernard Maître et Joseph Dehergne diront que le missionnairisme chrétien s'établira en Chine en trois périodes sur près de cinq siècles: "1552-1686; 1688-1775; 1842-1949" (Dictionnaire de géographie et d'histoire ecclésiastique et répertoire des jésuites de Chine de 1552 à 1800, d'après le dictionnaire de la civilisation chinoise de l'Encyclopaedia Universalis, Dehergne et Gernet).

L'effondrement du bouddhisme institutionnel
Si le droit prend racine en Chine au XXème siècle, il le devra sans doute à l'établissement du christianisme en Chine par les érudits chrétiens, astronomes, mathématiciens, médecins au XVIème siècle et à l'arrogante manifestation du capitalisme industriel au XVIIIème siècle... L'invasion du Tibet par les troupes chinoises n'est pas, pour être correctement appréhendé, le seul fait, pour nous, de la pénétration communiste.
Nous pensons qu'il serait juste de ne pas isoler l'évènement du contexte des aggressions occidentales, des invasions, des guerres civiles et des révolutions populaires spontanées, dont fait l'objet l'asie traditionnelle et tout particulièrement la Chine, du XVIIIème siècle à la moitié du XXème siècle.
Cette période correspondra, du reste, à l'effondrement du bouddhisme institutionnel, royal et monastique...
L'on retrouvera la question de l'effondrement du bouddhisme institutionnel traité différemment au Sri Lanka et en Inde par le bouddhiste missionnaire Anagarika Dharmapala, en Chine par Yangwehui... , en Chine et au Japon par les bonzes propagandistes Ogurusu Kôshô, Harada Daiûn Sogaku,Yasutani Hakuun.

Le mythe politique

Cet effondrement du bouddhisme tibétain, nous l'évoquons à plusieurs reprises dans notre chapitre précédent (introduction II et note IV al. I et III), concernera le pays, le royaume, l'Etat, la population ainsi que les écoles des lois tantriques -dotées chacunes de codes royaux rivaux, qui chercheront à sauver ce qui ne peut l'être par trop de pollution de l'esprit religieux et de crimes religieux.
Malgré l'institution mythique et fictive d'un souverain unique, le dalaï lama, que l'on observera avec l'oeil de la fonction publique mandarinale chinoise (fonction qui structure dès le début du XVIIIème siècle tout l'édifice théo-administratif tibétain), n'est qu'un fonctionnaire mandarinal de deuxième échelon. L'effondrement sera définitif à la prise de Lhassa en 1904 par les troupes du colonel Younghusband sur ordre de Lord Curzon, vice-roi des Indes en 1903... Ajoutons que le mythe s'effondrera d'autant plus facilement que la lignée des dalaï lama régnera moins de 10 ans sur près de 240 années, de la mort du Vème dalaï lama (1617-1682) au XIIIème (1876-1933).
Gageons toutefois que cette couronne mythique (qui pour nous n'est légale ni au Tibet ni en occident -et cette remarque vaut pour les couronnes rivales portées tour à tour par l'ensemble de la population des lama dans les départements français ou dans le monde) n'hésitera pas à choisir l'or et les livres sterling de la couronne britannique, ennemie avide, non moins mythique, de l'Asie.

Nous pouvons faire référence ici au traité secret de 1914 - rendu public après une lecture unilatérale de l'International Commission of Jurists de Genève en 1959- un traité passé entre les abbés gelugpa du XIIIème dalaï lama et les troupes britanniques d'occupation. Un traité qui portera sur le trafic des armes, les munitions, l'or, l'alcool au Tibet.
A la même époque, en 1902, l'empereur du Japon (après avoir rendu le bouddhisme hors la loi en 1872 -rival économique et politique) s'alliait également à la Grandre Bretagne.
En 1904, Meiji engagera l'archipel (soutenu par le lobby bancaire juif new-yorkais Kuhn Loeb &co., JP. Morgan, JD Rockefeller, MMWarburg & co...) dans une guerre totale avec la Russie (engagée dans une politique de persécution des communautés juives), une rivale convoitant le Tibet, la Chine, la Mandchourie, la Corée, la mer de Chine, la mer du Japon.
Ajoutons à cela qu'entre 1927 et 1935 la Chine affrontera sa seconde guerre civile révolutionnaire, qu'une guerre de résistance contre le Japon éclatera dès 1932 et durera jusqu'en 1949, qu'une troisième guerre civile révolutionnaire prendra corps au coeur de la seconde dès 1946 jusqu'en 1949...

La loi de l'Etat, le commerce ou la loi de bouddha ?
"En septembre 1942, écrira Brian Victoria dans "Le zen en guerre, 1868-1945", le bonze Ichikawa Hakugen publiera dans (la revue japonaise) Daihô-rin, un article important intitulé : "La guerre, la science, le zen", illustrant le niveau de pollution de l'esprit religieux par les faits politiques, militaires, commerciaux ... et l'essor du nationalisme fanatique derrière l'empereur Hirohito poussé au bellicisme international par les français et les anglais (ère Showa 1926-1989, l'ère Meiji cessera en 1912, celle de Taishô en 1926).
Gardons en mémoire que l'amiral américain Matthew C.Perry (1794-1858) sera chargé en 1852 par Millard Fillmore, président des Etats-Unis , peu avant le coup d'Etat de Meiji qui restaurera le pouvoir de la maison impériale (1868), d'établir des relations commerciales avec le Japon...
L'amiral obtiendra par la force armée le triste traité de Kanagawa puis l'ouverture des ports de Shimoda et d'Hakodate en 1854...
En mars 1942, l'Indonésie tombera sous le contrôle militaire des japonais, en mai les Philippines, la Birmanie et la Thaïlande. En novembre 1942, sera crée le monumental ministère japonais pour l'expansion coloniale de la Grande Asie Centrale, Daïtoa Kyôeiken.

Le Daïtoa Kyôeiken se révèlera un traité d'expansion unilatérale "signé" par les représentants de la Chine, des Philipines, de la Birmanie, de la Thaïlande, du "Manchukuo fictif "et par certains représentants de l'Inde sous l'autorité de Tôjô Hideki (1884-1948) et de Shigemitsu Mamoru (1887-1957)... Tôjô Hidéki, ministre des armées en 1938, 1940, 1941 décidera l'attaque de Pearl Harbor et sera pendu pour crimes de guerre en decembre 1948.
Shigemitsu Mamoru qui signera le 2 septembre 1945 la rédition du Japon en présence de Mac Arthur sur le Missouri, sera condamné à sept ans de prison pour crimes de guerre en 1946... Il sera libéré en 1950 (élu président du parti "progressiste" Nihon Kaishintô en 1952, il sera ministre des affaires étrangères d'Hatoyama Ichirô, 1er ministre en 1954).
Il est intéressant de préciser ici que de la fusion, dès 1945, de nombreux courants politiques dits "progressistes, libéraux et démocratiques", partis jiyu-tô, shimpoto, minshuto, minshu-jiyuto, kokumin-minshuto, naîtra en 1955 le sinistre PLD, Parti Libéral Démocrate (créature capitaliste, militariste et maffieuse).
Le PLD, "jiyu-minshuto ou jimintô", formation politique de droite et ultradroite réputée depuis 1955 pour ses attaques musclées contre le socialisme et le communisme, prendra le relais des purges anti-communistes opérées dès 1951 par Yoshida Shigéru (1er ministre en 1947, 1948, 1949-1952), successeur d'Hatoyama Ichirô à la tête du jiyû-tô.
Yoshida Shigéru fera arrêter 20 000 sympathisants communistes peu avant la signature du traité de paix de San Fransisco par 48 pays et la signature du pacte de sécurité nippo-américain de septembre 1951. Son règne sera marqué par d'exceptionnelles stratégies policières "anti-rouge"...
Lire plus loin l'investigation du bonze Victoria sur les activités politiques d'extrême-droite, anti-juives et anti-sémites, du bonze zen Yasutani Hakuun à partir de 1951.
(Voir également nos propositions bibliographiques sur la question des sources judiciaires de l'histoire du crime religieux et l'émergence de la notion discriminante de barbarie dans la dialectique bouddhiste en fin de chapitre, une problématique dont nous devrons l'expression à la pénaliste française Renée Martinage).

Le processus d'influence nationaliste
C'est dans ces circonstances d'agressions politiques et militaristes que le professeur Ichikawa Hakugen écrira dans son essai intitulé "La guerre, la science, le zen" (il reviendra vigoureusement sur cette position plus tard):"l'humanisme pacifiste, qui considère que tous les conflits sont des crimes inhumains, est un sentiment de moralistes qui ignorent la vraie nature de la vie . Nous connaissons, quant à nous, dit Hakugen, nombre de cas où la paix est bien plus malsaine et néfaste qu'un conflit. A cet égard, Nietzsche, qui a enseigné la logique non pas de la paix mais de la guerre, était beaucoup plus en prise avec la vérité vivante que les abstractions pacifistes (septembre 1942, Daihô-rin)".
"Plus loin, Hakugen trace un lien entre ces idées et le zen :
"Les mots (du maître zen Dôgen,1200-1253) parlant du "rejet" du corps-esprit, le sien comme celui des autres, font référence à une bataille véritablement solennelle qu'il s'agit de livrer, une bataille où l'on triomphe non seulement du mal qu'il y a chez l'ennemi, mais aussi de celui qu'il y a dans son propre camp. Un conflit qui intègre complètement la défense, la pénitence et la libération, mérite le nom de "guerre sainte". En se protégeant soi-même, on peut vraiment sauver autrui, et en sauvant autrui on peut indubitablement être sauvé soi-même. C'est dans semblable guerre que le "sabre qui tue" peut en même temps être le "sabre qui donne vie".

"C'est la créativité jaillissant de la tragédie qui donne à l'expression "guerre sainte" son bien fondé" (septembre 1942, Daihôrin)".
"Ichikawa Hakugen, dit Brian Victoria, sera cependant, quelques années plus tard dans un puissant contexte d'auto-critique, le premier spécialiste du zen et du bouddhisme à remonter avant la restauration de Meiji (1868-1912) dans sa recherche des facteurs historiques qui pouvaient avoir encouragé ou incité les bouddhistes à collaborer à la guerre :
"A l'époque d'Edo (1600-1867), des moines zen comme Bunnan (1603-1676), Hakuin (1685-1768) et Tôrei (1721-1792) se sont efforcés de promouvoir l'unité du zen et du shintô en insistant sur les caractéristiques du second qui le rapprochait du premier. Ce faisant, ils facilitèrent certes l'assimilation du zen dans le Japon de l'époque, mais ils donnèrent dans le même temps toute sa puissance au régime impérial. Ce qui en a résulté en fin de compte, c'est que le zen a presque totalement perdu son indépendance, l'impact de l'incident du crime de lèse-majesté sur le monde du zen constituant le stade ultime de ce processus de transformation....
"Hakugen, écrit Brian Victoria,observait aussi que dans son désir d'apporter un soutien sans réserve à la politique militaire de l'Etat, la secte Soto (du zen) n'avait pas hésité à modifier ses principes fondamentaux. L'extrait suivant de la version révisée de la déclaration de principes de la secte, publiée en 1940, est révélateur à cet égard :
"L'objectif de cette secte est (...) d'exalter le grand principe de protection de l'Etat et de promotion de l'empereur, afin de bénir la nature éternelle du trône impérial tout en priant pour la tranquilité du monde sous le règne de Sa Majesté.
"Dans la nouvelle version qu'elle mit en circulation après la défaite du Japon, la secte Soto fit intégralement disparaître le passage ci-dessus, qui véhiculait des idées politiques désormais inacceptables".
Brian Victoria précise également, à propos de son inspirateur et du fond historique critique de l'oeuvre de Hakugen, qu'"aiguillonné par le souvenir de son soutien à la guerre, il (Hakugen) mit toute sa ténacité à exhumer, couche après couche, les facteurs qui ont facilité ou provoqué, l'union du bouddhisme, et notamment du zen, avec le militarisme".


2

"Nulle part cette démarche, écrit Brian Victoria, n'apparaît plus clairement que dans Bukkyosha no sensô sekinin, livre où il identifie douze spécificitées historiques du bouddhisme japonais qui se sont développées au cours des siècles et dont la receptivité du bouddhisme à l'autoritarisme est le produit".

Première spécificité

"En tête de liste venait la servilité du bouddhisme à l'égard de l'Etat. Hakugen rappelle qu'un certain nombre de sutra du mahayana compilés en Inde insistent sur le rôle du bouddhisme en tant que "protecteur de l'Etat".
"Ces sutra ont reçu un accueil particulièrement chaleureux au Japon, où la conception du bouddhisme qu'ils véhiculaient s'est encore renforcée. A l'époque d'Edo (1600-1868), le bouddhisme a été entièrement soumis au contrôle du gouvernement et il s'est mélangé avec le shintô pour devenir fondamentalement une religion d'Etat.
"Une fois devenu religion d'Etat, il ne restait plus de l'ancien bouddhisme qu'une coquille creuse.
"Sa principale préoccupation était désormais le culte des ancêtres sous forme de services funéraires et commémoratifs, ce qui en faisait une religion dont le lien à la société se limitait à la famille étendue. Son opposition avec le christianisme tenait au caractère international et moderne de celui-ci. Outre cela, l'hostilité du gouvernement de Meiji envers le christianisme et le socialisme n'a fait que renforcer la même attitude chez les bouddhistes. Le bouddhisme a cherché à se protéger en se montrant encore plus servile vis-à-vis de l'Etat, et notamment en s'opposant à tout groupe ou mouvement qui constituait une menace pour le nationalisme fondé sur le régime impérial et l'expansionnisme militaire".

Le bouddhisme des élites sera bien un support de ce que le constitutionnaliste socialiste et bouddhiste indien Bim Rao Ambedkar (1891-1956) appèlera en Inde (lors de sa condamnation du régime des castes) dès 1916 les : "inégalités (politiques, religieuses, administratives, raciales) graduées" tout en collaborant cependant (et s'opposant en cela à Gandhi) avec le régime administratif et militaire impérial britannique (collaboration que le gouvernement tibétain exil en Inde et en occident sublimera au sein de la sphère du droit privé).
Le socialisme tibétain, du reste, formellement contesté par les élites réactionnaires du dharma d'Etat, est considéré comme une déviance du communisme chinois, une trahison envers l'Etat et même envers bouddha. En fait de délit, ce crime, être un "bouddhiste socialiste" est toujours un crime de lèse-majesté et ne concerne bien évidemment pas, le seul fait du socialisme (voir ultérieurement l'histoire judiciaire du bonze contestataire japonais Uchiyama Gudô, 1874-1911, son "crime de lèse-majesté" et son exécution capitale, Victoria, 2001).

La seconde spécificité
"La seconde caractéristique du bonze Ichikawa Hakugen a trait aux conceptions bouddhiques de l'humanité et de la société.
"D'un côté le bouddhisme insiste sur l'égalité des êtres humains en tant qu'ils possèdent tous la nature de bouddha, autrement dit la faculté innée d'atteindre à la bouddhéité.
"De l'autre, la doctrine du karma, avec pour corollaire la croyance en une bonne et une mauvaise rétribution karmique, tend à servir de prétexte pour une justification morale de l'inégalité sociale, les différences qui s'attachent au statut social, à la richesse et au bonheur étant considérées comme une juste rémunération de la bonne ou de la mauvaise conduite pendant cette vie et les précédentes, sans que le système politique ou social n'ait rien à y voir.
"Vue sous ce jour, non seulement l'inégalité sociale est juste mais elle représente la vraie égalité. Et dans la mesure où une société où les différences de statut social sont bien marquées facilite l'épuisement du karma passé, il devient tout à fait naturel que les bouddhistes la cautionnent.
"Le socialisme, en revanche, doit être rejeté car en prônant le nivellement délibéré des différences de statut social, il se fait l'avocat d'une "égalité pernicieuse".

La troisième spécificité
"La troisième caractéristique est liée à la question de la morale sociale, de la récompense et de la punition.
"Dans cette optique Hakugen examine l'un des plus anciens documents officiels du Japon, la Constitution en dix-sept articles attribuée au prince régent Shotoku et promulguée en l'an 604. On peut y lire :
"Recevez avec respect les ordres du souverain, car l'empereur est le ciel et les sujets sont la terre. Si la terre cherchait à renverser le ciel il n'en résulterait que destruction (une référence juridique confucéenne et bouddhique partagée dans un but de conservation impérialiste, ajoutons-nous, par le constitutionnaliste Tadakazu Fukase dans: "Héritage et actualité de l'ancienne culture institutionnelle Japonaise" S.L.C./C.F.D.C, 1985).
"Hakugen affirme que, devenu à partir de cette époque une semi-religion d'Etat, le bouddhisme a voulu protéger non seulement l'Etat mais encore la hiérarchie sociale sur laquelle il repose. Ayant complètement intégré au cours des siècles cette logique essentiellement confucéenne, le bouddhisme n'a éprouvé aucune réticence à se transformer en fidèle serviteur des politiques sociales réactionnaires du gouvernement de Meiji (1868-1912), travaillant à coeur à la formation du sujet idéal de l'empereur...."

Un type humain idéal
Une même problématique en psychologie juridique (Ch.4) concernera tout le XXème et ce début de XXIème siècle, elle se caractérisera par la recherche :
- d'un type humain idéal d'un point de vue juridique, et que nous critiquons vivement,
- du chef idéal,
- du consommateur idéal,
- du soldat idéal,
- du religieux idéal ,
- du cadre bouddhiste idéal d'après "des critères de perfection" tels qu'établis par les ordres séculiers institutionnels ( note 3 al V).

Cette problématique élitiste du type humain idéal relève bien d'une dogmatique biocratique qui affectera tant les pouvoirs, les affaires, la recherche civile et militaire que le bouddhisme de la voie impériale japonaise shin, shingon, zen ou encore le maha-vajrayana tibétain de l'immoralité ...
Elle impliquera au Japon, par exemple, trois générations de financiers-industriels et le jodoshinshu institutionnel missionnaire :
- Shibusawa Eiichi (1840-1931), père du capitalisme japonais, chargé par l'empereur Meiji de réorganiser le système des poids et mesures, fondateur de 500 compagnies (ch.4),
- Shibuzawa Keizo (1896-1963), son petit fils, président de la banque du Japon en 1944, ministre des finances 1945-1946,
- Yehan Numata (1899-1994), Inventeur industriel de la micromesure -groupe mondial Mitutoyo- survit grâce aux commandes militaires impériales de la seconde guerre mondiale et à la dévotion envers l'empereur ou Tennô...
Yehan Numata est lié au clan du (des) multimilliardaire(s) Shibusawa Eiichi et à l'évolution du bouddhisme capitaliste japonais selon l'esprit propre aux zaibatsu, puis aux zakaï, liés à l'effort de guerre, aux cultes des ancêtres, au hiérarchisme et à la propriété privée. C'est par cet ensemble de liens militarocapitalistes, ultranationalistes et impérialistes, que le Bukkyo Dendo Kyokkaï, fondation Japonaise pour la promotion du bouddhisme de Yehan Numata (1965), parviendra à promouvoir un certain bouddhisme missionnaire jodoshinshu (Ouest, Nishi Hongan-Ji) dans le monde (plus encore aux USA) et à traduire le Taïsho Shinshu Daïzokyo (tripitaka, ou somme des enseignements du bouddha) initialement en chinois, en anglais.
Quand nous avons étudié nos premiers sutra du Taisho BDK du Numata Center for Buddhist and Research de Berkeley, nous ignorions ces faits. Nous les devons aux recherches de notre épouse japonaise.

Doit-on collaborer avec un complexe miltarocapitaliste pour traduire les enseignements du bouddha ?
Nous ne le pensons pas. Le pauvre religieux est péférable à un bouddhisme miné par des professionnels de la guerre (une sociologie des communautés bouddhistes tibétaines en France, en Europe ou aux USA, révèlera les liens tissés depuis deux générations par les familles guerrières religieuses du Tibet avec les familles militaires et politiques, converties ou sympathisantes...)
Nous découvrirons peut être en ce siècle que les liens entre humains, phénomènes naturels et activités, sont probablement consubstantiels et cela sans que cela relève pour autant d'une croyance.
Nous pensons toutefois que l'on ne peut d'un côté parler de paix et d'harmonie et de l'autre tisser des liens d'obligations avec les Etats, l'empereur, son conseil privé et les Etats-majors des armées.
Nous partageons donc, ici, en tant que critique socialiste, les vues de Brian Victoria sur le militarisme zen, shin ou général... trop de "radicaux religieux" s'étant suicidés après avoir pris conscience qu'ils avaient marché dans le sens opposé à leur engagement initial et nourri, malgré eux, le processus nationaliste d'influence....

Le "paria" doit donc examiner de façon critique tous les moyens favorables à son existence et trancher en faveur des intérêts des plus pauvres.
S'il existe selon le philosophe Derrida, des "rogue states", des "Etats voyous", il existe des "rogue dharma" ou des "dharma voyous", plaies du bouddhisme mondial, animé essentiellement par les familles bouddhistes historiques et les universités collaboratrices.
Nous soutiendrons, donc, par une lecture commentée, les douze spécificités d'Ichikawa Hakugen explicitant les liens du bouddhisme japonais à l'autoritarisme et au militarisme .
Nous lions la seconde de ses spécificités traitant des "conceptions bouddhiques de l'humanité et de la société tendant à justifier moralement les inégalités sociales", à l'absence de critique de la tradition bouddhiste du "prince héritier renonçant"...
Nous pensons que l'évènement fondateur du bouddhisme shakyamunien, le prince héritier renonçant (Siddharta, prince héritier, renonçe à ses prétentions royales) entretient (à tout le moins d'un point de vue de l'histoire) un ordre social inégalitaire et discriminant (il faut avoir possédé et posséder encore pour renoncer) et encourage la culture des concepts pré-bouddhiques (en tant qu'élémentaires du droit hindouiste présents -et persistants- dans le dharma bouddhiste moderne) de barbarie et de barbare (non converti) ou "tirtikas" en sanscrit.
Cette tradition, désormais écrite, réduira le droit religieux de l'étranger et du non-croyant à un non-droit religieux, ou à un droit religieux proportionnel aux biens ou "à ce qu'il faut avoir et être socialement pour justifier au regard de la tradition un acte de renoncement authentique".
En s'opposant à la notion fondamentale de renoncement sans condition, l'homme pauvre ne peut être considéré comme renonçant (renoncement aux biens, à la propriété comme causes de la faute et de la souffrance) le moine, le lama, le laïc et le bonze institutionnalistes, nourriront "la douleur par le non droit" , la douleur deviendra par extension un usage exclusif du droit apparenté au pouvoir absolu ("Usage de la douleur par le droit" dans "Le droit Indien en marche", Annoussamy, 2001).

Au regard des usages, le renoncement historique du prince conduira à un renversement paradoxal, social, juridique et économique, autour de la personne des princes héritiers (du droit des princes, de la territorialité des princes : corps, fortunes, personnalité juridique, pouvoirs).
A l'opposé de l'idéal shakyamunien de renoncement se constituera une nouvelle société (post-hindouiste) de la douleur par le non droit et le droit pour les sans droits.
Prévalent toujours le jugement arbitraire des princes et des familles. Ce renversement encouragera les inégalités, les délits, les crimes et la barbarie. Tous les êtres ne sont pas égaux devant une même loi.
La condition sociojuridique et religieuse du prince (qui conduira, ou non, le prince à la qualité de renonçant religieux) perdurera sous la forme de perverses codifications parentales bouddhistes (et hindouistes) au sein des traditions familiales héréditaires du mahayana et du hinayana.
Indissociables de la dogmatique du vide (typiquement justinienne, sans critique, sans raison humaine et constitutive de toute chose), les codifications racines et la conservation des livres, des titres et des privilèges, s'avèreront une source constante de despostisme, de discrimination et d'épuisement.
Il est clair, désormais, que les mérites spirituels ou les droits du prince bouddhiste ne font plus le bonheur des pauvres au point que l'histoire de la foi et du renonçement, faut-il le rappeler, deviendra une source judiciaire de l'histoire du crime.
Ceci expliquera pourquoi nous accorderons un grand intérêt aux publications concernant "le bouddhisme de la Chine communiste, impur et démoniaque", critiqué en toutes les langues du bonze, du lama, du moine et du laïc. Des critiques qui auront en commun les crémations prématurées ...

Un lien, samaya, au nationalisme, au militarisme et au capitalisme : oyabun-kobun, l'enjeu de l'entrée dans la légalité communautaire.
Les plus célèbres zaibatsu ou zakaï, groupements financiers japonais constitués par les très vieilles familles industrielles sont liés à la très sévère tradition des liens indissolubles oyabun-kobun, équivalent des "liens spirituels ou samaya" du maha-vajrayana ou même des liens de parenté traditionnels.
L'oyabun-kobun "véritable symbole de l'entrée dans la légalité" au sein d'une famille (d'un groupe industriel ou financier), est également l'un des caractères essentiels des associations de malfaiteurs.
"Ce lien lie, selon le japonologue Louis Frédéric, de façon indissoluble parents et enfants, supérieurs et inférieurs, à tous les échelons de la société.
"Ce concept implique des devoirs impératifs, kobun, enfants, obligés, inférieurs, etc... envers les oyabun, parents, professeurs, supérieurs, etc...
" Les kobun doivent une absolue obéissance et une loyauté sans faille à leurs oyabun. Ces oyabun peuvent également être les dirigeants de la société où les kobun travaillent. Ces derniers doivent montrer leur allégeance à date fixe chaque année à leur oyabun, en leur offrant de petits cadeaux ou en leur rendant visite. Ces relations existent dans presque tous les groupes japonais et sont fidèlement observées dans les sociétés criminelles traditionnelles des Yakuza".

Selon un même principe d'obligations et de devoirs réciproques le service public japonais entre 1932 et 1946 conduira les empires religieux shintoistes à s'imposer à l'économie de guerre et aux familles capitalistes traditionnelles.
L'empire industriel Mitsui sera touché par cette obligation. Mitsui fondé en 1673 à Kyoto par Mitsui Takatoshi financera le parti seyû-kai, fondé en 1900 et dissout en 1940. La majorité de ses membres rejoindra la célèbre Taisei Yoku senkai ou "Association d'assistance à l'Empereur" ou "Association pour le service du Trône".
Ce mouvement se réclamera durant la seconde guerre mondiale de la "sphère de coprospérité asiatique" ou Daitôa Kyôeiken -le baron Dan, directeur de Mitsui, refusera de soutenir l'effort de guerre en Chine, il sera assassiné. Fondé par le prince Konoe Fumimaro (1891-1945) le Taisei Yoku senkaï aura pour objectif en 1940 d'absorber tous les partis politiques. Il sera démentelé en 1945. Accusé de crimes de guerres et déféré devant un tribunal allié, Konoe Fumimaro se suicidera le 16 décembre 1945.

"En 1938 l'école monastique bouddhique Nichiren créera, sous l'impulsion du bonze Takasa Nichikô "l'association pour la pratique du bouddhisme de la voie impériale" (Kôdo bukkyô gyôdô kai, Victoria).
Brian Victoria mettra en valeur la position doctrinale de l'association "pour la pratique du bouddhisme de la voie impériale" dans "seniji ka no bukkyo" ou "le bouddhisme pendant la guerre" de Nakano Kyotoku, 1977 :
"Le bouddhisme de la voie impériale utilise la vérité sublime du sutra du lotus pour révéler l'essence majestueuse de l'Etat national. L'exaltation du bouddhisme mahayana est un enseignement qui apporte un soutien empreint de révérence à la tâche de l'empereur. C'est ce que voulait dire le très saint Nichiren fondateur de notre secte, lorsqu'il parlait de l'unité du souverain et du Bouddha (...) C'est à dire que le bouddhisme de la voie impériale est l'expression condensée de l'unité divine du souverain et du Bouddha (...) formulée dans le langage contemporain. C'est pourquoi l'image principale d'adoration dans le bouddhisme de la voie impériale n'est pas Bouddha Shakyamuni, qui est apparu en Inde, mais sa majesté l'Empereur, dont la lignée s'étend sur plus de dix mille générations".

L'empire industriel Mitsubishi crée à Nagasaki par Iwasaki Yatarô, samouraï du clan Tosa (1834-1885), financera le parti Minsei-tô et sera absorbé lui aussi en 1940 par "l'Association d'assistance à l'Empereur"; les influences ultranationalistes des acteurs du Seiyu-kaï et du Minsei-tô absorbées et suractivées par la centrifugeuse militariste et shintoiste (voie de l'empereur) que représente la Tasei Yoku senkaï aura pour conséquence la constitution de la sphère politique ultra conservatrice du célèbre Parti Libéral jiyuto fondé par Hatoyama et Yoshida en 1945 (l'une des racines consubstantielles du Parti Libéral Démocrate, P.L.D., jiyu-minshutô, de 1955 qui dominera la scène politique en "produisant" la quasi totalité des 1er ministres-conservateurs-du pays).

"En juin 1942, écrit Victoria, la branche Jodoshinshu institutionnelle du Nishi Honganji (ouest honganji), publiera une brochure intitulée "On ichigen ron : kôdô bukkyô no shinzui" ou "une conception unitaire de la dette de gratitude (envers l'empereur) - l'essence du bouddhisme de la voie impériale" :
"la secte shin "jodoshinshu institutionnel" prend la Loi du souverain comme fondement, enseignant l'obéissance révérencieuse, fidèle et inconditionnelle aux ordres de l'empereur. En conséquence quiconque commettrait un crime de haute trahison serait exclu du salut par le Bouddha Amida. Dans la secte shin, il ne peut exister aucun enseignement qui ne prône la soumission à l'Etat impérial. Autrement dit, c'est parce qu'on est ancré dans la salut grâce au Bouddha Amida qu'il est possible d'être un bon sujet de l'empereur. C'est indiscutablement la secte shin qui est en accord avec l'Etat impérial".

Le shinto impérial cautionnera de son côté entre 1933 et 1946, par le crime d'Etat, l'entrée dans la légalité impériale et sacrée de la famille Sumitomo constituée sur une simple maison de commerce au XVIIème siècle par Sumitomo Masatomo (1585-1652). Principal fournisseur de cuivre et d'argent du shogunat d'Edo, cette maison est la racine d'un consortium qui comptera pas moins de 135 compagnies avant 1948 (1945, dissolution des trusts zaibatsu et renaissance en zaikai puis en keiretsu, holdings). Aujourd'hui Sumitomo, fleuron du néolibéralisme américan (opposé à l'empereur) et fer de lance du néofascisme, est un trust industriel et financier international classé "investisseur socialement irresponsable" par le mouvement activiste actionnarial en 2003; Sumitomo Ginkô, fondée en 1895 par Sumitomo Kichizaemon, est la troisième banque du Japon.

Au moi de mars 1943, remarquent Brian Victoria et Daitô Satoshi (spécialiste Japonais du jodoshinshu) la branche du jodoshinshu institutionnel Higashi Honganji (Est) décidera elle aussi d'adhérer au mouvement capitaliste et nationaliste.
Elle le fera par intérêt à l'occasion de sa vingt-quatrième assemblée générale, à laquelle Shinshû, l'organe de la branche consacre la manchette suivante :
" La secte shin de la voie impériale ouvre le chemin du service public".
Pour la branche higashi honganji, l'appellation "secte shin de la voie impériale" exprimait la reconnaissance absolue de la puissance et de l'autorité de l'empereur.
"L'historien Japonais du Shin, Daîto Satoshi, écrira : "On peut dire que le programme et les activités de la secte tout au long des quinze années de guerre (1931-1945) étaient ceux de la secte shin de la voie impériale" (in "Otera no kane wa naranakatta").
Si nous notons qu'en 1932, il y eut effectivement le débarquement historique des japonais à Shanghaï... l'on se souviendra moins que dès 1873, selon les recherches de Gabriele Goldfuss de l'Institut des Hautes Etudes Chinoises de Paris et celles de l'historien américain Welsh, Ogurusu Kôchô (1831-1882) sera le premier moine shin missionnaire du Higashi Honganji (Terre Pure d'Amida, jodoshinshu) à se rendre à Shanghaï. Ce dernier se rendra également à Tientsin, haut lieu (avec Nankin en 1842) des traités inégaux (1858). Nankin sera par ailleurs l'un des nombreux foyers du crime de guerre japonais. En décembre 1937, 250 000 civils et militaires Chinois y seront massacrés.
De nombreux hauts dignitaires bouddhistes, par les célèbrations du service religieux en temps de guerre en vue de renforcer la puissance des armées, seront associés à ce génocide. La secte rinzaï du Zen élevera même le pacifique et non violent bodhisattva Avalokiteshvara au rang de shogun (chef militaire) et de généralissime...
Le bonze-espion Ogurusu Kôchô continuera sa " guerre sainte" à Pékin, non sans l'aval administratif du ministre des affaires étrangères Terashima Munenori (1832-1893), vice-président du conseil privé de l'empereur Meiji en 1891. Yangwenhui, réformateur bouddhiste chinois (amidiste) et imprimeur populaire à Nankin (1837-1911), s'opposera toujours à Ogurusu Kôchô qui confondait propagande militaire impérialiste, nationalisme et enseignement religieux.

Nankin qui sera par ailleurs le siège stratégique du gouvernement provisoire de la république de Chine en 1912 sous la présidence de Sun yat-Sen et la capitale du Kuomingtang de Tchang Kai-chek en 1927, sera une capitale impériale sous les Jin, les Song, les Qi, les Liang, les Chen, les Tang méridionaux, les Ming en 1356, les rebelles Taiping en 1853... Cette ville de traducteurs des sutra, dès le IIIème siècle, verra son premier temple bouddhique fondé en 247. Yangwenhui voudra y bâtir une imprimerie populaire des soutras... Elle verra le jour et imprime toujours, du reste, après avoir survécu aux purges maoïstes. Elle demeure un symbole de la foi populaire opposée à la propagande fasciste. Cette imprimerie fermera en 1937, réouvrira en 1952, fermera sous la révolution culturelle, réouvrira en 1965. Elle est, depuis 1973, sous la protection de Zhou Enlai...
"Yangwenhui, écrira Gabrièle Goldfuss, exprime à plusieurs endroits son mécontentement à l'égard de l'enseignement du bouddhisme prodigué par Ogurusu kôchô :
"les anciens exégètes ne s'écartaient jamais des soutras dans leurs interprétations, aussi vastes fussent-elles. Voilà de nombreuses années que j'ai des relations avec les gens du Shinshû, et je n'ai jamais pu constater que leurs principes fussent ainsi fondés" ("Chan jiao chu yan", contenant les critiques des enseignements d'Ogurusu Kocho. Yangwenhui refusera toujours de publier les enseignements écrits d'Ogurusu Kocho y compris quand ils furent présentés par Nanjo Bunyu, disciple de Max Muller). Nanjo bunyu du Higashi Honganji est du reste célèbré (bien que très critiqué aujourd'hui) dans le monde bouddhiste pour son catalogue des titres des soutras de l'époque des Ming "Tai min..."

L'empire Kawazaki Jukogyo fondé par Kawazaki Shozo (1837-1912) se soumettra également à la religion impériale d'Etat (1932-1946). Kawazaki sera un milliardaire lié au bouddhisme par la branche Chizan du Shingon-shû... dite "de la vraie parole" introduite de Chine (secte du Zhenyang-zong) au début du IXème siècle par le célèbre religieux Kûkaï (774-835). Le Shingon-shû ne compte pas moins aujourd'hui de 47 sous branches...
Il est intéressant de noter ici qu'avant l'ère Meiji (1868) il n'existait pas d'établissements bancaires, chaque grand clan emmettant sa propre monnaie et l'Etat ne contrôlant que les monnaies d'or et d'argent. Les riches marchands se transformaient souvent en riches banquiers et entretenaient des relations économiques, juridiques ou contractuelles et politiques très spécieuses avec les ordres shintoïste et le bouddhisme dit de propitiation, kitô-bukkyô.
Brian Victoria dira de l'école zen rinzaï qu'elle a célébré des rites propitiatoires en vue d'obtenir l'annihilation (gekimetsu) de l'Amérique et de l'Angleterre, ce que le bonze Imai Fukuzan justifiait ainsi :" dans notre secte, la célébration des services religieux en temps de guerre en vue de renforcer la puissance des armées se pratique depuis plus de 600 ans" (dans "Prières et poèmes de transfert de mérites liés aux activités militaires des temps anciens dans notre secte Rinzai", Zenshu, janvier 1938...)
Le général de l'armée impériale Matsui Iwane (1878-1948), très lié à ce genre de pratiques, "sera condamné à mort pour crime de guerre par le tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, en raison du rôle qu'il a joué en tant que "chef" (?) des troupes japonaises responsables des atrocités commises à Nankin en décembre 1937..."
Ces relations de dépendances, d'obligations économiques, politiques, juridiques, religieuses et militaires, envers l'empereur ou envers le maître de finance, le riche marchand "soutient de l'effort de guerre impérial" seront fidèlement entretenues. Les liens de parenté (sociaux et spirituels) shintoistes et bouddhistes seront codifiés, tout le long des siècles... indépendamment des inégalités sociales, administratives, politiques, raciales, sexuelles et religieuses, qu'ils pouvaient engendrer au Japon et dans le monde asiatique.

Trois exemples illustrant le lien entre le bouddhisme et ce que le juriste institutionnaliste Eric Seizelet nomme : "les puissances et les oligarchies" dans son essai : "Les Implications politiques de l'introduction du droit français au Japon".

Brian Victoria dicerne des indices évidents dans les écrits de trois maîtres zen de renomée mondiale (habilités à transmettre des enseignements traditionnels ou à diriger des retraites spirituelles) démontrant la corruptibilité du maître et des écoles bouddhistes par soumission au militarisme du prince règnant, ici de l'empereur despote.
Les écrits sont ceux d'Harada Daiun Sogaku, de Ichikawa Hakugen concernant le célèbre D.T. Suzuki et de Yasutani Hakuun.

(1) "Harada Daiun Sôgaku (1870-1961), écrit Victoria, restera comme l'un des plus ardents défenseurs des agissements du Japon pendant la guerre. Si comme le proclame (Philip) Kapleau (dans "Les Trois Pilliers du Zen"), il a régénéré le zen, c'est en créant le "zen de guerre" (senzô zen), et ce dès 1915, année où le Japon est entré dans la première guerre mondiale et où il a lui même publié Sanzen no kaitei (Initiation à la pratique du zen), dont le onzième chapitre s'intitulait justement "le zen de guerre".
"La première section de ce chapitre avait pour titre "L'univers entier est en guerre".
"Daiun ne voyait rien d'étonnant à ce que le Japon soit en guerre, car "il suffit d'observer tous les phénomènes de l'univers pour s'apercevoir qu'il n'existe rien qui ne soit pas en guerre. Dans le monde de la nature, par exemple, la graine de prunier essaie de conquérir le monde pour les pruniers, et le grain de riz pour le riz. Le monde des hommes n'est pas différent : les politiciens y luttent les uns contre les autres pour conquérir le monde politique et les marchands celui des affaires.
"Le bouddhisme n'échappe pas à cette règle puisque, nous rappelle Daiun, le Bouddha Shakyamuni lui même a dû vaincre les démons pour atteindre à l'illumination. "Faute de plonger dans l'arène de la guerre, en conclut Daiun, il est totalement impossible de connaître le Dharma du Bouddha. (...) Il n'est pas possible d'oublier la guerre ne serait-ce qu'un instant."
"En mars 1934, Daiun écrit dans la revue Chûô bukkyô :
"L'esprit du Japon est la Grande Voie des dieux (Shintô). C'est la substance de l'univers, l'essence de la vérité. Le peuple Japonais est un peuple élu dont la mission est de contrôler le monde. Le sabre qui tue est aussi celui qui donne vie. Les propos hostiles à la guerre ne font que refléter l'opinion idiote de ceux qui ne voient qu'un aspect des choses et non l'ensemble.
"Il serait pématuré de fonder la politique sur une constitution; c'est pourquoi il faut appliquer pendant les dix années à venir une politique fasciste (...) De même, l'école produit des individus à l'esprit superficiel et cosmopolites. Tout le monde, dans ce pays doit pratiquer le zen. Ce qui veut dire que tout le monde doit s'éveiller à la Grande Voie des dieux. Ainsi est le zen mahayana (in "Nihon fashizumu ka no shûkyô ou "Religion et fascisme au Japon", 1975 )".
"A partir du début de l'année 1943, la fortune des armes avait à l'évidence tourné au désavantage du japon. Les autorités demandèrent aux dirigeants bouddhistes de faire tout leur possible pour mobiliser la population civile toute entière en vue de l'effort de guerre. C'est dans ces circonstances que Daiun écrivit pour le numéro 1943 du mensuel Zen no seikatsu :
"Il n'a jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui pour les cent millions d'habitants que compte ce pays de se convaincre que leur propre destin est lié à la vie et à la mort de l'Etat (...) Nous devons nous consacrer à la pratique du zen et à la recherche de la voie. Nous devons persévérer dans notre dévouement au "zazen de combat", qui est la plus haute méditation (in "Religion et fascisme au japon", 1975)".
"A la fin de l'année 1944, l'avenir se présentait sous un très mauvais jour pour le Japon.L'impensable était en train de devenir pensable : l'Archipel risquait d'être envahi. Tous les japonais valides, jeunes et vieux, n'ayant souvent pour arme qu'une lance en bambou, devaient aller à l'exercice, pour préparer à repousser les envahisseurs. C'est alors que Daiun écrivit pour le numéro de juillet de Daijô zen un article, intitulé " Soyez prêts, cent millions (de sujets), à mourir dans l'honneur !"

"(...) Si vous voyez l'ennemi vous devez le tuer; vous devez détruire le faux et établir le vrai - ce sont les points cardinaux du zen. Il est dit que, si vous tuez quelqu'un, il convient que vous voyiez son sang.... (In" Religion et fascisme au Japon, 1975)"

(2)"Ichikawa Hakugen, écrit Victoria, estimait que la position de D.T.Suzuki (sur le bouddhisme de la voie impériale), telle qu'il (Suzuki) l'a exprimée au début de l'ère Meiji dans Shin shûkyô ron (Traité sur la nouvelle signification de la religion) a contribué à jeter la fondation théorique des évènements qui ont suivi.(...) C'est la Chine, disait Hakugen, que le traité de Suzuki visait quand il parlait de "pays sans loi".
"(Suzuki) écrit Hakugen, considérait que la guerre du Japon contre la Chine était une activité religieuse visant à punir la Chine pour faire progresser l'humanité. Ce raisonnement est, tout du moins dans son aspect extérieur, exactement le même que celui qui a servi à justifier pendant quinze ans la "Sainte guerre" pour la construction d'un ordre nouveau en Asie de l'Est.
"Suzuki avait semble-t'il oublié que la guerre en vue de punir la Chine n'avait pas été déclanchée par une attaque de celle-ci sur le territoire Japonais, mais qu'elle se déroulait sur le continent. Suzuki était incapable de regarder la guerre du point de vue du peuple Chinois, dont la vie et l'environnement naturel étaient dévastés. C'est parce que cette perspective lui faisait défaut qu'il considérait la guerre d'agression menée sur le continent comme une activité religieuse, justifiable au nom de la religion (...)(In "Religion et fascisme au Japon", 1975)
"Cette "conduite religieuse" reposait, selon Suzuki, sur l'idée que "le sabre qui tue est identique au sabre qui donne la vie" et qu'il faut "tuer une personne pour en sauver un grand nombre". C'est à travers la "guerre sainte" que ce raisonnement s'est étendu à l'échelle de l'Asie tout entière. Ce sont les bouddhistes et leurs organisations qui ont intégré cette conception de la guerre dans le système impérial (in "Religion et fascisme au Japon", 1975)"

"Le moine Ichikawa Hakugen estimait dans "Religion et fascisme au Japon" (Nihon fashizumu ka no shûkyô), que la relation entre le bouddhisme et le militarisme japonais devait faire l'objet d'une réflexion critique :
"De nos jours, écrit-il, les bouddhistes Japonais aiment à dire que le bouddhisme possède une sagesse et une philosophie pour sauver le monde et l'humanité. Je pense quant à moi que le bouddhisme doit commencer par s'interroger sur ce qu'il a fait ou n'a pas fait pendant les ères Meiji (1868-1912), Taishô (1912-1926) et Shôwa (1926-1989), à travers ses positions doctrinales et ses activités missionnaires, pour lutter contre l'exploitation et l'oppression sur le territoire Japonais aussi bien qu'en Corée, à Taïwan, à Okinawa, en Chine et en Asie du Sud-Est. Au delà de cela, le bouddhisme a le devoir et la charge d'élucider la question de la responsabilité individuelle dans ce qui s'est passé et d'exprimer sa détermination (à faire en sorte que cela ne se reproduise jamais)".
"Suzuki, écrit Victoria, est-il besoin de le dire, n'était pas le seul adepte du zen à qui Hakugen attribuait une part de responsabilité dans la guerre. C'est ainsi, par exemple, qu'il considérait Harada Daiun Sôgaku, dont nous avons déjà parlé, comme un "militariste fanatique". Il signalait en outre que Yasutani Hakuun (1885-1973), l'un des grands disciples et successeurs de Harada, "ne le cédait en rien à son maître en tant que militariste et anticommuniste fanatique (in "Religion et facisme au Japon")".
"Le portrait que Hakugen dresse de ce maître si célèbre en Amérique, peut sembler malveillant, et pourtant, s'il y a quelque chose à lui reprocher, ce serait plutôt d'avoir minimiser l'extrêmisme dont était capable Hakuun, qui a invoqué la doctrine zen pour justifier non seulement la politique militaire du Japon mais encore l'antisémitisme.

(3)"En 1943, Hakuun a publié un livre de 416 pages intitulé "Dôgen Zenji to Shûshogi" (Maître Dogen 1200-1253 et le Shûshôgi).
Le Shûshôgi (Traité sur la pratique et l'illumination) mis en circulation par la secte Soto en 1890, visait à l'origine à fournir aux adeptes laïcs un résumé relativement facile à comprendre des enseignements de Dôgen concernant la pratique et l'illumination. Il est important de savoir que la publication du livre de Hakuun, en février 1943, précède de deux mois seulement la transmission du Dharma à l'auteur, alors âgé de cinquante huit ans, par son maître Harada Daiun Sôgaku. Voici ce que dit Hakuun en parlant de la finalité de son livre :
"L'Asie est une. Anéantir la traîtrise des Etats-Unis et de l'Angleterre et établir la Sphère de coprospérité de la Grande Asie de l'Est constitue la seule façon de sauver le milliard d'habitants que compte l'Asie, de façon à ce qu'ils puissent suivre leurs chemins respectifs l'âme en paix. Cela contribuera en outre tout naturellement à la construction d'un nouvel ordre mondial, dont les mauvais esprits auront été exorcisés, et apportera la paix et le bonheur éternel à l'humanité entière. Je pense que c'est véritablement la mission essentielle et cruciale qui incombe à notre grand empire japonais".
"On trouve chez Hakuun, écrit Victoria, des idées qui relèvent des aspects les plus extrêmes d'un projet déjà en lui-même extrêmiste. Rien n'illustre mieux ce trait de son personnage que l'interprétation qu'il donne du précepte "ne pas tuer", précepte qui occupe une place fondamentale dans le bouddhisme :
"Quelle attitude les disciples du Bouddha doivent-ils adopter, en tant que bodhisattva du mahayana, envers le premier précepte, qui interdit de tuer ? Que faut-il faire par exemple, quand il devient nécessaire, pour se débarasser de mauvaises influences et servir les intérêts de la société, de tuer des oiseaux, des insectes, des poissons, etc..., ou en allant plus loin, de condamner à mort des individus extrêmement malfaisant et brutaux, ou encore d'engager la nation sur le chemin de la guerre totale ?

"Les gens qui comprennent l'esprit des préceptes mahayana, dit Hakuun, devraient pouvoir répondre à cette question sans une hésitation. Bien évidemment, il faut tuer, tuer le plus grand nombre possible.
" Il faut se battre durement et tuer tout le monde dans l'armée ennemie. Et ceci parce que, pour amener la compassion et la soumission filiale jusqu'à la perfection, il est nécessaire de venir en aide au bien et de punir le mal. Toutefois, lorsqu'on tue, il faut avaler ses larmes et garder présent à l'esprit le principe consistant à tuer et en même temps ne pas tuer. Ne pas tuer un homme mauvais qui doit être tué ou ne pas détruire une armée ennemie qui doit être détruite reviendrait à trahir la compassion et la soumission filiale, à violer le précepte interdisant de tuer. C'est une caractéristique spéciale des préceptes du mahayana (in "Dôgen Zenji to Shûshogi ou Maître Dôgen et le Shûshogi")".

"Hakuun a fait mieux encore dans le genre à propos des Juifs. Sachant qu'il y avait très peu, si ce n'est pas du tout, de juifs au Japon pendant la guerre, l'antisémitisme semblerait hors de propos, voire carrément oiseux. Toutefois on apprend, en lisant de près les passages suivants, que le véritable ennemi n'est pas les Juifs mais leur insistance à introduire une "égalité" socialement destabilisante au sein du monde phénoménal :
"Nous devons savoir, écrit Hakuun, que les juifs ont des enseignements démoniaques affirmant par exemple (l'existence de) l'égalité dans le monde phénoménal, troublant ainsi l'ordre public dans notre société nationale et détruisant l'autorité (du gouvernement). Qui plus est, ces conspirateurs démoniaques nourrissent l'illusion profondément enracinée et la croyance aveugle que, en ce qui concerne la nature essentielle des êtres humains, il existe une différence entre le supérieur et l'inférieur. Ils sont victimes de l'illusion qu'eux seuls ont été choisis par Dieu et qu'ils constituent donc un peuple exceptionnellement supérieur. Tout cela les a conduit à nourrir le perfide dessein d'exercer leur emprise et leur domination sur le monde entier, ce qui a provoqué les grands troubles qu'on connaît aujourd'hui. Il faut dénoncer cet exemple extrême de fléau résultant d'une croyance superstitieuse et d'une illusion profondément enracinée.(in "Maître Dôgen et le Shûshôgi")"

"L'antisémitisme "sans juif" de Hakuun offre une illustration supplémentaire du rôle social réactionnaire, écrit Brian Victoria, que le zen et les institutions bouddhiques dans leur ensemble ont joué au Japon à partir de la restauration de Meiji (1868), si ce n'est avant. (...) On notera avec intérêt que la défaite de 1945 a mis un terme aux propos ouvertement antisémites de Hakuun, mais pas à ses activités d'extrême droite et ultranationalistes. C'est ainsi qu'en 1951, alors que le Japon restait sous la tutelle de l'occupation alliée, Hakuun fonda une publication connue sous le nom de Gyôshô (le gong de l'éveil) pour diffuser ses idées religieuses et politiques. On peut y lire ceci :
"Les organisations qu'on qualifie aujourd'hui d'extrême droite regroupent les vrais nationalistes Japonais. Leur objectif est de préserver le caractère authentique du Japon. Il existe en revanche des mécontents qui ignorent la maison impériale, méprisent la tradition, oublient le régime national, négligent le caractère authentique du Japon et se laissent prendre par les machinations et les entreprises de séduction ourdies par la Chine rouge et les soviétiques (...)"

"Il va sans dire, écrira-t'il (Hakuun) moins d'un an plus tard, que les dirigeants du Syndicat des enseignants japonais sont à l'avant-garde des faibles d'esprit (...)
"De concert avec les quatre partis politiques de l'opposition, le Syndicat des travailleurs de la fonction publique, l'Association des jeunes juristes, la Ligue des citoyens pour la paix au Vietnam, etc... Ils ont entrepris de trahir la nation (...) Les universités que nous avons aujourd'hui doivent être écrasées une bonne fois pour toutes. Si la constitution actuelle ne permet pas de le faire, il faut se dépêcher de la déclarer nulle et non avenue, car c'est une constitution non japonaise qui fait beaucoup de tort à la nation, un faux et un rejeton bâtard des forces d'occupations alliées".
(Yamaguchi Ojiya, jeune militant d'extrême droite poignardera (en directe) Asanuma Inejiro (1898-1960) le chef charismatique du Parti Socialiste du Japon "Nihon Shakaï-tô" en octobre 1960, Asanuma Inejiro était membre du Parti Communiste durant ses études et fit cinq mois de bagne pour avoir pris le parti des grévistes des mines d'Ashio; de 1936 à 1956 il fut le représentant du Parti des masses du Japon, Nihon Shakaï-Taishu-tô à la Chambre des Représentants)

"La quatrième spécificité (symptomatique du déficit bouddhiste selon le bonze Ichikawa Hakugen) relève de la justice et des droits de l'homme.
"Hakugen, écrit Brian Victoria, commence par présenter la doctrine bouddhiste de la causalité ou de la production conditionnée, qui enseigne que tous les phénomènes sont dans un état de flux continuel, naissant et mourant sans posséder la moindre substance permanente, vides. Appliquée à la personne, cette doctrine produit le concept de non-ego ou de non-soi, qui ne laisse aucune place à l'indépendance des individus.
"A en croire Hakugen, cet enseignement du bouddhisme a fait obstacle au développement du principe de droit naturel tel qu'il est connu de l'Occident, si bien que les notions de droits de l'homme et de justice n'ont pas de fondement dans le bouddhisme.
"Dans la Constitution en dix-sept articles, les japonais sont priés de "tourner le dos à l'intérêt personnel pour embrasser le bien public". Hakugen établit un lien direct entre cette injonction et le mot d'ordre de l'époque de la (seconde) guerre (mondiale) "exterminer le soi et servir le public" (messhi hôkô)(ch.4).
Le "public" dont il s'agit ici, déclare-t-il, n'est rien d'autre que l'Etat et l'empereur. Si bien que "l'enseignement du "non-ego" est devenu un principe à la fois théorique et moral au service de l'impérialisme du mikado (ancien nom du Palais Impérial)".

"La cinquième spécificité du bouddhisme identifié par Hakugen réside dans sa carence en matière de dogme.
"Faute d'un Dieu personnel transcendant, qu'il faut vénérer et défendre, le bouddhisme n'a pas su se doter d'une doctrine capable de rallier des croyants prêts à se battre".
Nous pensons que cette position conduirait tôt ou tard à une regression doctrinale pré-bouddhique (typique du vajrayana capitaliste tibétain) et donc à l'apologie du maître inégalitaire anti-indivudaliste (le prince renonçant et la pensée globale coercitive), ou encore à l'Eglise temporelle (de toute chose); de plus le Dieu personnel n'éviterait pas la guerre des représentations (phénoménale dans le macrocosme théologique du mahayana), le ritualisme, le juridisme, le hiérarchisme et le terriotorialisme héréditaire qui n'ont jamais engendré que violence physique et psychique. N'est-ce pas ce que le Japon a déjà vécu : l'"efficacité du rapport transcendant à Dieu (l'empereur), lex vivendi" et que l'on retrouve aujourd'hui, dans l'ombre de l'empire civil justinien, dans la dogmatique d'un G.W.Bush ?
"C'est à cause de cela (la carence en matière de dogme), dit Hakugen, que le bouddhisme Japonais s'est désintéressé de la pensée discursive et de la logique pour consacrer toute son attention à l'être intérieur et donner la place centrale à la subjectivité individuelle, au détriment des actions et de leurs résultats".

"En sixième lieu vient le concept de gratitude : "On", qui se trouve au coeur de l'éthique du mahayana.
Traditionnellement "on" (japonais) est dû à quatre catégories de gens :
"les parents, le souverain, tous les êtres vivants et soit le ciel et la terre soit les trois trésors (ou trois joyaux selon la terminologie du vajrayana-mahayana tantra) : le Bouddha, le Dharma (enseignement) et la Sangha (communauté des moines et des nones).
"Hakugen estime qu'il y a eu fusion entre la gratitude due aux parents et celle due au souverain, l'empereur, chef de la grande famille que constitue le Japon pris dans son ensemble, avec pour corollaire un affaiblissement proportionnel du sens de la dette envers la totalité des êtres sensibles (ou un désintérêt constant et croissant d'avec les discriminés, sujet tabou).

"La septième spécificité concerne l'interdépendance de tous les phénomènes.
"Hakugen considère que cet enseignement est à l'origine à la fois de la conception organique de l'Etat qui est celle du Japon moderne et du sentiment d'intimité que l'Etat inspire aux Japonais. L'acceptation générale de la prééminence de l'Etat, dont l'individu est réduit au rôle de simple constituant, doit aussi être rattachée au concept d'interdépendance".
Nous pensons de notre côté que l'une des propriétés de l'interdépendance consiste en la fusion, d'autant plus naturelle que son assise dogmatique sur le vide est fondée:
-au principe de la célébration rituelle (cessastion de la subjectivité),
-à la ritualisation du temps de travail et des activités,
-au concept bouddhique de dette héréditaire, sanitaire et alimentaire,
-à la sédentarité liée au culte des ancêtres et des dieux protecteurs locaux,
-aux anciens shémas de parenté et à la propriété privée "voulue illimitée" par l'empereur, le roi, les grandes familles, les héritiers des généalogies, considérés comme maîtres de la filiation et maîtrisant en somme "la reproduction de l'espèce et la répétition"... nous rejoignons ici la septième caratéristique.

"Le vide romain antique, Dieu, source du droit civil par contre (assise dogmatique de l'interdépendance romaine)", constitutif de toute chose, constituera l'échelle sociale voulue immuable...pour des humains simples constituants ou entités (Ch.4).
En effet, l'une des conséquences de l'interdépendance des phénomènes selon la tradition romaine antique conduira à une doctrine politique du pouvoir de la parole, du comportement et à une police sexuelle assises sur un Dieu (manifesté ou non) présent en toute chose...
L'interdépendance des phénomènes selon l'Eglise chrétienne (héritière de la dogmatique de l'inceste et des computs Justiniens) en connaîtra son pape au XIIIème siècle, Grégoire IX (1234) et ses magistrats des Tribunaux de l'Inquisition et, entre Grégoire IX qui règna de 1227 à 1241 et Benoit XI entre 1303 et 1304, pas moins de 11 papes pour débattre de l'efficace de la doctrine politique du pouvoir de la parole, du comportement et de la police sexuelle, avec pour chacun un règne de plus en plus en court (Innocent IV, Alexandre IV, Urbain IV, Clément IV, Grégoire X, Jean XXI, Nicolas III, Martin IV, Honorius IV, Nicolas IV, Boniface VIII)...
"Dans la même logique, dit Hakugen, la prééminence des capitalistes est acceptée comme naturelle, les travailleurs s'intégrant dans une catégorie inférieure au sein d'un système familial étendu faisant grand cas de l'harmonie et de la coopération."

"La huitième spécifité du bouddhisme est occupée par la Voie du Milieu.

"Hakugen affirme que le bouddhisme Japonais moderne a fait de cet enseignement remontant aux premiers temps du bouddhisme Indien le principe présidant au fonctionnement de la société. Cette intrusion de la Voie du Milieu dans le domaine social n'a pas pris la forme d'un compromis idéologique entre la gauche et la droite mais celle d'une recherche permanente du consensus, avec l'idée de résoudre tous les conflits avant qu'ils se produisent. D'où la réticence des Japonais à prendre des positions tranchées sur les questions sociales et le flou de leurs idées en ce domaine."

"La neuvième spécificité est liée au culte traditionnel des ancêtres, dont le "bouddhisme protecteur de la nation" s'est fait le chantre à mesure qu'il s'identifiait au Japon.
"La nation toute entière est ainsi devenue une grande famille dans laquelle la loyauté entre les sujets et le souverain tenait lieu de vertu capitale. Le pas suivant a consisté à mettre cette logique au service de la cause de la "guerre sainte", comme en témoigne le mot d'ordre "le monde entier sous un même toit" (hakkô ichiu).

"La dixième caractéristique de Hakugen concerne la notion d'ancienneté.
"Le Moyen Âge japonais a produit une culture attachant beaucoup de prix à l'âge et à la maturité, culture à laquelle se rattachent des valeurs esthétiques comme wabi (rusticité antique) et sabi (sobriété antique). Ce mode de pensée considère que la société repose sur des lois anciennes et immuables, notamment en ce qui concerne sa structure hiérarchique.
"Contester ces lois et proposer une nouvelle organisation sociale passait pour un signe d'immaturité et de manque de compréhension. La personne mûre, en revanche, était sourde aux sirènes du changement social, surtout si celui-ci représentait une menace pour l'ordre établi, tandis qu'elle acceptait le statu quo avec une soumission sans réserve."

"La onzième spécificité, le bouddhisme attache plus d'importance à la sérénité qu'à la justice.
"Faute d'un Dieu pourvoyeur de principes transcendantaux, le bouddhisme ne s'est pas senti tenu de bâtir sur terre un royaume fondé sur la justice".
Nous ne croyons pas, en tant que paria dans la vie, que le dharma nous sera rendu par un Dieu pourvoyeur ou par ses saints. Nous croyons, par contre, que les "intermédiaires institutionnels" sont devenus les pourvoyeurs exclusifs des principes transcendantaux. Ils sont appelés "interprètres" (les magistrats de l'inquisition), entre Dieu (bouddha) et les hommes, et n'ont pas subtilisé l'objet même de la croyance mais ont limité cette dernière au savoir, autrement dit, au discours de l'entrée dans la légalité religieuse. La cruauté du système ne serait qu'une conséquence du processus héréditaire, de l'affiliation .
Nous croyons par ailleurs qu'un Dieu personnel transcendant, nous juxtaposerait tôt ou tard :
1- aux vieilles structures karmiques parentales,
2- à l'ainsité assise sur un "droit civil antique" restauré,
3- à la question sacro-sainte du discours fondateur "d'où vient la loi ?" et à la réponse : "de Dieu"...

Ichikawa Hakugen poserait-il la question de la corruption du discours fondateur et de l'altération de l'entrée dans la légalité religieuse, impossible affiliation des pauvres ? et qui justifierait chez lui l'expression : " bâtir sur terre un royaume fondé sur la justice ".
"(...) Le refus du bouddhisme d'avaliser ou d'encourager la volonté de transformer la société, dira Hakugen, est dû (par ailleurs) dans une large mesure à l'importance qu'il accorde à la sérénité individuelle".

"La douzième et dernière spécificité de Hakugen est liée à la notion contenue dans le terme soku, qu'on peut traduire par "c'est-à-dire", "ainsi", dans le sens bouddhique de réalité telle qu'en elle même, de non-dualité.
"Hakugen considère que cette façon de penser, omniprésente dans le bouddhisme, conduit à une vision statique et esthétisante (particulièrement vrai dans le mahayana tantra tibétain ou japonais), un mélange purement subjectif d'harmonie et de détachement. Le bouddhisme manque à son avis de la base théorique dynamique qui lui aurait permis d'affronter la réalité ou de promouvoir le changement social.
"Chacune des douzes spécificités identifiées par Hakugen écrit, Brian Victoria, mérite sans aucun doute de faire l'objet d'un débat. Mais la réflexion critique à laquelle il s'est livré suggère fortement que la collaboration du bouddhisme avec le militarisme Japonais a de profondes racines dans l'histoire et dans la doctrine de cette religion, racines qui ne se limitent en aucun cas au Japon".

"les douze spécificités historiques du bouddhisme japonais qui se sont développées au cours des siècles et dont la réceptivité du bouddhisme à l'autoritarisme est le produit direct", partie III, p. 260-264, "le regard des japonais d'après guerre sur le bouddhisme de la voie impériale, le zen de l'Etat impérial et le zen martial", "le Zen en Guerre, 1848-1945", traduit par Brian Victoria d'après le "Bukkyôsha non sensô sekinin" du bonze Ichikawa Hakugen.


Sites et Bibliographie
1- "Behind The Facade of Holy War"
2- "Engaged Buddhism : A Skeleton in The Closet ?"
3- Humanities&Social Sciences, Centre for Asian Studies
4- "Japon: Apogée et déclin du nationalisme"
5- "Aikoku, le patriotisme"
6- "De la manipulation mentale à la secte globale ?"
7- "Les ouvriers iront-ils au Paradis" dans "Japon, Le Consensus : Mythe et Réalité", Patrice Jorland correspondant de l'Humanité (1981-1983), Cercle d'Etudes sur la Société et l'Economie du Japon, Economica, 1984
8- "Religion et identit?Japonaise"dans "Japon, Le Consensus : Mythe et Réalité", Olivier Chegaray, prêtre, Cercle d'Etudes sur la Société et l'Economie du Japon, Economica, 1984
9- "Bibliography, Criminal Law of Japan"
10- "Japan's War Readiness, Desecration of the Constitution in the Wake of 9-11" by Tetsuo Maeda
11- "Occupations and Empires, Why Iraq is not Japan" by John W. Dower
12- "The Other Japanese Occupation" by John W. Dower
13- "Yasakuni Shrine, Japanese Nationalism, and The Constitution" by Nobumasa Tanaka



::: la fin du chapitre 2 (1-2) ::: ::: chapitre 2 (3-7) :::
:: top