Libertés et actions civiles et politiques non violentes au Québec

"Pour une philosophie de l'action et de l'émancipation,
essai sur les défis des temps présents"
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Pierre Mouterde

philosophe, sociologue, journaliste (ed. Ecosociété, 2009) entretien réalisé par Christian Pose, 8/02/2010

" (...)on ne peut jamais mettre sur le même plan une démocratie sous tutelle (militaire ou internationale) telle que de nombreux régimes latino-américains ont pu en endosser les oripeaux pendant les années 90-2000, avec une dictature militaire. Pour avoir vécu (et travaillé comme journaliste) sous un régime dictatorial (Chili), il m’est facile de mesurer les différences et d’opter bien évidemment pour une démocratie sous tutelle, aussi imparfaite par ailleurs soit cette dernière (les droits individuels, aussi réduits soient-ils par ailleurs, ne sont en rien inutiles). Le problème, c’est plutôt de vouloir en rester à ce seul stade, ou de s’en contenter,..."
P. Mouterde




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Sociologue et professeur de philosophie, Pierre Mouterde est spécialisé dans l'étude des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs a` la démocratie et aux droits humains. Il a publié Quand l'utopie ne désarme pas, Les pratiques alternatives de la gauche latino-américaine et ADQ : voie sans issue (avec J.-Claude Saint-Onge), Repenser l’action politique de gauche et dirigé l’ouvrage collectif L’avenir est à gauche aux Editions Ecosociété.




Aimer Haïti…

Il est des événements qui par leur impact et les déluges de réaction médiatiques qu’ils suscitent, forcent à s’arrêter, obligent à « garder la vue qui porte au loin ». Ne serait-ce que pour échapper à la fascination des images qui tournent en boucle ou des émotions brutes qu’elles emportent avec elles. Tel pourrait bien être le cas du terrible tremblement de terre qui vient de dévaster Haïti. Oui ! : garder la vue qui porte au loin; non pas pour oublier ou se détourner, mais justement pour aimer, aimer mieux Haïti…
Cela ne veut pas dire évidemment qu’il faille s’enfermer dans sa tour d’ivoire ou vaquer à ses occupations comme si de rien n’était. À fortiori quand on a pu- ainsi que j’en ai eu la chance—vivre en Haïti, participer à ses rêves de seconde indépendance, travailler au Palais national. Ce Palais national aujourd’hui défait, et dont les dômes d’un blanc immaculé se sont brutalement effondrés, broyant tout sous leur passage, jusqu’à ces vestiges de grandeur et dignité qu’ils incarnaient envers et contre tout. Sous fond de grisaille, de poussière et de dénuement, quel symbole il continue à être !
À vivre en Haïti et à se confronter aux contradictions que ce petit pays ne cessait de lui renvoyer, qui n’a pas fini par s’y sentir profondément attaché ? Sous le soleil lumineux du Sud, ce mélange d’insouciance et de tragédies, de dignité et de défaites, de chaleureuses proximités mais aussi d’incompréhensibles distances. Tout indissolublement lié : « Haïti chérie » !
Plus de 50 000 morts, 80 % des édifices détruits, peut-être un million de sans abris… la mort, la faim, la peur, comme titrait à la une Le Devoir, il n’est pas difficile de se laisser aller à imaginer…
Regard biaisé
Mais d’abord ce qu’il ne faudrait jamais oublier : ce regard biaisé qui est le nôtre et duquel il est si difficile de se déprendre; ici et maintenant, au prisme des images télévisuelles, ce regard de « blancs », de « gens du  Nord » qui nous appartient en propre et qui n’échappe que difficilement aux logiques institutionnalisées de la dépendance et de l’inégalité. Qui resterait aveugle à ce facteur déterminant ? Par exemple quand on réalise comment René Préval, le président en exercice du pays, après avoir lui-même échappé de près à la mort, se retrouve à essayer de gérer un pays en état de choc, du fond d’un petit commissariat de police, sans rien, sans même l’aide de la Minustah, elle-même déstabilisée, à la merci complète de la bonne (ou mauvaise !) volonté de puissances étrangères. Ou quand on apprend que George Anglade, ex ministre, en fut réduit à appeler sur son portable des amis de Montréal pour qu’on vienne –en vain!-- le sauver sous les décombres de sa maison de Port-au-Prince. Ou encore quand on découvre à peine deux jours après la catastrophe que l’aéroport est passé tout naturellement sous contrôle militaire américain. Sans même parler de cette profusion d’images que seuls, depuis le Nord, nous avons le privilège de multiplier et de faire circuler massivement. Comme si la découverte de la réalité du malheur des Haïtiens ne dépendait que du pouvoir virtuel de nos propres images. Si Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère, s’il est à ce point dépossédé de lui-même, il l’est aussi parce que s’y sont perpétuées –sous l’égide d’un colonialisme tenace et revanchard—d’implacables politiques de dépendances économiques. Des politiques qui durent encore aujourd’hui et qui expliquent pour une part non négligeable l’état du pays… ainsi que –par contre coups-- la façon dont nous le regardons !Catastrophe naturelle ?
Une catastrophe n’est jamais une catastrophe en soi, et si ce tremblement de terre est bien une catastrophe naturelle, avec ces 7 degrés à l’échelle de Richter et son épicentre situé à moins de 10 kilomètres d’une capitale de près de 4 millions d’habitants, il n’en demeure pas moins qu’elle est aussi indéniablement sociale et politique. Ses effets ont été renforcés démultipliés par tout ce qu’était déjà Haïti : économie exsangue, État anémique, pauvreté endémique, infrastructures chancelantes, etc.
Et qu’on n’aille pas, pour se dédouaner, nous dire que si Haïti est restée pauvre, elle le doit surtout à ses élites, égoïstes, rapaces et corrompues incapables d’investir ou de s’impliquer généreusement dans leur propre pays. Car si ces dernières sont effectivement de cette eau et continuent à empiler outrageusement richesses et privilèges, elles n’y sont parvenues que grâce aux complicités actives des grandes puissances (USA, Canada, France, Brésil, etc.) qui président d’une manière ou d’une autre au destin de ce pays, très directement au moins depuis juin 1994, lors du retour d’Aristide contrôlé par l’administration étatsunienne de Bill Clinton.
Alors ne vous faites pas trop d’illusions quand même, si vous voyez ce dernier –visage amène-- prendre en charge pour les États-unis les secours à Port-au-Prince ! Et si l’on peut bien sûr, vibrer à cette campagne spontanée d’aide d’urgence à laquelle tant d’entre nous ont répondu si généreusement, il reste à ne pas oublier les implacables rapports de force sociopolitiques qui sous-tendent les intentions de nos gouvernements. Certes Barack Obama met le paquet, poussé peut-être en cela par ses origines africaines, mais il le fait aussi –real politique oblige—parce qu’on craint aux USA comme la peste ces « boat people » qui ne manqueraient pas de débarquer massivement sur les côtes de la Floride et auxquelles il serait bien difficile de refuser –dans de telles conditions—le statut de réfugié.
La dépendance maudite
Et au-delà, que faire ? Devant une telle dévastation, tout paraît devoir être reconstruit et les plus clairvoyants parlent déjà d’une sorte de plan Marshall pour Haïti. D’évidence, on aura besoin de moyens financiers considérables dont, soit dit en passant, on se surprend à voir comment maintenant on paraît soudainement les trouver, alors que dans le passé tant de fois Haïti a frappé des murs à ce sujet. Mais au delà, il reste à répondre à une question autrement compliquée : comment profiter du défi de la reconstruction pour briser cette dépendance maudite ? Car s’il y a une malédiction, elle gît là et seulement là.
Au-delà même de cette aide d’urgence si vitale à faire parvenir aujourd’hui, aider Haïti c’est en effet s’attacher à promouvoir un type d’aide et de développement radicalement différent. Un type d’aide qui voudrait rompre avec la dépendance et chercherait moins à pactiser avec les élites enrichies du pays qu’à s’appuyer sur les formidables ressources d’un peuple oublié et appauvri. Un peuple qui s’est jusqu’à présent toujours senti « d’en dehors » justement parce qu’il n’a jamais été vraiment pris en compte par ses élites et les puissances occidentales. Comme s’il n’existait pas ! Lui qui pourtant n’a cessé de vivre et résister dans un contexte si difficile, et aujourd’hui s’acharne à survivre dans les conditions les plus tragiques. Oserons-nous faire confiance à ce tissu d’organisations paysannes, syndicales, communautaires, à ces ONGs de base qui n’ont cessé de se développer en son sein et à partir desquelles il tente, depuis si longtemps, de s’auto-organiser et de se faire entendre, d’exister tout simplement ? Oserons-nous soutenir un développement pensé à partir d’en bas, à partir de lui ? Oserons-nous enfin ? Aimer Haïti, ce n’est rien d’autre que cela !
Pierre Mouterde
Québec, le 16 janvier 2010
Auteur de Apre bal tanbou lou, 5 ans de duplicité américaine en Haïti (91-96), Paris, Austral 96 (en collaboration avec Christophe Wargny); Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation, Montréal, Écosociété, 2009
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La mort de Daniel Bensaïd

Il est toujours difficile d'apprendre la mort de quelqu'un dont on a été au fil de tant d'années, intellectuellement proche. A fortiori en cette période si particulière que nous connaissons aujourd'hui où tous les repères idéologiques semblent se déliter les uns après les autres. C'était ce qu'il y avait de fascinant chez lui : cette capacité, loin du dogmatisme et de la langue de bois, de maintenir un discours critique, et surtout d'y parvenir en cherchant à combiner théorie rigoureuse et pratique politique concrète, fidélité à un marxisme ouvert et souci scrupuleux d'être à l'écoute de la réalité empirique. Manière de maintenir vivante et actuelle l'idée de révolution, en dépit de tous les désaveux de ce siècle; comme une étincelle d'espérance ! C'est tout au moins ainsi que, de loin, je me suis nourri de ses livres et ses articles.
Il se revendiquait du trotskisme et appartenait au courant de la 4ième internationale dont il avait été pendant longtemps un dirigeant très actif. Il avait été aussi membre de la Ligue communiste française à la fondation de laquelle il avait participé en 1969, avant d'être plus récemment très impliqué dans la naissance du NPA. Mais ses engagements politiques partisans --auxquels il tenait d'ailleurs plus que tout-- ne l'ont jamais empêché de rester ouvert et attentif au renouvellement des luttes sociales contemporaines, ni non plus de mener un travail théorique non négligeable sur l'actualité de l'oeuvre de Marx. Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a ainsi participé à une relecture critique de Marx, permettant de faire apercevoir --contre toutes les orthodoxies en la matière-- les tensions à l'oeuvre dans son oeuvre ainsi que les différentes conceptions de l'histoire qui s'y côtoyaient. De quoi nous aider à retrouver --sous les travestissements dogmatiques-- l'indéniable fécondité théorique de l'auteur du Capital (la mise à jour si éclairante des différents temporalités et discordances économiques et politiques propres aux sociétés capitalistes). Et du même coup, mettre en perspective les oeuvres récentes de certains théoriciens critiques d'aujourd'hui : Rancière, Négri, Badiou, Holloway, etc.
Plus que trotskiste -au sens strict du terme (il avait écrit récemment un petit livre sur les trotskismes,) il incarnait, à travers la trajectoire même de sa vie, la tradition de ce courant marxiste révolutionnaire, engagé dans le devenir de la réalité du monde. Comme si on ne pouvait pas être marxiste sans être en même temps militant actif et internationaliste impliqué directement dans le changements social et politique à l'échelle de la planète.
De lui, quelques images me restent encore à la mémoire. En 73, au moment ou la Ligue communiste était interdite et ses dirigeants activement recherchés par la police du ministre de l’intérieur d’alors: le repérer avec grande inquiétude dans un café parisien alors que j'étais en quête d'un contact clandestin égaré. Plus tard, au début des années 90 : l'entendre à la Mutualité, au fil d'un de ces discours passionnés dont il avait le secret, nous rappeler que la chute du mur de Berlin n'était pas un événement anecdotique, qu'il allait tout changer pour la gauche et les révolutionnaires. Et puis en Amérique latine : suivre sa trace et ses efforts, quelques années plus tard, au Mexique, en Argentine au Brésil, au fil de la renaissance d'oppositions révolutionnaires au développement desquelles il avait activement participé, notamment au sein du P.T. brésilien de Lula. Plus récemment, à Québec : l'écouter plus d’une heure durant à la brasserie « l'Agité » de Québec, lui qui était pourtant miné par la maladie, tenir devant une salle comble un discours d'une grande richesse sur les ravages humains opérés par le néolibéralisme contemporain.
Même de loin, à 100 lieux parfois des réalités théoriques ou politiques de la France, il est ainsi resté une référence, un point de repère pour tous ceux et celles qui aspiraient à un autre monde possible et voulaient se donner les moyens concrets de sa réalisation. Au Québec, en Amérique latine ! Non pas d'ailleurs sur le mode du disciple fidèle, mais plutôt comme une invitation à penser loin de toute tutelle, en tenant d'un même mouvement cette indispensable mémoire du passé et la nécessité de son actualisation, et surtout en préservant cette exigence de ne rien oublier des leçons qui dorment dans l'histoire et dont il reste à nous emparer, pour changer ici et maintenant le présent...
C’est en cela que pour moi, il restera vivant.

Pierre Mouterde
Québec, le 12 janvier 2010



Question 7/14

La juriste militante Monique Chemillier-Gendreau qui pensera l'universel et l'en-commun écrira dans "Droit International et Démocratie Mondiale, Les Raisons d'un Echec" : "(il ne faut pas, ndlr) sous-estimer le triomphe de la liberté remporté à travers chaque abolition....il serait (en effet, ndlr) imprudent de savourer cette victoire sans avoir traqué, dans tous les replis du droit et dans les relations sociales qu'il induit et légitime, les ruses par lesquelles se construisent autrement des formes équivalentes de privation de liberté et de rupture d'égalité...
Vous voulez laisser un monde vivable derrière vous ? Alors, entrez en résistance, passez vos nuits à essayer de comprendre et vos journées à organiser la lutte dans des réseaux planétaires où se construira la loi internationale du futur..."
Tu appréhenderas de ton côté les luttes et la révolution avec une autre finesse de résolution en amont de toute création/résistance juridique en échaffaudant une voie d'action et d'émancipation.
Tu écriras :"le surgissement de la démocratie devient synonyme de naissance de la politique prise au sens fort du terme, de ce moment où sont suspendus, comme l’indique Jacques Rancière, « les titres naturels à dominer » et où l’être humain peut s’affirmer en toute liberté puisqu’en participant à part entière à la vie politique, il échappe à l’ordre de la nécessité en se donnant les moyens de définir lui-même les lois auxquelles il aura à obéir..."
Et encore cet autre propos remarquable sur le pouvoir, les sans parts, le sens fondamental finalement de la démocratie politique : "(...) Tel est le scandale constitutif de la démocratie : le pouvoir n’est fondé ni sur l’argent (pouvoir des nantis), ni sur la naissance (pouvoir des bien nés), ni sur l’expertise (pouvoir des savants), en fait il n’est fondé sur rien. Il n’appartient en droit à personne et donc appelle aux surgissements de ce que Rancière appelle les « sans-parts », c’est-à-dire ceux et celles qui ne sont pas comptés, pas pris en compte, puisqu’ils ne sont ni bien nés, ni bien nantis, ni compétents..."

Q- « Le pouvoir de l’égal sur l’égal » jaillirait entre ces espaces de pure dissidence et de pure création politique. Tu proposes cependant une échappée "hors-les-lois" par l'immanence... Explique, en soi serait le passage conduisant vers l'aube nouvelle de la démocratie politique ? Le "pouvoir de l'égal sur l'égal" ?



Réponse 7/14

Justement non, je ne le crois pas. Je m’appuie sur certaines thèses, très fortes, de Rancière pour que l’on oublie pas que dans la tradition grecque, la découverte de la démocratie recèle un caractère éminemment subversif, dans la mesure où elle rompt en termes conceptuels –de manière radicale—avec les pouvoirs du sang, de l’argent et de l’expertise.
La démocratie prise au sens plein du terme serait donc une déviation plus qu’une transition, une rupture plus qu’une lente évolution. Et je crois qu’il ne faut pas avoir peur de rappeler de telles vérités à une époque où l’on ne fait que parler de démocratie (c’est le régime politique hégémonique par excellence), tout en en foulant l’essentiel aux pieds : cette idée du pouvoir de l’égal sur l’égal.
Les démocraties « de basse intensité » ou sous tutelle militaire en Amérique latine (ou peut-être plus près de nous le pouvoir exorbitant des marchés financiers) nous le rappellent sans ambiguïté aucune. Ceci dit, je crois que cette approche reste insuffisante, surtout si on la pense à l’aune des efforts menés aux temps présents par les couches populaires ou la société civile d’en bas pour tenter justement d’ouvrir de nouveaux espaces démocratiques. C’est ce qui explique cette utilisation que je fais de certaines thèses de Gramsci concernant la conquête ou plutôt la reconquête nécessaire –de la part des couches populaires-- d’une contre-hégémonie pour le 21ième siècle, car l’approfondissement de la démocratie ne peut pas qu’être synonyme de « surgissement » brutal et instantané des sans-parts.
Ce n’est que dans la durée qu’au 20ième siècle (globalement entre 1917 et 1970), les couches populaires (syndicats, mouvements sociaux, partis de gauche, États dits socialistes, etc.) ont pu gagner peu à peu des espaces sociaux et politiques grandissants à l’échelle du monde. C’est ce que j‘ai appelé –dans le sillage des thèses de Gramsci-- un mouvement ascendant de contre-hégémonie des classes populaires. Un mouvement qui d’ailleurs s’est brutalement affaissé durant les années 80 à la faveur du grand basculement du monde évoqué précédemment. Et ce n’est donc que dans la durée qu’on peut imaginer son redémarrage en ce début de 21ième siècle.
C’est un peu l’horizon dans lequel nous devrions –me semble-t-il-- penser les luttes sociales et politiques d’aujourd’hui : comment faire qu’elles aident à la relance de ce nouveau mouvement ascendant d’hégémonie pour le 21ième siècle ?
Ceci dit, on ne peut jamais mettre sur le même plan une démocratie sous tutelle (militaire ou internationale) telle que de nombreux régimes latino-américains ont pu en endosser les oripeaux pendant les années 90-2000, avec une dictature militaire. Pour avoir vécu (et travaillé comme journaliste) sous un régime dictatorial (Chili), il m’est facile de mesurer les différences et d’opter bien évidemment pour une démocratie sous tutelle, aussi imparfaite par ailleurs soit cette dernière (les droits individuels, aussi réduits soient-ils par ailleurs, ne sont en rien inutiles). Le problème, c’est plutôt de vouloir en rester à ce seul stade, ou de s’en contenter, considérant que c’est là, comme on dit en québécois « le boute du boute ». Les expériences Vénézuélienne, équatorienne et bolivienne récentes, semblent indiquer qu’on peut dépasser ce stade (en s’inscrivant justement dans la rupture, mais à partir de nouvelles modalités) et ainsi initier peut-être un nouveau cycle historique de luttes infiniment plus prometteurs.


Question 8/14

Observons la question précédente sous un autre angle. Le droit et les lois nous prouvent tous les jours leur déloyauté, leur inefficace social. Slavoj Zizek, Jacques Rancière, Yves Charles Zarka, Giorgio Agamben le disent avec force avec tant d'autres.
Il y a le pouvoir judiciaire d'un côté et "le Pénal" ... "histoire des peines du peuple"... Les uns, les vaincus, sont bien sources de "nos valeurs" défendues par ces autres là, les amis progressistes qui combattent les standards de la psychologie juridique que les conservateurs ne veulent plus changer.
L'enjeu des marchés et des pouvoirs, ici, est évident : isoler les états de conscience pathologiques que les règles de droit font surgir dans l'individu, rechercher les lois de leur apparition, de leur affaiblissement, analyser les complexes que le droit fait naître pour, au final, constituer des "types humains" du point de vue juridique.
Une telle démarche - en faveur des marchés et des pouvoirs - coupe court à tout jaillissement démocratique, et convie, après castration, à ne plus donner les moyens au peuple de définir lui-même les lois auxquelles il aura à obéir...

Q- Ici résiderait le mécanisme de la "puissance défigurée" dont tu parles ? Un mécanisme implacable qui conduira l'humanité aux catastrophes interdisant toute émancipation et toute réconciliation de l'homme avec lui-même (stalinisme, nazisme, fascisme, impérialisme, juridicisation du politique, néolibéralisme, etc...) ?


Réponse 8/14

Oui bien sûr le politique comme puissance émancipatrice a été confisqué (j’en ai évoqué le côté tragique au tout début de cet entretien), et plus particulièrement depuis le 11 septembre, mais je ne partage pas le point de vue d'Agamben pour autant sur « la vie nue » et ses rapports avec la politique d’exception.
À ce niveau, je serai beaucoup plus proche de celui –plus fidèle à la réalité politique empirique, me semble-t-il-- de Rancière. Car même après le 11 septembre, même après la multiplication de lois d’exception dans les pays du Nord et même si nous ne vivons pas dans de véritables démocraties (ça c’est évident !), il me paraît difficile d’affirmer que nous vivrions dans « des camps », comme semblent le supposer certains auteurs qui nous voient tous soumis à la loi d'exception du gouvernement biopolitique.
Comme le dit Rancière, nous vivons plutôt « dans des États de droit oligarchique, c'est-à-dire dans des États où le pouvoir de l'oligarchie est limité par la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles ». Et cela est en termes stratégiques ou pratiques, loin d’être négligeable, car on se laisse ainsi la possibilité d’occuper certains espaces (existant effectivement aujourd’hui encore), justement pour tenter de participer à cette relance de ce mouvement ascendant de contre-hégémonie dont j’ai parlé.


Question 9/14

Parlons de la "puissance impuissante". Tu écriras au chapitre des "points de repère pour agir..." : " (...) nous étions confrontés, de façon éminemment contradictoire, à la puissance de la production techno économique humaine en même temps qu’à une notable impuissance sociale, politique et culturelle. Et tout notre essai a cherché jusqu’ici à comprendre pourquoi cette contradiction prenait aujourd’hui une forme si exacerbée, littéralement schizophrénique !"
Tu consigneras également dans ce chapitre essentiel et tragique ce que, selon moi, tout moderne devrait méditer matin et soir : "(...) la puissance humaine a fini par se muer en un pouvoir de plus en plus contraire à la vie humaine, c’est aussi parce que cette puissance, tout en se déployant, n’a cessé d’approfondir cette scission sociale historique de fond : tout en s’affirmant d’un côté à travers le pouvoir matériel et spirituel grandissant de petites minorités possédantes, la puissance humaine s’est d’un autre côté, défigurée et appauvrie, en se retournant – par le biais de mécanismes d’exploitation et de domination spécifiques – contre des multitudes d’êtres humains dépossédés...."
Tu échaffauderas pour combattre ce fléau "les conditions d'une autre puissance", d’un contre-pouvoir plus établi dans les besoins... faut-il dire de "l'urbanité qui tue" et qui mute - 80% de la population seront en effet concentrés dans les cités numérisées, biométrisées, bancairisées et "cablées sans fils" en 2050 (FAO).
Pour aider notre "homme-monde" en crise tu dis pouvoir renouer avec une authentique puissance sur la base d'une critique génétique des textes de Gramsci (1891-1937) et de Benjamin (1899-1944).
Un bond dans le passé qui semble indispensable d'autant que Gramsci et Benjamin subiront la double hégémonie nazie et fasciste sur un champ de misère anti sémite et anti rouge alors qu'en sous-main opèreront : révolutions industrielles, financières et bancaires publiques et privées.
"Arrogant" modèle de gestion allemand de la reconstruction, arrogante automation/automatisation, qui inciteront les banques et les industriels français du nord-est à une sorte de "collaboration concurrentielle" sur le marché des "puissances impériales" (françaises, allemandes, britanniques, italiennes), mais aussi amorce des méthodes de gestion américaines non moins arrogantes dans les rapports internationaux - business sans complexe, politique gouvernementale et non gouvernementale inféodée aux banques de commerce privées bellicistes américaines, autoritaires, dominatrices, despotes des plans Dawes et Young jetant au fond dès1942 (débarquement US en Afrique du Nord) les bases du néolibéralisme contemporain, du fascisme de la globalisation et de l'hégémonie américaine...
Il sera intéressant de rappeler, ici, ce n'est pas sans lien avec notre propos sur la responsabilité des puissants que c'est précisément sous le régime de Pétain en septembre 1940 que le fallacieux concept de "P-DG d'entreprise" verra le jour (Loi Bouthillier) afin d'accroître la responsabilité de ce dernier. Il s'agira en fait de livrer à la classe ouvrière en colère quelques patrons cumulards (en termes de présidences et de sièges d'administrateurs de sociétés) irresponsables pénalement en cas de faillite.
Il conviendra, en fait, de protéger les gros actionnaires collabos vichystes et les "intérêts français" sans toucher au pouvoir et à la "puissance allemande" (soutenue par une nuée de collabos américains hypercapitalistes) tout en désarmorçant toute possibilité de révolte ouvrière.

Q- Tu dis cependant à la lueur des fondamentaux gramsciens et benjaminiens (points de repères pour agir) que nous pouvons croire en l'émergence d'un pouvoir alternatif et constituant véritable, d'un "Nous" résistant capable de s'opposer socialement et politiquement aux projets des classes dominantes... Peux-tu introduire, ici, les conditions de cette autre puissance ?


Résponse 9/14

Oui penser à la constitution d’un mouvement ascendant de contre-hégémonie qui prendrait la relève de celui du 20ième siècle (s’étant au cours des années 80 littéralement effondré), c’est bien évidemment chercher en même temps à ne pas reproduire les terribles erreurs qui ont été, en partie tout au moins, responsables de son si brutal délitement. Et à ce niveau, bien sûr, je fais référence au stalinisme, aux dégénérescences bureaucratiques auxquelles il a présidé ainsi qu’aux phénomènes totalitaires dont il a été à la source. Reconstruire un mouvement ascendant d’hégémonie pour le 21ième siècle, c’est bien entendu reconstruire un pouvoir social et politique véritablement alternatif, un authentique contre-pouvoir donc, et de manière plus générale une puissance émancipatrice collective qui échapperait à tous ces si funestes travers.
Dit d’une autre manière, il s’agit d’affronter, en cherchant à la dépasser, cette fameuse « puissance impuissante » qui caractériserait le développement de nos sociétés contemporaines. Car cette puissance (technoscientifique) apparemment si impressionnante qui les caractérisent est doublée d’une impuissance tout aussi manifeste au niveau social et politique, puisque nous nous trouvons de plus en plus dans l’impossibilité d’orienter positivement le devenir collectif des sociétés auxquelles nous appartenons (qu’on songe à la récente conférence de Copenhague !).
D’où le cours mortifère du monde que nous connaissons ! Et si cette impuissance politique est si présente, nous le devons en partie tout au moins, aux formidables échecs qu’ont représentés les expériences des pays dits socialistes et qui ont installé, non seulement un sentiment d’impuissance collective chez tant d’entre nous, mais aussi l’idée que toute transformation de type socialiste mène nécessairement à une dictature.
D’où d’ailleurs cette formule d’Ana Esther Cecena que je trouve très stimulante, puisqu’elle évoque la nécessaire constitution pour l’avenir d’une hégémonie paradoxale, « d’une hégémonie des non hégémonies ». Mais c’est là la description d’un point d’arrivée, ou mieux dit d’un objectif sur le long terme.
Ce qui me semblait important c’était aussi de penser comment l’atteindre? J’ai ainsi essayé d’avancer et de développer l’idée « de rupture démocratique ». J’entends par là cette idée de combiner étroitement les exigences de la rupture (avec le capitalisme et son mode de vie « civilisationnel » ainsi qu’avec les classes qui en promeuvent le modèle) et celles de la démocratie, c’est-à-dire d’une rupture qui ne soit pas seulement l’œuvre de quelques-uns, mais d’un peuple en marche, totalement partie prenante du processus.
D’où cette idée qu’il faut non seulement chercher à « prendre le pouvoir » (gouvernemental et d’État), mais aussi « l’exercer » (partout (sur les lieux de travail, à l’école, à la maison, dans son quartier, etc.). Ces deux exigences, contrairement à ce que certains peuvent penser (influencés en cela par les thèses de Foucault sur les micropouvoirs) ne sont pas antithétiques, mais au contraire doivent être étroitement combinées : seule manière de faire émerger des sociétés post-capitalistes sur un mode authentiquement démocratique.


Question 10/14

Tu cites en introduction Mahmoud Darwich (décédé en août 2008) qui se définissait comme le poète des “vaincus”...
Tu mets toutefois en exergue : "Alors je prends la main de Maintenant/Pour marcher à la lisière de l’histoire/Et éviter le temps cyclique(...)" ...
A l'instar du poète tu te défends du temps cyclique... temps cyclique qui fait écho à ton concept tragique de :" retour de la guerre infinie comme mode de gestion des conflits". Cet enchaînement cruel condamnerait le présent et les hommes à supporter l'arbitraire des puissants sans possibilité de changement...
La modernité en effet n'échappera pas au temps systémique/cyclique des statisticiens au service des sciences cognitives et des super-computers des pouvoirs institutionnalisés, de la guerre globale et du Big Business civil et militaire. Depuis le scellement des accords de Bretton Woods (1944) et la mise en place des nouvelles structures financières et bancaires internationales dont la Banque Mondiale "pour lutter contre la pauvreté" (1945) l'on en comptera beaucoup de ces statisticiens.
Robert MacNamara théoricien fou de la guerre du Vietnam et assassin financier à la tête de la Banque Mondiale de 1968 à 1981 sera l'un d'entre eux au service de la lutte anti-communiste, de l'extermination des ethnies minoritaires, des autonomies ennemies du libre-échange planétaire.
MacNamara révèlera pour noyer ses remords (tant de tués à lui seul) que le XXième siècle voué à "la paix mondiale par le commerce mondial" (slogan IBM, maison mère de Deutsche Hollerith Maschinen Gesellschaft "Dehomag" fabriquant de la machine automatique Hollerith pour le recensement racial, la spoliation, l'extermination des juifs en Allemagne dès la prise de pouvoir de Hitler; IBM-Dehomag équipementier comptable de Autschwitz, Dachau, Buchenwald vendra de 1933 à 1945 des milliards de cartes perforées au IIIème Reich et dans toute l'Europe occupée) comptera 160 millions de tués lors des conflits, soit plus de deux fois le nombre des tués des deux guerres mondiales...
Darwich, poète militant palestinien, souhaitera éviter le temps cyclique, prendre le passé et l'histoire en main,...
Il souhaitera agir et rebâtir. Il écrira :"J'ai du travail à faire sur la géographie des volcans/De la désolation aux ruines/Du temps de Loth à celui de Hiroshima/Comme si je n’avais encore jamais vécu/Avec une soif qu’il me reste à connaître..."

Q- Pourquoi ce choix de poème ? Cette question n'est pas évidente car tu as rajouté en bas de page une note emblématique, une phrase réellement terrible que je restitue dans son intégralité : "...Il (Darwich) se définit comme un poète troyen, de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre leur propre défaite"... Une phrase qui rendrait son engagement dans le temps contradictoire et qui nous ramènerait malgré tout aux malheurs des temps passés.
Ici le poète dessinerait une autre voie, celle de la prudence, née d'un talent prospectif de visionnaire ou de prophète. "Ce qui vient" serait incertain et peut être même tragique, conforme à sa vision de poète troyen mutilé...


Réponse 10/14

Un poème est toujours ultimement sujet à de multiples interprétations, porteur d'une richesse de sens que celui qui l'écoute ou le lit pourra reprendre à sa manière. Je ne prétends nullement en posséder l’ultime sens, et encore moins imaginer que mon livre lui est de part en part fidèle.
Ce qui m’a touché dans ce poème, c’est bien sûr la référence à tous les malheurs qui peuvent peser aujourd’hui sur le monde et ses vaincus (pour parler comme Benjamin), et plus particulièrement sur la Palestine, mais c’est en même temps aussi cette idée qu’il faut prendre « la main de Maintenant Pour marcher à la lisière de l’histoire Et éviter le temps cyclique ».
Je voyais là une nouvelle illustration des thèses de Benjamin : l’importance du temps présent, la volonté de relancer l’histoire sur d’autres bases, loin de celle des vainqueurs, et cela à partir de toutes les aspirations des vaincus.
Plus encore j’y ai cru déceler cette idée (qui hantait tout mon livre) : si la vie se caractérise par le devenir, et les vivants par leur capacité à se renouveler aux temps présents, eh bien oui il faut éviter, comme la peste, le temps cyclique, celui de la répétition et du « Même » !
D’ailleurs la critique très claire qui est faite du capitalisme historique dans mon livre, débouche ultimement sur cette idée de la vie et de son renouvellement. Non seulement « perdurer dans son être », mais encore se renouveler de part en part : tel est le propre même de la vie, de la vie en générale comme de la vie humaine en particulier.
Comme collectivité humaine, le capitalisme nous a enfermés dans un mode de développement qui n’a cessé de devenir chaque fois plus mortifère, avec aujourd’hui le fait que nous sommes sur le point d’atteindre des seuils de non retour notamment en termes d’équilibres écologiques, justement parce que ce mode de production et d’échange nous a empêchés et nous empêche aujourd’hui de nous renouveler (en nous interdisant de rester ouverts à d’autres possibles), c’est-à-dire ultimement de rester vivants. En ce sens là, lutter aujourd’hui contre le capitalisme, c’est lutter pour la vie.


Question 11/14

Au chapitre traitant du "Capitalisme historique" tu consigneras entre "l'appauvrissement des productions culturelles et symboliques humaines" et "l'étiolement des espaces de libertés individuelles" un titre et un texte très importants : "le retour de la guerre infinie comme mode de résolution des conflits" , je souhaite y revenir...
L'épidémiologiste Les Roberts, dis-tu, comptabilisera, je force ici à dessein l'expertise comptable, 650 000 morts lors de la guerre Irakienne (chiffre probablement, encore une fois, inférieur de moitié à la réalité) soit, selon lui, l'équivalent de six "911" par mois et pendant 3 ans...
"À travers l’émergence de ces nouvelles guerres, écris-tu encore, c’est donc, non pas le retour effrayant de la barbarie (le règne de la pure violence, de la non-loi) qui se fait brutalement sentir, mais l’installation subtile de celle-ci dans le quotidien et la durée, une barbarie jugée nécessaire dont on a fini par consentir à ce qu’elle ait fait son nid au creux même des sociétés humaines. Ce qui nous amène à fermer ainsi la porte à toute tentative de résoudre les conflits par le biais de la négociation et de la diplomatie, et bien évidemment à toute approche minimalement préventive en la matière !"
Il semble, en effet, conformément aux doctrines civiles de l'OTAN - qui insiste sur l'importance des "exercices intellectuels" pour sensibiliser le monde scientifique et le grand public - et à la sociologie militaire américaine que la "civilisation de la guerre" ait pris le pas comme tu dis sur les moyens traditionnels et nous ait tous surpris...encourageant, par le fait, la "puissance impuissante sociale" autrement...
C'est également un fait la mutation anthropologique de notre société urbanisée fait déjà l'or des marchés... Les capitalistes poussent le monde à la débacle. Les crises économiques et financières sont montées de toute pièce par les patrons spéculateurs - stratégiquement, contre "eux-mêmes" et leurs clients - comme si le système, l'ordre noir de la concurrence, cherchait réellement à se régénerer, renversant impitoyablement et autoritairement l'ordre des choses...
Du reste, la doctrine des spéculateurs les plus à la pointe des exigences de "l'ordre" se résumera à ces slogans des mercenaires capitalistes Doug Casey et Bud Conrad, experts libertariens américains des marchés de l'or, des métaux précieux, de la monnaie, des valeurs industrielles, et à ce titre parfaits représentants de la "puissance primitive qui tue" celle des "petits spéculateurs" des classes moyennes :" let the power of the trend do the work for you"... "the economic crisis offers unlimited opportunity if you knwow where to look"... ou encore :" use the chaos at your advantage !..."
Le résultat est effrayant, alors que l'on persécute les peuples en Colombie, au Honduras, à Chagos-Diego Garcia, au Zimbabwe, au Nigéria, en Chine, en Mongolie, en Russie, en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, en Inde, en Israel pour vendre sans taxe quelques articles de bureaux, des films pornos, des armes, des bananes, des robots ou des jouets à des enfants gâtés, vos placements par téléphone sur le marché de l'uranium, du soja, du cuivre, du maïs, de la viande de porc, de la pharmacie ou de l'or vous rapporteront en une journée, en une heure, en une minute - et au regard des fuseaux horaires - en une seconde, des gains allant de 1000% à 6000%.

Q- J'aimerais savoir, sans sortir de notre sujet, action et émancipation, comment tu traites cette notion d'ubiquité si essentielle au business global et aux guerres couplées aux nouveaux indices d'accélération/expansion, de mutation, de vitesse, si évidents, par exemple, dans la forme, le language et les performances des nouveaux jouets filmés anticonspirationnistes, antiterroristes et darwinistes hollywoodiens ?... L'ubiquité capitaliste, résolument évolutionniste, implique-t-elle une approche nécessairement holistique des luttes ?


Réponse 11/14

La notion d’ubiquité, je la place bien entendu dans les formes nouvelles que prend le déploiement capitaliste et mondialisé contemporain. Elle est ainsi –à sa manière-- un des phénomènes qui appartiennent au grand basculement du monde déjà évoqué.
D’où nous viennent ces apparentes possibilités d’ubiquité, nouvelles et fascinantes ? Elles nous viennent des développements techniques, et plus particulièrement des développements informatiques nés de la révolution technologique des TIC. D’où soudainement cette possibilité que nous avons –habitants du village global-- de nous trouver ici et là, par le biais d’Internet et des grands médias électroniques (CNN, etc.) apparemment au creux d’un même espace/temps.
Alors qu’auparavant j’aurais dû faire l’expérience de l’inéluctable distance en prenant le temps de me déplacer et rejoindre un autre lieu que celui où je me trouvais, voilà qu’il semble possible d’être là-bas instantanément, tout en étant aussi en même temps ici : par exemple voir en direct –et cela depuis le fauteuil de mon salon-- le séisme haïtien ; connaître avant les Haïtiens eux-mêmes l’ampleur exact du drame, etc. Expériences apparemment formidables, expressions pourrait-on dire de possibles à peine imaginables il y a peu, elles n’en recèlent pas moins des côtés fort problématiques dans la mesure où une fois encore, ces techniques et possibles s’inscrivent dans un contexte d’ensemble dont on ne peut pas faire abstraction.
Non seulement parce que ces techniques ne sont pas le lot de tous et toutes et exigent une indispensable infrastructure matérielle et technique (ordinateurs, réseau de téléphones, satellites, énergie, etc.) dont la propriété et l’orientation d’ensemble sont fortement monopolisées, mais encore parce que leurs manifestations contemporaines dominantes se sont bien évidemment coulées dans le moule des exigences capitalistes (les logiques de la marchandisation, de la mise en spectacle du monde, de la concurrence acharnée, de l’individualisation grégaire grandissante de l’être humain et du contrôle à la Big brother, etc.) vis-à-vis desquelles le commun des mortels n’a pratiquement aucune prise.
Elles posent ainsi directement –outre le problème de la surveillance généralisée-- le problème de la mise à distance de notre propre vécu individuel par une nouvelle scène collective (la scène médiatique), en somme par des systèmes de représentation qui tendent à reproduire et à imposer un ordre de valeurs qui ne correspond pas ou plus à notre vécu immédiat. D’où l’utilisation spontanée que nous sommes amenés à en faire : incertaine et pleine d’ambiguïté, souvent très contradictoire.
Gunther Anders dans L’obsolescence de l’homme a mis à ce propos très bien en évidence comment ces pouvoirs nouveaux qui nous sont ainsi devenus disponibles peuvent provoquer ce qu’il appelle « un décalage prométhéen », c’est-à-dire l’émergence –dans le sillage du développement technique contemporain-- de différenciations grandissantes et périlleuses entre certaines de nos facultés humaines traditionnelles : celles par exemple d’avoir les moyens de détruire en un instant une ville (avec la bombe H) et par ailleurs d’avoir les moyens d’en imaginer les véritables effets sur ses semblables (ces centaines de milliers de victimes, leurs souffrances, etc.). Nous renvoyant par là même à l’impérative et difficile tâche de surmonter ce décalage.
De façon moins dramatique, et en nous référant tout simplement au développement de la communication par Internet, nous pourrions nous poser le même genre de question : comment affronter les conséquences de ce nouveau rapport au temps et à l’espace que nous commençons à expérimenter par son intermédiaire (avec un temps se contractant et un espace se dilatant) ? Comment par exemple s’ouvrir chaque fois plus aux « cyberespaces » du monde contemporain, tout en ne prêtant pas flanc à un contrôle grandissant à la Big Brother ? Ou comment, être proche de ceux qui se trouvent à l’autre bout du monde, en n’étant pas en même temps absent à ceux en chair et en os qui se trouvent à côté de nous, et vice-versa ? Et comment y parvenir sans faire abstraction de notre matérialité (faite de chair et de sang) qui reste qu’on le veuille ou non, notre horizon premier ? Car qu’aurait-on gagné d’un côté, si c’est pour perdre tant de l’autre ! Sans rejeter a priori de tels modes de communication, on ne peut pas non plus ne pas réfléchir aux problèmes qu’ils entraînent, et plus particulièrement dans le contexte si déterminant du capitalisme historique!
On voit néanmoins le problème que cela pose en termes politiques, car la politique est précisément l’art de maîtriser le pouvoir né de l’existence d’un « nous » se constituant dans un espace donné (l’État nation par exemple) et un temps donné (telle ou telle échéance, tel événement, etc.). Or –dans le sillage du déploiement capitaliste néolibéral-- le développement de ces nouvelles technologies brise toutes les frontières traditionnelles en la matière, ajoutant à la confusion et à la désorientation qui est déjà la nôtre. Comment contrecarrer un pouvoir financier tentaculaire qui peut déplacer en quelques secondes des milliards de dollars et ainsi punir à sa guise un État récalcitrant, en spéculant contre lui ?
L’État nation tout comme les traditionnels rythmes politiques qui sont les siens, paraissent ainsi bien désajustés vis-à-vis des enjeux spatiaux et temporaux contemporains, installant –comme dit Daniel Bensaïd— des discordances de temps particulièrement déstabilisantes. D’où d’ailleurs en contre partie la nécessité de se hisser à la hauteur de ces nouveaux défis.
Les réseaux altermondialistes sur Internet sont bien sûr une première réponse, mais ils restent à l’heure actuelle totalement insuffisants. Car c’est la difficulté centrale : contrairement à ce que pensent des gens comme Tony Negri et Michaël Hardt (voir Empire), tout en entrant dans un monde beaucoup plus globalisé et très différent du passé, nous n’avons pas cependant complètement quitté le monde de la modernité, c’est-à-dire à celui de l’existence encore déterminante, et de nations constituées, et de rivalités impérialistes, et du travail matériel, et de valeurs qui leur sont consubstantielles, etc.
En somme, même si la post-modernité frappe à nos portes, elle ne règne pas en maîtresse et se combine sur le mode de la mosaïque aux formes plus classiques de la modernité qui n’ont pas pour autant disparu et perdurent toujours sous nos yeux. Ainsi, la façon dont la crise financière globalisée s’est brutalement déclenchée, nous a rappelé comme jamais que la valeur de la richesse financière la plus virtuelle avait toujours, à un moment ou à un autre, à rendre des comptes avec la richesse matérielle la plus élémentaire, c’est-à-dire avec le fait bien terre à terre qu’ultimement c’est le travail qui crée de la valeur.
Il reste donc aujourd’hui à penser à une stratégie qui soit capable –sur le mode de la recombinaison-- de prendre en compte les dimensions si éclatées de notre époque, de manière à en faire émerger une stratégie ad hoc capable d’être à la hauteur ce ces enjeux. D’où cette nécessité de parvenir à unir comme jamais, intervention locale et intervention globale, actions plus traditionnelles au sein de l’État nation (et pas simplement au niveau local), et action plus novatrice au sein du capitalisme mondialisé d’aujourd’hui, anciens comme nouveaux mouvements sociaux, etc. Et le mouvement altermondialiste a beaucoup de chemin à faire dans ce sens là… Au-delà même des limites de l’expérience vénézuélienne et du contexte dans laquelle cette initiative a été récemment lancée par Hugo Chavez, l’idée d’une cinquième internationale (perspective issue justement de la tradition de la modernité), capable de penser la coordination des luttes à l’échelle du monde contre le néolibéralisme conquérant, me paraît fort stimulante !


Question 12/14
Evaluation décroissante de la maîtrise capitaliste criminelle immanente de la vitesse et de l'ubiquité
Vitesse et ubiquité feront dire encore à l'armateur français Louis Dreyfus et à son mentor le banquier Rothschild :"nous investissons au son du canon, et non à celui du violon"...
Un tel standard de l'action capitaliste signifie en contrepartie, au regard de la cohérence paradoxale de l'immanence, que chaque conférence menée par un théoricien classique de la révolution dans un pays riche et industrialisé aura pour conséquence l'éxecution d'un chef militaire d'un groupe révolutionnaire armé (pas nécessairement le sien), d'un groupe syndicaliste socialiste ou paysan, de dissidents, d'expropriés, de migrants ou d'opposants... à l'instant où "les tensions des marchés" - "nos efforts de civilisation", diras-tu - commanderont arbitrairement un BDI (Baltic Dry Index)* à 12000 à 5000 comme à 3500, à 1000, ou en dessous.

La maîtrise capitaliste immanente de la vitesse et de l'ubiquité - qui induit qu'il n'existe qu'un seul mode de réalité le mode de production capitaliste excluant la transcendance divine et l'autonomie sociale, que tout est réductible à l'acte capitaliste "comme un tout" - conduit bien à la maîtrise non moins immanente, numérique et téléphonique des "tensions des marchés", un simple appel GSM suffit, et à la maitrise, par conséquence, des pouvoirs répressifs et contre-insurrectionnels dans le temps réel des marchés, quasiment maîtrisés algorithmiquement, de l'investissement et de la spéculation, du profit.

Observons encore "nos efforts de civilisation", si tu veux bien, sous l'angle de l'emblématique BDI.
Le BDI - gospel des sociétés minières multinationales - était à 12000 en juin 2008 au seuil de la très prévisible débacle mondiale; il chutera à 820 en novembre de la même année.
Cette chute de tension de 93% annoncera la flambée des prix alimentaires et sanitaires de base dans les pays pauvres largement amorcée par la titrisation du baril de pétrole non extrait (baril à 150$), l'éclatement de la bulle immobilière et la crise des subprimes, l'explosion du commerce frauduleux des produits financiers dérivés - spéculation sur les Swaps garantie par la FED au monde riche, émergent et pauvre, pour le financement de prêts invisibles budgétairement pour le renflouement fictif des déficits publics -, l'effondrement en série, également prévisible, des places boursières, etc...
A bien regarder nous avons affaire à un régime d'exception spéculatif délinquant (un tout capitaliste résolument criminel) échappant au contrôle public très largement entretenu par les besoins inquantifiables, sinon avec toutes les réserves d'usage par le BDI, des transporteurs, des armateurs multinationaux "manne du commerce mondial".
S'en suivront peu après la débâcle de juin 2008, souviens toi, des vagues d'attentats et de répression sur tous les continents ce n'est toujours pas terminé et ce ne sera pas terminé avant longtemps.

Le BDI atteindra son plus bas niveau en janvier 2009 à 797... il remontera à 1574 en avril. Le BDI était attendu par les experts maritimes et bancaires (Goldman Sachs) à 5000 tout au long de l'année 2009, hors ce dernier ne décollera plus des 3000/3500. Au 20 août 2009 il s'effondrera à 2614.
Entre 797, 3500 et 2614 s'installera une phénoménale tension de relance du système bancaire et financier international - reproduction, avec les conclusions qui s'imposent, de la sanglante marche forcée de 1939 qui conduira à Bretton Woods en 1944 - sans que l'économie réelle, en ruine aujourd'hui, puisse espérer un quelconque rebond.
La crise du crédit et du transport maritime international est bien liée à la crise américaine, le chat se mort toujours la queue, irrémédiablement lestée par la politique inflationniste de création monétaire de la FED - support de nouvelles vagues spéculatives planétaires sur les taux -, à l'explosion des déficits US, de 400% à 1000% fin 2009, aux désastres des plans Paulson/Obama de renflouement des grandes banques "lésées" déclanchant de nouveaux foyers régionaux de tensions et de conflits sociaux, civils, militaires, de nouvelles menaces inter-frontalières au nom de la lutte anti-terroriste, anti-pirate ou anti-drogue (1)...

Le résultat est déplorable : attentats sanglants en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, insurrections-CIA en Chine populaire en pays Ouighours ou au Tibet, assassinats du chef présumé d'al Qaida au Pakistan, du fils de Ben Laden, attentats de supposées filières d'al Qaida en Afrique subsaharienne, attentats du groupe ETA en Espagne, effondrement économique du Zimbabwe et remise en question du rôle des banques centrales, restauration de l'or, regain de violences ethniques au Kenya et dans les pays producteurs d'or et de diamants en RDC, en Angola, en République centre-africaine, au Botswana, en Zambie, en Ouganda, occupation des eaux latinoaméricaines par la flotte américaine, conflits religieux sanglants au Nigéria, résurgence du nazisme dans les villages hongrois, aux pays baltes, au Caucase et en Ukraine, crise calédonienne, kidnapping du président Zelaya au Honduras et retour des méthodes de répression de Reagan/Negroponte, mondialisation du virus H1N1, militarisation mondiale des routes maritimes énergétiques...

Une lecture diachronique des faits dans le temps (lecture des évolutions/transformations des indices, du commerce transnational, des conflits sociaux, des guerres et des crises spéculatives, de la transformation graduelle du language, des images et des jouets) profilera une authentique guerre mondiale sous une forme inédite avec sa contre-partie sociale planétaire dramatique et sanglante... Une guerre lisible par les seules "variations" de quelques indices planétaires et dont les principaux supports dynamiques demeureront entre les mains des "maîtres de conquête" pour le renflouement des classes moyennes - le système globalisé doit impérativement nourrir sa minorité riche (classes moyennes) et non comme il est cru toutes les populations "civilisées".
Ces "maîtres" apparaîtront au coeur des deux guerres mondiales précédentes et pour les plus anciennes dynasties capitalistes au coeur des guerres coloniales et des conflits sociaux les plus violents; indissociables encore une fois de l'appropriation exclusive, par une minorité riche, des transports des ressources planétaires et du stockage dans le sillage des révolutions techno-industrielles, financières et bancaires du XIXème siècle.

Notons ici, au chapitre des "révolutions" techno-industrielles, financières et bancaires du XXIème siècle, que le premier navire hybride solaire/pétrole de l'histoire de la marine marchande a été lancé en août 2009 (4ième voyage en fait) - le BDI sera à 3400 le 1er, à 2614 le 20 - pour transporter des voitures japonaises vers les Etats-Unis; pays en situation de faillite (48 Etats sur 50 étant en déficits budgétaires croissants) tandis qu'1 américain sur 8 reçoit une aide alimentaire.
Solaire qui devait équiper/soulager en priorité mondiale, rappelons le, les ménages des pays les plus pauvres et émergents; l'on mange toujours des biscuits à base d'argile en Haïti, plus que jamais après le séisme de janvier 2010, tandis que deux ampoules solaires japonaises équipent les cuisines et les toilettes hybrides de vos cases... Image symbolique des vaincus humiliés et des leaders insurrectionnels tués ou corrompus par les "primitifs urbains" des pays riches.

Symptomatique encore que ce navire géant l'"Auriga Leader" - primitif par sa taille, à l'image des trois arches du film "2012" évacuant après un tsunami planétaire un fragment d'humanité, des véhicules de sport et le staff scientifique du Stay Behind américain - appartienne à la compagnie maritime Nippon Yusen K.K. (NYK) pilier du BDI; qu'il soit le fruit des tensions de la crise (de la titrisation de l'endettement des ménages américains les plus modestes, de la captation - par les firmes les plus puissantes - des énergies alternatives et du commerce des produits financiers dérivés qui envahissent aujourd'hui le Japon) et des investissements à long terme des multinationales NYK, Nippon Oil Corporation et Toyota.
Des multinationales qui prépareront du reste sur la base moraliste néocon de l'endettement perpétuel - désormais seul mode de réalité et acte capitaliste comme un tout - , et au fond, des "biens sociaux premiers" (ces choses que tout homme est supposé désirer sans l'aide du socialisme ou de la décroissance) de John Rawls*, une invasion automobile sans précédent (aux Etats-Unis et en Europe); ce malgré le fiasco de la Prius hybride lestée, pour le moins, de 50kg de cuivre mongol siphonnés sur des concessions vastes comme le Japon ou l'Italie par le prédateur canadien Ivanohe Mines.

Les "experts" prévoient donc pour 2010 un BDI annuel à 2015. Le paradoxe de l'enrichissement/endettement perpétuel nourrit une fois de plus la prévision suivante... Le "business global" de 2010 sur la base du BDI en berne accusera une chute vertigineuse de 84% par rapport à juin 2008.
Un effondrement qui devrait se traduire par de phénoménaux "efforts de civilisation/transformation planétaires" ou de phénoménaux coups de canons "tenseurs de marchés" (dreyfusiens/rothschildiens) sur cent ans (2) (3). Le président Obama, nobel du mensonge, perpétue bien pour l'instant la tradition du bal sanglant ouvert par GW Bush II...
Les peuples pauvres n'auront donc pour ainsi dire aucune chance de recouvrir en un temps humain acceptable leur autonomie économique - malgré la propagande de la grande convergence des "BRICs 2050" ( Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Chase Manhattan, FMI ou Banque Mondiale ) -, ou leurs habitudes culturelles, alimentaires, sanitaires, pas plus qu'ils n'auront les moyens de financer leurs pertes dans les trente ans ou même dans les cinquante ans... Quid des résistances et des dissidences.

Q- La question qui me vient tout naturellement à l'esprit puisque nous évoluons dans le double champ des "tensions de crise" - dont les stratèges (philosophes, religieux, politiques, capitalistes) disent qu'elles sont éminemment immanentes; les ennemis de l'Empire diront eux-mêmes :" Le pouvoir de l'Empire est en effet un pouvoir totalement construit dans l'immanence" (Négri/Hardt) - et de la philosophie de l'action et de l'émancipation à l'heure, écriras-tu dans "Philosopher...pour rester vivants!" où la moindre action individuelle semble être porteuse de conséquences globales, concernera précisément la cohérence paradoxale de la sagesse immanente.
- Comment, car il y a urgence, "faire" jaillir cette sagesse immanente paradoxale et l'articuler au sein de la guerre psychologique et spéculative rendue/voulue ubiquitaire par l'économie néolibérale du bien être et néoeugéniste du "bien naître" (pays riches) perfidement légitimée d'un point de vue éthique par les "biens sociaux premiers" (les droits, les libertés et les possibilités offertes à l'individu, les ressources et les richesses, les bases sociales du respect de soi-même) de la théorie de justice libérale de John Rawls ?

* Notes aux lecteurs
1- Baltic Dry Index : indice des prix pour le transport maritime en vrac des matières sèches : minerais, charbon, métaux, céréales. Il est établi sur une moyenne de prix pratiqués sur 24 routes mondiales de transport. Il indique les grandes tendances du marché financier, des taux d'intérêt et oriente les demandes de crédit pour financer les transports de matières sèches.

2- John Rawls : Notons ici que la catégorisation théorique des biens sociaux de Rawls date de 1971, qu'elle semble s'emboiter parfaitement dans le plus vaste système d'exploitation de l'homme par l'homme, bien que n'étant pas formellement appliquée elle est lisible partout... John Rawls écrira ce propos célèbre : "(...)Il ne faut pas distraire notre perception morale en pensant aux personnes distantes de nous et dont le sort suscite la pitié et l'inquiétude" .
Cette même année 1971 le gouvernement américain signera l'abandon de la convertibilité en or du dollar... Rawls et Nixon, chacun de son côté et pour des motifs différents, inaugureront l'ère des anarques aux bons du Trésor, des déficits publics et des endettements records désormais bases sociales du respect de soit-même et possibilités offertes à l'individu...
Aux bases sociales et aux biens sociaux premiers rawlsiens (autre tradition universaliste expression de l'hégémonie)... s'agrègent les pouvoirs omnipotents des marques (des multinationales) et les fausses valeurs sociales de la globalisation insolvable, retour à l'or (1), autre valeur refuge et aspect du temps cyclique et de ses correspondances politiques homicides et liberticides. (Courrier à Pierre Mouterde 30/01/2010 et extrait de "Verrouiller l'accès au temps réel " C. Pose, 24/11/09)


Réponse 12/14

C’est justement l’intérêt d’auteurs comme Marx, Nietzsche, ou Freud, ils nous permettent – par les déchiffrements radicaux qu’ils nous ont amenés à faire dans les domaines qui sont les leurs—de rapidement situer la fécondité ou la nouveauté de telle ou telle théorie contemporaine. Et cela encore aujourd’hui !
Ainsi les thèses de Marx nous permettraient, me semble-t-il, d’assez bien percevoir à la fois les points forts comme les limites mêmes de l’approche de John Rawls. Ce dernier en effet –au-delà même du succès de son ouvrage majeur Théorie de la justice--- reste encore dépendant d’une problématique pré-marxiste, quelque part de type kantien, c’est-à-dire n’ayant pas dépassé le cadre de l’idéalisme méthodologique. Certes il nous permet –en des temps difficiles hantés par le déploiement néolibéral—de mener en termes théoriques un raisonnement rigoureux sur la justice et sur les critères formels qui devaient être les siens. Il nous permet ainsi de faire apparaître le côté éminemment déraisonnable de l’organisation des richesses contemporaines. Et cela n’est pas négligeable dans un contexte où le discours néolibéral est si omniprésent.
Dire par exemple qu’une société ne peut être « bonne » si elle n’est pas en même temps « juste », en vient à délégitimer bien des discours utilitaristes, si omniprésents qu’ils semblent couper court à toute réflexion digne de ce nom. En ce sens, l’approche de Rawls possède une évidente utilité.
Ceci dit, le fond de son approche reste, me semble-t-il, très dépendant des limites mêmes de la tradition libérale. Le problème en effet, ce n’est pas de faire, par exemple de la liberté, un principe idéologique cardinal (après tout, pourquoi pas ?), mais de se demander comment « en pratique », cette dernière pourrait s’actualiser pour tous et toutes, et ne pas en être réduite –comme elle l’est aujourd’hui dans tant de pays-- à être « dans les faits » le cache sexe d’une domination de classe par ailleurs dévastatrice (le pouvoir des nantis).
Péguy disait de Kant que, s’il avait « les mains pures », il n’avait cependant « pas de main », mettant en ainsi en lumière que le problème clef, au niveau éthique est celui de l’actualisation pratique de valeurs auxquelles on prétend se référer. J’aurai envie de dire que c’est un peu la même chose pour Rawls.
Le problème réside moins dans le portrait qu’on peut se faire de la justice idéale, que dans la manière dont on se donnerait les moyens pour la rendre effective. Et là, impossible de faire l’économie d’une analyse empirique du cadre sociale et économique dans lequel on se trouve ainsi que des acteurs et des intérêts collectifs à partir desquels cette justice pourrait prendre corps et se déployer. Mais, on le voit, la démarche est tout autre : on ne part pas du monde des idées –aussi belles soient-elles par ailleurs—mais de la réalité empirique (plus exactement pratique), par conséquent des hommes et des femmes réels (mus par les positions sociales qui sont les leurs ainsi que par des intérêts donnés) qui constituent aux temps présents les forces effectives à partir desquelles on pourrait accoucher ou non d’une société plus juste. Cela évidemment change tout de la problématique et des problèmes théoriques concernant la justice qu’il resterait, bien évidemment, à approfondir !


Question 13/14

Après avoir lu ton propos sur les "traditions universalistes" j'en déduis que l'aveuglement général, et donc la cruauté, sont inévitables, plus encore si l'on descend dans les conditions génétiques de leurs manifestations.
Tu écriras en effet ces quelques lignes édifiantes :"les traditions qui s’offrent le plus facilement à nous et qui prétendent à l’universalité la plus grande sont, dans les faits, le fruit d’une « hégémonisation » (domination) du monde..."
En 2008 John Negroponte confirmera au micro de Charly Rose ton édifiante analyse. Il révèlera en effet le rapport hégémonique qui lie l'expansion américaine dans le monde à l'expansion du bouddhisme tibétain en Asie, en Afrique, en Europe, aux Etats-Unis, en Russie....
Un bouddhisme tibétain (hégélien en exil) qui - comme le bouddhisme zen heideggerien - se voudra une philosophie opportuniste traditionaliste de la vie, et du vivant, en fait l'expérience révèlera le contraire, ce sera plutôt une philosophie de la mort, une ouverture sur le Réel par la mort réaliste du sujet, de son moi sensible, psychologique et juridique, une "ontologie de la mort"- coeur de la pensée heideggerienne, écriras-tu, en montrant les dangers de cette pensée qui nourrit "l'être pour la mort" -, et non une religion (qu'elle est pourtant sitôt reconstituée dans son enfermement théocratique et territorial héréditaire, en exil comme au Tibet).
Très tôt cependant cette philosophie de l"être pour la mort" dévoilera ses ambitions politiques : être reconnue comme une force philosophique et politique globale anti-socialiste et non, comme une philosophie politique pour l'action et l'émancipation de "l'être pour la vie".
Le message sera encore plus clair quand le XIVème Dalai Lama annoncera qu'il ne voudra plus de la "charité du droit humanitaire (de "l'être pour la vie").... puisque sans qualités politiques" (archives du Dept. D'Etat américain).
Le résultat ne se fera pas attendre quand le gouvernement indien négociera l'exil des colonies tibétaines en Inde sur la base de la formation de 400 ingénieurs nucléaires indiens aux Etats-Unis afin de produire la première arme atomique indienne.
Une fois élaborée elle portera le nom de "Bouddha souriant" laissant la part belle à l'atomisation des sujets, victoire, une fois de plus, de "l'être pour la mort".... ("La CIA sponsor du Dalai Lama", J.P. Desimpeleare).
John Negroponte symbole de l'hégémonisation sanglante du monde dira quelques années plus tard dans le prolongement de ce grave évènement :" les tibétains doivent assumer leur responsabilité. Il n'est pas question de les laisser faire n'importe quoi dans le jeu des relations internationales, faire du business à l'export comme çà leur plaît, ramasser de l'argent et les laissez libre ensuite de faire tout ce qui leur passe par la tête..." (avril 2008, arch. Dept. d'Etat américain).
Il ne fera que confirmer ce que ses pairs anti-communistes (CIA, Pentagone, affaires étrangères, USAID, NED) mettront au point dès les années 1968, 1963, 1951.
Ces extraits d'archives du Ministère des Affaires Etrangères américain sont, du reste, de parfaites illustrations de ta proposition sur les traditions universalistes en tant qu'expression de l'hégémonistaion du monde :"(...)The CIA Tibetan Activity consists of political action, propaganda, and paramilitary activity. The purpose of the program at this stage is to keep the political concept of an autonomous Tibet alive within Tibet and among foreign nations, principally India, and to build a capability for resistance against possible political developments inside Communist China...At a 13 December 1963 meeting "The Special Group approved the continuation of CIA controlled Tibetan Operations..." (CIA, DCI (McCone) Files, 9/1/1964.)
"The CIA Tibetan program, parts of which were initiated in 1956 with the cognizance of the Committee, is based on U.S. Government commitments made to the Dalai Lama in 1951 and 1956. The program consists of political action, propaganda, paramilitary and intelligence operations..." ( US Dept of state-CIA, 26/1/1968)
Le tibétologue belge Jean Paul Desimpeleare notera que la situation des bouddhistes tibétains étaient déjà la même au XIIIème siècle quand ces derniers collaboraient et servaient les mongols Khans... ("La connexion mongole au Tibet, une relation de "maître spirituel" à "maître protecteur", Bruxelles, juillet 2009).
Par bien des côtés ces forces réhabilitent le temps cyclique des "vainqueurs" dont tu dépeindras les aspects mortifères.

Q- Que t'inspire l'émergence de la philosophie bouddhiste tibétaine* "ouverture sur le Réel" en tant que fruit de l'hégémonisation du monde ?

Notes aux lecteurs
* Le Dalai Lama sera payé près de 20 ans durant par la CIA pour "lutter" contre l'expansion du socialisme en Asie et dans le monde, ses frères sont du reste toujours au service de la CIA et à la tête du gouvernement tibétain en exil. Certains lamas de la secte bouddhiste nyingmapa seront au service de Himmler et de l'Ahnenerbe SS culture par excellence de "l'être pour la mort" dès 1938 (les camps sont ouverts depuis 5 ans), afin de dynamiser le mythe SS de la "race aryenne" et de repousser les bolchevicks en Russie extrême orientale... Le XIIIème Dalai Lama reconnaîtra, du reste, l'importance de "Mein Kempf" pour le peuple allemand !
* Liste noire de douze opposants d'origines diverses au Dalai Lama : Slavoj Zizek, Michael Parenti, Danielle Bleitrach, Michel Collon, Dominico Losurdo, Jean Paul Desimpeleare, Elisabeth Martens, Patrick Hutin, Jean Luc Mélanchon, Vittorio et Vittoria Trimondi, Vattimo Gianni, Christian Pose, qui circule depuis plusieurs années sur le web. Une occasion pour moi de souligner, une fois de plus, les dangers de la balkanisation néolibérale de la Chine populaire.
Cette liste est l'oeuvre de "tibet-doc.org" (page "Vigilance"), un site universitaire de tibétologie et de propagande défendant la politique anti chinoise du gouvernement américain pour l'indépendance du Tibet et du Turkestan oriental; les animateurs-traducteurs de ce site sont très probablement proche du NED/CIA. Lire sur ce point "De l'intolérance bouddhiste" d'Elisabeth Martens et la note de bas de page "La guerre médiathique" de JP Desimpeleare).


Réponse 13/14

Oui ce dont tu parles à propos du bouddhisme thibétain me ramène à une idée qui m’est chère : la globalisation néolibérale a entraîné d’évidents effets de métissage qui a première vue pourraient paraître tout à fait intéressants : voilà par exemple que mes étudiants peuvent se référer à Jésus-christ comme étant un dieu tout en croyant à la réincarnation et aux prédictions de Nostradamus ; ou alors dans un tout autre registre voilà que les grandes compagnies multinationales n’hésitent pas à s’adapter à la culture locale de telle région lointaine, paraissant même métisser leurs langages ou leurs slogans pour mieux vendre leurs propres produits.
Mais une fois encore pour apprécier la véritable portée de ce métissage, il faut partir du tout et non de la partie, et ce qui détermine la valeur potentielles de ces métissages si à la mode, ce n’est pas la partie, ce n’est pas le fait qu’on puisse retrouver des traces attrayantes d’autres cultures au sein du discours globalisé d’aujourd’hui, c’est le fait qu’ils s’inscrivent dans le cadre du capitalisme global et dans sa volonté de marchandisation généralisée. Et si bien sûr il serait souhaitable de parvenir à une culture humaine véritablement métissée, prenant en compte la richesse de la diversité culturelle de l’humanité, on voit bien cependant comment aujourd’hui on est loin de cet objectif. Plus que jamais cette idée de Benjamin, concernant le retour des aspirations et valeurs des vaincus à travers un changement radical du cours de l’histoire, reste pertinent. Car l’universalité qui nous est proposée aujourd’hui est celle des vainqueurs, et les formes de métissage qui s’imposent aux temps présents restent fondamentalement les leurs. Elles se sont constituées sur des ruines et sont réduites à n’être que les traces de richesses oubliées et défaites.
Au Canada, cela a pris le nom de « multiculturalisme » et a eu pour conséquence de mettre entre parenthèses les droits à l’autodétermination des peuples autochtones mais aussi du peuple québécois lui-même.
Maintenant sur la question très précise du bouddhisme thibétain, je ne suis pas sûr d’avoir tous le éléments pour y répondre adéquatement, notamment parce que je connais peu les formes différentes qu’au fil de l’histoire le bouddhisme a pu prendre dans cette région.
Bien sûr le bouddhisme thibétain n’a rien de cette religion angélique que l’image du Dalaï Lama –exilé à Daramsahla et accompagné d’intellectuels européens renommés convertis au bouddhisme comme Mathieu Ricard— tend à faire prospérer aujourd’hui. Et cela d’autant plus facilement que cette image édulcorée fait facilement recette en notre Occident désenchanté où tous les repères foutent le camp et où un certain bouddhisme (avec sa compassion a-religieuse et son art de vivre) peut facilement apparaître comme cette sagesse que nous n’arrivons plus à trouver aujourd’hui chez nous.
Aussi semble-t-il nécessaire –comme tu le fais si clairement, je crois—de rappeler au public d’ici la dimension indéniablement théocratique du bouddhisme thibétain traditionnel (et partant anti-démocratique) ainsi que toutes les implications géopolitiques fort discutables auxquelles le Dalaï Lama s’est dans les 40 dernières années bien évidemment prêté. Ceci dit, le rôle de l’État chinois et de son parti communiste stalinisé ne me paraît pas non plus exempt de critiques. Loin de là ! Car les politiques répressives (et d’assimilation) qu’il a déchaînées, non seulement contre un pouvoir religieux aux allures bien souvent féodales, mais en même temps et surtout contre tout un peuple, aux riches traditions culturelles, ne me paraissent guère émancipatrices et compatibles avec un communisme qui serait pensé comme dépassement véritable du capitalisme. C’est le moins qu’on puisse dire, surtout quand on sait que ces politiques ont été menées au nom d’une conception de la nation (dominante) et du progrès (technologique) des plus discutables, loin en tout cas de toute authentique politique d’intégration, d’ouverture et de tolérance. Et à ce niveau, je ne pense pas que l’excuse de la présence active de la CIA et de son rôle déstabilisateur soit un argument suffisant pour clore tout débat à ce propos, et surtout s’interdire d’imaginer d’autres politiques possibles à l’égard du peuple thibétain. Surtout en 2010 où la Chine aurait toute la puissance nécessaire pour se payer le luxe d’être un peu plus magnanime en la matière. Donc, ni le Dalaï lama, mais ni non plus la Chine populaire (reconvertie depuis aux vertus du capitalisme) : comme jamais, il faut éviter de penser en s’enfermant dans les termes de débats préfabriqués qui nous empêchent de réfléchir à des dépassements possibles.


Question 14/14

Je terminerai cet entretien par ton propos sur "Les penseurs du soupçon : la puissance démystifiée..." - essentiel à tous les défenseurs de l'émancipation, de l'arrière-pays et des villes:
"(...) qu’il s’agisse de Marx, de Nietzsche, de Freud, on retrouve le même souci de redonner force à l’être humain, de l’aider à affronter sur la base de ses propres moyens et ressources :
- les maux qui le mutilent (l’exploitation, l’aliénation marxiste),
- le domestiquent en enrayant la vie (le nihilisme nietzschéen)
- ou le rendent malade (la névrose et le conflit psychique freudien)...."
Je retrouve dans ces trois points de tension les bases de notre aliénation, celle qui conduira notamment à l'adhésion forcée des masses aux traditions universalistes ou aux marchés néolibéraux que promotionnent du reste les philosophes au dessus de tout soupçon, anti socialistes et "francmaçonnisés" : Onfray, BHL, Lyotard, Glucksman, Comte Sponville, Ferry; ceux qui n'oseront jamais remettre en question le mode de production capitaliste.
Il est inacceptable cependant, il y va de notre condition d'homme ou de femme, que le leg des "vaincus", déterminant pour la vie, n'ait d'égal que son contraire celui des "vainqueurs" (primitif qui tue), moteur de la civilisation occidentale...
J'ajouterai ici, revenons en arrière, que le dernier film Avatar dont tu parleras plus haut reflète bien tes trois causes de mutilation puisqu'au fond "les vainqueurs" (US marines/rangers) sont à la fois détruits par les indigènes forestiers, "difficult to kill" selon le commandant des troupes d'assaut au service d'une compagnie minière, et "derniers hommes" sous l'apparence d'un "refusenik", infirme locomoteur, asphyxié et brisé, effondré dans les bras d'une "belle bleue géante à la longue tresse indienne" - seul lien pour la locomotion animale à deux "mind to mind" -, dans les profondeurs de la jungle hostile...
Dans Avatar la communication avec les créatures indigènes passe par la création de créatures artificielles (à l'image des indigènes): "les avatars", lachés dans la forêt primitive et pilotés par l'esprit des marines /rangers depuis des caissons individuels hermétiques bases arrières de "l'infiltration cognitive" des peuples indigènes. Si les créatures virtuelles de l'industrie hollywoodienne tuent les soldats au service des mines et du Pentagone elles préservent et dynamisent toutefois le principe d'adhésion politique et militaire au néolibéralisme planétaire en sauvant un vétéran infirme "l'homme de conscience et de confiance" (il y aura toujours des héros puis des vétérans mutilés et brisés au combat pour la juste cause) sous une forme paradigmatique; le refusenik prend le parti des groupes dissidents, des indigènes.
Le néolibéralisme demeure malgré tout maître des images et du discours émancipateur : "il n'y a pas d'action et d'émancipation politique sans de nouveaux codes de soumission", sans succomber, ici, à la belle bleue virtuelle à la longue queue, maîtresse absolue du destin du marine brisé et de la noble cause. Le principe de l'infiltration cognitive anticonspirationniste des dissidences (dans le film le refusenik lié par l'esprit, la technologie de l'avatar, aux indigènes) peut ainsi se répandre dans le monde... C'est du reste l'objet, aux Etats-Unis, de l’Office of Information and Regulatory Affairs (Bureau de l’Information et des Affaires réglementaires de la Maison Blanche); ce dernier a bien pour tâche de dynamiser l’« infiltration cognitive » des groupes alternatifs qui mettraient en oeuvre des « théories de conspiration » comme celles entourant, par exemple, le 11 septembre.
Du constat philosophique et politique "le néolibéralisme est maître des images et du discours" naîtrait ton propos sur la nécessaire immanence et les luttes, holistiques; leur objet : l'émancipation politique réelle du sujet...
Pour mieux comprendre le développement tu n'hésiteras pas à corser les choses en te livrant à une critique génétique de Marx, Nietszche, Freud, à remettre en question nos universaux, décelant, ici et là, des erreurs et des imperfections qui remettront en cause intégralement ou en partie leurs travaux; des erreurs que trahiront les évènements majeurs de notre temps et qui affecteront tous les hommes, toutes les communautés. Derrida prendra ton parti, avec, contre, au delà, mais pas sans... "Marx", tu rajouteras, Nietzsche et Freud.

Q- Peux-tu revenir sur nos trois universaux et aborder ce point si important - qui est la clef de voûte de ta philosophie politique - : "redonner force à l'homme, l'aider à affronter les maux qui le mutilent"... ?


Réponse 14/14

Marx, Nietzsche, Freud, appartiennent à cette grande tradition occidentale universaliste à laquelle je me réfère, mais dont on ne peut pas ne pas faire le bilan intransigeant. Car s’il y a quelque chose d’éminemment positif à essayer de tendre vers l’universalité –en ne se contentant pas de vérités parcellaires ou régionales et en étant donc toujours prêt à se questionner sur ses propres savoirs pour les élargir— la grande tentation reste toujours d’imaginer qu’avec soi, cette universalité tant cherchée serait proche d’être atteinte. Universalité de vainqueurs, en somme !
C’est ce à quoi conduit un certain hégélianisme (voir l’idée de fin de l’histoire reprise par Fukuyama) ou même un certain marxisme vulgaire, sans parler de certaines des affirmations de Nietzsche ou de Freud sur l’ampleur de leurs propres découvertes et qui aujourd’hui font plutôt sourire.
Il ne s’agit donc pas de se référer à ces trois auteurs sur le mode dogmatique, imaginant qu’ils auraient dit le dernier mot sur tel ou tel domaine de savoir, mais bien plutôt de les concevoir comme des passages obligés, pour mieux parvenir à penser l’aujourd’hui.
On ne peut en effet comprendre leur questionnement sans les resituer dans leur propre contexte philosophique et surtout dans le mouvement dynamique de l’histoire de la pensée européenne. Et s’ils paraissent encore importants aujourd’hui pour nous, c’est qu’à l’encontre d’une tradition idéaliste (ou bien pensante) toujours extrêmement présente, ils ont soulevé des questions véritablement centrales dont nous ne sommes pas complètement encore sortis, aujourd’hui en ce début de 21ième siècle.
La preuve sans doute, on la trouve dans le nombre de penseurs contemporains qui d’une manière ou d’une autre ne cessent d’y faire –directement ou indirectement référence. Qu’on songe simplement au retour en vogue des travaux de Marx après la récente crise économique et financière. Après tout, les maux qu’ils dénonçaient respectivement comme mutilant l’être humain (la société de classe, le nihilisme décadent, les malaises de la civilisation) ainsi que les facteurs qui en auraient été à la source (l’exploitation capitaliste, la domination des « petites gens » ou les conflits psychiques névrotiques ) sont toujours là et pourrait-on dire plus que jamais là. À condition évidemment qu’on accepte de les lire sur la base d’une approche de type rationnel et critique !
Certes les transformations qui se sont finalement effectuées en leur nom, ont donné lieu –en termes pratiques—à ce qu’il faut bien appeler des catastrophes (voir le socialisme réel, ou bien la volonté de puissance nazie, ou encore l’institutionnalisation conservatrice de la psychanalyse), installant ainsi un voile souvent opaque entre les fécond efforts d’interprétation qui étaient les leurs (et donc les avancées qu’ils représentaient par rapport à leur propre tradition) et les résultats souvent si contre productifs auxquels ils paraissaient avoir abouti et qu’on continue à brandir comme des épouvantails quand on évoque leur oeuvre.
Mais là encore, c’est l’idée de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et de reprendre patiemment le chemin qu’ils ont suivi, en cherchant à déchiffrer –par delà les expériences traumatisantes qui se sont faites en leur nom—leurs propres limites et points aveugles, mais aussi leurs points forts. Car évidemment tout penseur, est toujours penseur d’une époque, marqué au fer rouge par les caractéristiques de celle-ci.
Impossible ainsi de ne pas voir qu’il reste quelque part chez Marx, ne serait-ce que les traces d’une apologie du progrès ou chez Nietzsche celles d’une vie inquiétante et brutale, ou encore chez Freud d’un naturalisme aujourd’hui dépassé ! Mais impossible non plus de ne pas voir comment tous les trois ont su mettre le doigt sur quelques-uns des maux centraux qui hantaient leur époque et partant continuent à hanter la nôtre ! C’est en ce sens là qu’ils représentent –au prisme de leurs questionnements croisés—une sorte de vaste chantier théorique qui est encore le nôtre et auquel il nous reste à nous colleter, envers et contre tout !
Raison de plus, pour te remercier Christian de ce longue entretien. Il n’y a rien de plus important aujourd’hui que de parvenir à échanger, par delà les cultures et les pays, les horizons les plus divers, à l’échelle du monde. Et pas simplement avec ceux qui mènent un travail académique classique ou traditionnel, mais aussi et surtout avec tous ceux et celles qui sont concrètement engagés dans des luttes pour le changements social et qui le font à partir d’horizons idéologiques radicalement autres, en étant à leur manière à la pointe de toutes les expérimentations en la matière.
Tout savoir n’est qu’un chemin, et il n’est de savoir véritable qu’à la condition d’appeler à d’autres savoirs, d’y être disponible, s’ouvrant ainsi au renouvellement et par conséquent à plus de vie et de fécondité. Puisse cet échange montrer tout le travail de clarification et d’élaboration qu’il reste à mener, pour comme jamais rester des vivants aux temps présents.
(Fin de la seconde partie)


Pierre Mouterde interview 1 Yajirushi



   Les pages concernantes....
    [ 1 ]    Japon : Reforme, Grande Fusion de Heisei, Dissolution
    [ 2 ]    LIBERTES et ACTIONS CIVILES ET POLITIQUES NON VIOLENTES AU JAPON, Tableau national et Carte Regionale d'Ibaraki de la Grande Fusion de Heisei
    [ 3 ]    "DES BRIOCHES, DES EAUX ET DES CHOUX", Kusatsu et Tsumagoi
    [ 4 ]    "La Grande Fusion de Heisei s'oppose au futur du Japon !",  Hiroshi Itoh, maire de la ville de Kutchan, Hokkaido
    [ 6 ]    "Ce que chacun peut réellement faire ou être", ou évaluer la justice dans un contexte de décroissance, "YAMBA, le plus lourd fardeau des contribuables de l'histoire des barrages du Japon"



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