" (...)on ne peut jamais mettre sur le même plan une démocratie
sous tutelle (militaire ou internationale) telle que de nombreux régimes
latino-américains ont pu en endosser les oripeaux pendant les années
90-2000, avec une dictature militaire. Pour avoir vécu (et travaillé
comme journaliste) sous un régime dictatorial (Chili), il m’est
facile de mesurer les différences et d’opter bien évidemment
pour une démocratie sous tutelle, aussi imparfaite par ailleurs
soit cette dernière (les droits individuels, aussi réduits
soient-ils par ailleurs, ne sont en rien inutiles). Le problème,
c’est plutôt de vouloir en rester à ce seul stade,
ou de s’en contenter,..."
P. Mouterde
Pierre Mouterde >>
voir
Sociologue et professeur de philosophie, Pierre Mouterde est spécialisé
dans l'étude des mouvements sociaux en Amérique latine et
des enjeux relatifs a` la démocratie et aux droits humains. Il
a publié Quand l'utopie ne désarme pas, Les pratiques alternatives
de la gauche latino-américaine et ADQ : voie sans issue (avec J.-Claude
Saint-Onge), Repenser l’action politique de gauche et dirigé
l’ouvrage collectif L’avenir est à gauche aux Editions
Ecosociété.
Aimer Haïti…
Il est des événements qui par leur impact et les déluges
de réaction médiatiques qu’ils suscitent, forcent
à s’arrêter, obligent à « garder
la vue qui porte au loin ». Ne serait-ce que pour échapper
à la fascination des images qui tournent en boucle ou des émotions
brutes qu’elles emportent avec elles. Tel pourrait bien être
le cas du terrible tremblement de terre qui vient de dévaster Haïti.
Oui ! : garder la vue qui porte au loin; non pas pour oublier ou se détourner,
mais justement pour aimer, aimer mieux Haïti…
Cela ne veut pas dire évidemment qu’il faille s’enfermer
dans sa tour d’ivoire ou vaquer à ses occupations comme si
de rien n’était. À fortiori quand on a pu- ainsi que
j’en ai eu la chance—vivre en Haïti, participer à
ses rêves de seconde indépendance, travailler au Palais national.
Ce Palais national aujourd’hui défait, et dont les dômes
d’un blanc immaculé se sont brutalement effondrés,
broyant tout sous leur passage, jusqu’à ces vestiges de grandeur
et dignité qu’ils incarnaient envers et contre tout. Sous
fond de grisaille, de poussière et de dénuement, quel symbole
il continue à être !
À vivre en Haïti et à se confronter aux contradictions
que ce petit pays ne cessait de lui renvoyer, qui n’a pas fini par
s’y sentir profondément attaché ? Sous le soleil lumineux
du Sud, ce mélange d’insouciance et de tragédies,
de dignité et de défaites, de chaleureuses proximités
mais aussi d’incompréhensibles distances. Tout indissolublement
lié : « Haïti chérie » !
Plus de 50 000 morts, 80 % des édifices détruits, peut-être
un million de sans abris… la mort, la faim, la peur, comme titrait
à la une Le Devoir, il n’est pas difficile de se laisser
aller à imaginer…
Regard biaisé
Mais d’abord ce qu’il ne faudrait jamais oublier : ce
regard biaisé qui est le nôtre et duquel il est si difficile
de se déprendre; ici et maintenant, au prisme des images télévisuelles,
ce regard de « blancs », de « gens du
Nord » qui nous appartient en propre et qui n’échappe
que difficilement aux logiques institutionnalisées de la dépendance
et de l’inégalité. Qui resterait aveugle à
ce facteur déterminant ? Par exemple quand on réalise comment
René Préval, le président en exercice du pays, après
avoir lui-même échappé de près à la
mort, se retrouve à essayer de gérer un pays en état
de choc, du fond d’un petit commissariat de police, sans rien, sans
même l’aide de la Minustah, elle-même déstabilisée,
à la merci complète de la bonne (ou mauvaise !) volonté
de puissances étrangères. Ou quand on apprend que George
Anglade, ex ministre, en fut réduit à appeler sur son portable
des amis de Montréal pour qu’on vienne –en vain!--
le sauver sous les décombres de sa maison de Port-au-Prince. Ou
encore quand on découvre à peine deux jours après
la catastrophe que l’aéroport est passé tout naturellement
sous contrôle militaire américain. Sans même parler
de cette profusion d’images que seuls, depuis le Nord, nous avons
le privilège de multiplier et de faire circuler massivement. Comme
si la découverte de la réalité du malheur des Haïtiens
ne dépendait que du pouvoir virtuel de nos propres images. Si Haïti
est le pays le plus pauvre de l’hémisphère, s’il
est à ce point dépossédé de lui-même,
il l’est aussi parce que s’y sont perpétuées
–sous l’égide d’un colonialisme tenace et revanchard—d’implacables
politiques de dépendances économiques. Des politiques qui
durent encore aujourd’hui et qui expliquent pour une part non négligeable
l’état du pays… ainsi que –par contre coups--
la façon dont nous le regardons !Catastrophe naturelle ?
Une catastrophe n’est jamais une catastrophe en soi, et si ce tremblement
de terre est bien une catastrophe naturelle, avec ces 7 degrés
à l’échelle de Richter et son épicentre situé
à moins de 10 kilomètres d’une capitale de près
de 4 millions d’habitants, il n’en demeure pas moins qu’elle
est aussi indéniablement sociale et politique. Ses effets ont été
renforcés démultipliés par tout ce qu’était
déjà Haïti : économie exsangue, État
anémique, pauvreté endémique, infrastructures chancelantes,
etc.
Et qu’on n’aille pas, pour se dédouaner, nous dire
que si Haïti est restée pauvre, elle le doit surtout à
ses élites, égoïstes, rapaces et corrompues incapables
d’investir ou de s’impliquer généreusement dans
leur propre pays. Car si ces dernières sont effectivement de cette
eau et continuent à empiler outrageusement richesses et privilèges,
elles n’y sont parvenues que grâce aux complicités
actives des grandes puissances (USA, Canada, France, Brésil, etc.)
qui président d’une manière ou d’une autre au
destin de ce pays, très directement au moins depuis juin 1994,
lors du retour d’Aristide contrôlé par l’administration
étatsunienne de Bill Clinton.
Alors ne vous faites pas trop d’illusions quand même, si vous
voyez ce dernier –visage amène-- prendre en charge pour les
États-unis les secours à Port-au-Prince ! Et si l’on
peut bien sûr, vibrer à cette campagne spontanée d’aide
d’urgence à laquelle tant d’entre nous ont répondu
si généreusement, il reste à ne pas oublier les implacables
rapports de force sociopolitiques qui sous-tendent les intentions de nos
gouvernements. Certes Barack Obama met le paquet, poussé peut-être
en cela par ses origines africaines, mais il le fait aussi –real
politique oblige—parce qu’on craint aux USA comme la peste
ces « boat people » qui ne manqueraient pas de débarquer
massivement sur les côtes de la Floride et auxquelles il serait
bien difficile de refuser –dans de telles conditions—le statut
de réfugié.
La dépendance maudite
Et au-delà, que faire ? Devant une telle dévastation, tout
paraît devoir être reconstruit et les plus clairvoyants parlent
déjà d’une sorte de plan Marshall pour Haïti.
D’évidence, on aura besoin de moyens financiers considérables
dont, soit dit en passant, on se surprend à voir comment maintenant
on paraît soudainement les trouver, alors que dans le passé
tant de fois Haïti a frappé des murs à ce sujet. Mais
au delà, il reste à répondre à une question
autrement compliquée : comment profiter du défi de
la reconstruction pour briser cette dépendance maudite ? Car s’il
y a une malédiction, elle gît là et seulement là.
Au-delà même de cette aide d’urgence si vitale à
faire parvenir aujourd’hui, aider Haïti c’est en effet
s’attacher à promouvoir un type d’aide et de développement
radicalement différent. Un type d’aide qui voudrait rompre
avec la dépendance et chercherait moins à pactiser avec
les élites enrichies du pays qu’à s’appuyer
sur les formidables ressources d’un peuple oublié et appauvri.
Un peuple qui s’est jusqu’à présent toujours
senti « d’en dehors » justement parce qu’il
n’a jamais été vraiment pris en compte par ses élites
et les puissances occidentales. Comme s’il n’existait pas
! Lui qui pourtant n’a cessé de vivre et résister
dans un contexte si difficile, et aujourd’hui s’acharne à
survivre dans les conditions les plus tragiques. Oserons-nous faire confiance
à ce tissu d’organisations paysannes, syndicales, communautaires,
à ces ONGs de base qui n’ont cessé de se développer
en son sein et à partir desquelles il tente, depuis si longtemps,
de s’auto-organiser et de se faire entendre, d’exister tout
simplement ? Oserons-nous soutenir un développement pensé
à partir d’en bas, à partir de lui ? Oserons-nous
enfin ? Aimer Haïti, ce n’est rien d’autre que cela !
Pierre Mouterde
Québec, le 16 janvier 2010
Auteur de Apre bal tanbou lou, 5 ans de duplicité américaine
en Haïti (91-96), Paris, Austral 96 (en collaboration avec Christophe
Wargny); Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation,
Montréal, Écosociété, 2009.
La mort de Daniel Bensaïd
Il est toujours difficile d'apprendre la mort de quelqu'un dont on a été
au fil de tant d'années, intellectuellement proche. A fortiori
en cette période si particulière que nous connaissons aujourd'hui
où tous les repères idéologiques semblent se déliter
les uns après les autres. C'était ce qu'il y avait de fascinant
chez lui : cette capacité, loin du dogmatisme et de la langue de
bois, de maintenir un discours critique, et surtout d'y parvenir en cherchant
à combiner théorie rigoureuse et pratique politique concrète,
fidélité à un marxisme ouvert et souci scrupuleux
d'être à l'écoute de la réalité empirique.
Manière de maintenir vivante et actuelle l'idée de révolution,
en dépit de tous les désaveux de ce siècle; comme
une étincelle d'espérance ! C'est tout au moins ainsi que,
de loin, je me suis nourri de ses livres et ses articles.
Il se revendiquait du trotskisme et appartenait au courant de la 4ième
internationale dont il avait été pendant longtemps un dirigeant
très actif. Il avait été aussi membre de la Ligue
communiste française à la fondation de laquelle il avait
participé en 1969, avant d'être plus récemment très
impliqué dans la naissance du NPA. Mais ses engagements politiques
partisans --auxquels il tenait d'ailleurs plus que tout-- ne l'ont jamais
empêché de rester ouvert et attentif au renouvellement des
luttes sociales contemporaines, ni non plus de mener un travail théorique
non négligeable sur l'actualité de l'oeuvre de Marx. Philosophe,
enseignant à l’Université de Paris VIII, il a ainsi
participé à une relecture critique de Marx, permettant de
faire apercevoir --contre toutes les orthodoxies en la matière--
les tensions à l'oeuvre dans son oeuvre ainsi que les différentes
conceptions de l'histoire qui s'y côtoyaient. De quoi nous aider
à retrouver --sous les travestissements dogmatiques-- l'indéniable
fécondité théorique de l'auteur du Capital (la
mise à jour si éclairante des différents temporalités
et discordances économiques et politiques propres aux sociétés
capitalistes). Et du même coup, mettre en perspective les oeuvres
récentes de certains théoriciens critiques d'aujourd'hui
: Rancière, Négri, Badiou, Holloway, etc.
Plus que trotskiste -au sens strict du terme (il avait écrit récemment
un petit livre sur les trotskismes,) il incarnait, à travers la
trajectoire même de sa vie, la tradition de ce courant marxiste
révolutionnaire, engagé dans le devenir de la réalité
du monde. Comme si on ne pouvait pas être marxiste sans être
en même temps militant actif et internationaliste impliqué
directement dans le changements social et politique à l'échelle
de la planète.
De lui, quelques images me restent encore à la mémoire.
En 73, au moment ou la Ligue communiste était interdite et ses
dirigeants activement recherchés par la police du ministre de l’intérieur
d’alors: le repérer avec grande inquiétude dans un
café parisien alors que j'étais en quête d'un contact
clandestin égaré. Plus tard, au début des années
90 : l'entendre à la Mutualité, au fil d'un de ces discours
passionnés dont il avait le secret, nous rappeler que la chute
du mur de Berlin n'était pas un événement anecdotique,
qu'il allait tout changer pour la gauche et les révolutionnaires.
Et puis en Amérique latine : suivre sa trace et ses efforts, quelques
années plus tard, au Mexique, en Argentine au Brésil, au
fil de la renaissance d'oppositions révolutionnaires au développement
desquelles il avait activement participé, notamment au sein du
P.T. brésilien de Lula. Plus récemment, à Québec
: l'écouter plus d’une heure durant à la brasserie
« l'Agité » de Québec, lui qui était
pourtant miné par la maladie, tenir devant une salle comble un
discours d'une grande richesse sur les ravages humains opérés
par le néolibéralisme contemporain.
Même de loin, à 100 lieux parfois des réalités
théoriques ou politiques de la France, il est ainsi resté
une référence, un point de repère pour tous ceux
et celles qui aspiraient à un autre monde possible et voulaient
se donner les moyens concrets de sa réalisation. Au Québec,
en Amérique latine ! Non pas d'ailleurs sur le mode du disciple
fidèle, mais plutôt comme une invitation à penser
loin de toute tutelle, en tenant d'un même mouvement cette indispensable
mémoire du passé et la nécessité de son actualisation,
et surtout en préservant cette exigence de ne rien oublier des
leçons qui dorment dans l'histoire et dont il reste à nous
emparer, pour changer ici et maintenant le présent...
C’est en cela que pour moi, il restera vivant.
Pierre Mouterde
Québec, le 12 janvier 2010
|
Question 7/14
La juriste militante Monique Chemillier-Gendreau
qui pensera l'universel et l'en-commun écrira dans "Droit
International et Démocratie Mondiale, Les Raisons d'un Echec"
: "(il ne faut pas, ndlr) sous-estimer le triomphe de la liberté
remporté à travers chaque abolition....il serait (en effet,
ndlr) imprudent de savourer cette victoire sans avoir traqué, dans
tous les replis du droit et dans les relations sociales qu'il induit et
légitime, les ruses par lesquelles se construisent autrement des
formes équivalentes de privation de liberté et de rupture
d'égalité...
Vous voulez laisser un monde vivable derrière vous ? Alors, entrez
en résistance, passez vos nuits à essayer de comprendre
et vos journées à organiser la lutte dans des réseaux
planétaires où se construira la loi internationale du futur..."
Tu appréhenderas de ton côté les luttes et la révolution
avec une autre finesse de résolution en amont de toute création/résistance
juridique en échaffaudant une voie d'action et d'émancipation.
Tu écriras :"le surgissement de la démocratie devient
synonyme de naissance de la politique prise au sens fort du terme, de
ce moment où sont suspendus, comme l’indique Jacques Rancière,
« les titres naturels à dominer » et où
l’être humain peut s’affirmer en toute liberté
puisqu’en participant à part entière à la vie
politique, il échappe à l’ordre de la nécessité
en se donnant les moyens de définir lui-même les lois auxquelles
il aura à obéir..."
Et encore cet autre propos remarquable sur le pouvoir, les sans parts,
le sens fondamental finalement de la démocratie politique : "(...)
Tel est le scandale constitutif de la démocratie : le pouvoir
n’est fondé ni sur l’argent (pouvoir des nantis), ni
sur la naissance (pouvoir des bien nés), ni sur l’expertise
(pouvoir des savants), en fait il n’est fondé sur rien. Il
n’appartient en droit à personne et donc appelle aux surgissements
de ce que Rancière appelle les « sans-parts »,
c’est-à-dire ceux et celles qui ne sont pas comptés,
pas pris en compte, puisqu’ils ne sont ni bien nés, ni bien
nantis, ni compétents..."
Q- « Le pouvoir de l’égal sur l’égal »
jaillirait entre ces espaces de pure dissidence et de pure création
politique. Tu proposes cependant une échappée "hors-les-lois"
par l'immanence... Explique, en soi serait le passage conduisant vers
l'aube nouvelle de la démocratie politique ? Le "pouvoir de
l'égal sur l'égal" ?
Réponse 7/14
Justement non, je ne le crois pas. Je m’appuie sur certaines thèses,
très fortes, de Rancière pour que l’on oublie pas
que dans la tradition grecque, la découverte de la démocratie
recèle un caractère éminemment subversif, dans la
mesure où elle rompt en termes conceptuels –de manière
radicale—avec les pouvoirs du sang, de l’argent et de l’expertise.
La démocratie prise au sens plein du terme serait donc une déviation
plus qu’une transition, une rupture plus qu’une lente évolution.
Et je crois qu’il ne faut pas avoir peur de rappeler de telles vérités
à une époque où l’on ne fait que parler de
démocratie (c’est le régime politique hégémonique
par excellence), tout en en foulant l’essentiel aux pieds :
cette idée du pouvoir de l’égal sur l’égal.
Les démocraties « de basse intensité »
ou sous tutelle militaire en Amérique latine (ou peut-être
plus près de nous le pouvoir exorbitant des marchés financiers)
nous le rappellent sans ambiguïté aucune. Ceci dit, je crois
que cette approche reste insuffisante, surtout si on la pense à
l’aune des efforts menés aux temps présents par les
couches populaires ou la société civile d’en bas pour
tenter justement d’ouvrir de nouveaux espaces démocratiques.
C’est ce qui explique cette utilisation que je fais de certaines
thèses de Gramsci concernant la conquête ou plutôt
la reconquête nécessaire –de la part des couches populaires--
d’une contre-hégémonie pour le 21ième siècle,
car l’approfondissement de la démocratie ne peut pas qu’être
synonyme de « surgissement » brutal et instantané
des sans-parts.
Ce n’est que dans la durée qu’au 20ième siècle
(globalement entre 1917 et 1970), les couches populaires (syndicats, mouvements
sociaux, partis de gauche, États dits socialistes, etc.) ont pu
gagner peu à peu des espaces sociaux et politiques grandissants
à l’échelle du monde. C’est ce que j‘ai
appelé –dans le sillage des thèses de Gramsci-- un
mouvement ascendant de contre-hégémonie des classes populaires.
Un mouvement qui d’ailleurs s’est brutalement affaissé
durant les années 80 à la faveur du grand basculement du
monde évoqué précédemment. Et ce n’est
donc que dans la durée qu’on peut imaginer son redémarrage
en ce début de 21ième siècle.
C’est un peu l’horizon dans lequel nous devrions –me
semble-t-il-- penser les luttes sociales et politiques d’aujourd’hui :
comment faire qu’elles aident à la relance de ce nouveau
mouvement ascendant d’hégémonie pour le 21ième
siècle ?
Ceci dit, on ne peut jamais mettre sur le même plan une démocratie
sous tutelle (militaire ou internationale) telle que de nombreux régimes
latino-américains ont pu en endosser les oripeaux pendant les années
90-2000, avec une dictature militaire. Pour avoir vécu (et travaillé
comme journaliste) sous un régime dictatorial (Chili), il m’est
facile de mesurer les différences et d’opter bien évidemment
pour une démocratie sous tutelle, aussi imparfaite par ailleurs
soit cette dernière (les droits individuels, aussi réduits
soient-ils par ailleurs, ne sont en rien inutiles). Le problème,
c’est plutôt de vouloir en rester à ce seul stade,
ou de s’en contenter, considérant que c’est là,
comme on dit en québécois « le boute du boute ».
Les expériences Vénézuélienne, équatorienne
et bolivienne récentes, semblent indiquer qu’on peut dépasser
ce stade (en s’inscrivant justement dans la rupture, mais à
partir de nouvelles modalités) et ainsi initier peut-être
un nouveau cycle historique de luttes infiniment plus prometteurs.
Question 8/14
Observons la question précédente
sous un autre angle. Le droit et les lois nous prouvent tous les jours
leur déloyauté, leur inefficace social. Slavoj Zizek, Jacques
Rancière, Yves Charles Zarka, Giorgio Agamben le disent avec force
avec tant d'autres.
Il y a le pouvoir judiciaire d'un côté et "le Pénal"
... "histoire des peines du peuple"... Les uns, les vaincus,
sont bien sources de "nos valeurs" défendues par ces
autres là, les amis progressistes qui combattent les standards
de la psychologie juridique que les conservateurs ne veulent plus changer.
L'enjeu des marchés et des pouvoirs, ici, est évident :
isoler les états de conscience pathologiques que les règles
de droit font surgir dans l'individu, rechercher les lois de leur apparition,
de leur affaiblissement, analyser les complexes que le droit fait naître
pour, au final, constituer des "types humains" du point de vue
juridique.
Une telle démarche - en faveur des marchés et des pouvoirs
- coupe court à tout jaillissement démocratique, et convie,
après castration, à ne plus donner les moyens au peuple
de définir lui-même les lois auxquelles il aura à
obéir...
Q- Ici résiderait le mécanisme de la "puissance défigurée"
dont tu parles ? Un mécanisme implacable qui conduira l'humanité
aux catastrophes interdisant toute émancipation et toute réconciliation
de l'homme avec lui-même (stalinisme, nazisme, fascisme, impérialisme,
juridicisation du politique, néolibéralisme, etc...) ?
Réponse 8/14
Oui bien sûr le politique comme puissance émancipatrice a
été confisqué (j’en ai évoqué
le côté tragique au tout début de cet entretien),
et plus particulièrement depuis le 11 septembre, mais je ne partage
pas le point de vue d'Agamben pour autant sur « la vie nue »
et ses rapports avec la politique d’exception.
À ce niveau, je serai beaucoup plus proche de celui –plus
fidèle à la réalité politique empirique, me
semble-t-il-- de Rancière. Car même après le 11 septembre,
même après la multiplication de lois d’exception dans
les pays du Nord et même si nous ne vivons pas dans de véritables
démocraties (ça c’est évident !), il me
paraît difficile d’affirmer que nous vivrions dans « des
camps », comme semblent le supposer certains auteurs qui nous
voient tous soumis à la loi d'exception du gouvernement biopolitique.
Comme le dit Rancière, nous vivons plutôt « dans
des États de droit oligarchique, c'est-à-dire dans des États
où le pouvoir de l'oligarchie est limité par la double reconnaissance
de la souveraineté populaire et des libertés individuelles ».
Et cela est en termes stratégiques ou pratiques, loin d’être
négligeable, car on se laisse ainsi la possibilité d’occuper
certains espaces (existant effectivement aujourd’hui encore), justement
pour tenter de participer à cette relance de ce mouvement ascendant
de contre-hégémonie dont j’ai parlé.
Question 9/14
Parlons de la "puissance impuissante".
Tu écriras au chapitre des "points de repère pour agir..."
: " (...) nous étions confrontés, de façon éminemment contradictoire,
à la puissance de la production techno économique humaine
en même temps qu’à une notable impuissance sociale,
politique et culturelle. Et tout notre essai a cherché jusqu’ici
à comprendre pourquoi cette contradiction prenait aujourd’hui
une forme si exacerbée, littéralement schizophrénique !"
Tu consigneras également dans ce chapitre essentiel et tragique
ce que, selon moi, tout moderne devrait méditer matin et soir :
"(...) la puissance humaine a fini par se muer en un pouvoir de plus
en plus contraire à la vie humaine, c’est aussi parce que
cette puissance, tout en se déployant, n’a cessé d’approfondir
cette scission sociale historique de fond : tout en s’affirmant
d’un côté à travers le pouvoir matériel
et spirituel grandissant de petites minorités possédantes,
la puissance humaine s’est d’un autre côté, défigurée
et appauvrie, en se retournant – par le biais de mécanismes
d’exploitation et de domination spécifiques – contre
des multitudes d’êtres humains dépossédés...."
Tu échaffauderas pour combattre ce fléau "les conditions
d'une autre puissance", d’un contre-pouvoir plus établi
dans les besoins... faut-il dire de "l'urbanité qui tue"
et qui mute - 80% de la population seront en effet concentrés dans
les cités numérisées, biométrisées,
bancairisées et "cablées sans fils" en 2050 (FAO).
Pour aider notre "homme-monde" en crise tu dis pouvoir renouer
avec une authentique puissance sur la base d'une critique génétique
des textes de Gramsci (1891-1937) et de Benjamin (1899-1944).
Un bond dans le passé qui semble indispensable d'autant que Gramsci
et Benjamin subiront la double hégémonie nazie et fasciste
sur un champ de misère anti sémite et anti rouge alors qu'en
sous-main opèreront : révolutions industrielles, financières
et bancaires publiques et privées.
"Arrogant" modèle de gestion allemand de la reconstruction,
arrogante automation/automatisation, qui inciteront les banques et les industriels français
du nord-est à une sorte de "collaboration concurrentielle"
sur le marché des "puissances impériales" (françaises,
allemandes, britanniques, italiennes), mais aussi amorce des méthodes
de gestion américaines non moins arrogantes dans les rapports internationaux
- business sans complexe, politique gouvernementale et non gouvernementale
inféodée aux banques de commerce privées bellicistes
américaines, autoritaires, dominatrices, despotes des plans Dawes
et Young jetant au fond dès1942
(débarquement US en Afrique du Nord) les bases du néolibéralisme
contemporain, du fascisme de la globalisation et de l'hégémonie
américaine...
Il sera intéressant de rappeler, ici, ce n'est pas sans lien avec
notre propos sur la responsabilité des puissants que c'est précisément
sous le régime de Pétain en septembre 1940 que le fallacieux
concept de "P-DG d'entreprise" verra le jour (Loi Bouthillier)
afin d'accroître la responsabilité de ce dernier. Il s'agira
en fait de livrer à la classe ouvrière en colère
quelques patrons cumulards (en termes de présidences et de sièges
d'administrateurs de sociétés) irresponsables pénalement
en cas de faillite.
Il conviendra, en fait, de protéger les gros actionnaires collabos
vichystes et les "intérêts français" sans
toucher au pouvoir et à la "puissance allemande" (soutenue
par une nuée de collabos américains hypercapitalistes) tout
en désarmorçant toute possibilité de révolte
ouvrière.
Q- Tu dis cependant à la lueur des fondamentaux gramsciens et benjaminiens
(points de repères pour agir) que nous pouvons croire en l'émergence
d'un pouvoir alternatif et constituant véritable, d'un "Nous"
résistant capable de s'opposer socialement et politiquement aux
projets des classes dominantes... Peux-tu introduire, ici, les conditions
de cette autre puissance ?
Résponse 9/14
Oui penser à la constitution d’un mouvement ascendant de
contre-hégémonie qui prendrait la relève de celui
du 20ième siècle (s’étant au cours des années
80 littéralement effondré), c’est bien évidemment
chercher en même temps à ne pas reproduire les terribles
erreurs qui ont été, en partie tout au moins, responsables
de son si brutal délitement. Et à ce niveau, bien sûr,
je fais référence au stalinisme, aux dégénérescences
bureaucratiques auxquelles il a présidé ainsi qu’aux
phénomènes totalitaires dont il a été à
la source. Reconstruire un mouvement ascendant d’hégémonie
pour le 21ième siècle, c’est bien entendu reconstruire
un pouvoir social et politique véritablement alternatif, un authentique
contre-pouvoir donc, et de manière plus générale
une puissance émancipatrice collective qui échapperait à
tous ces si funestes travers.
Dit d’une autre manière, il s’agit d’affronter,
en cherchant à la dépasser, cette fameuse « puissance
impuissante » qui caractériserait le développement
de nos sociétés contemporaines. Car cette puissance (technoscientifique)
apparemment si impressionnante qui les caractérisent est doublée
d’une impuissance tout aussi manifeste au niveau social et politique,
puisque nous nous trouvons de plus en plus dans l’impossibilité
d’orienter positivement le devenir collectif des sociétés
auxquelles nous appartenons (qu’on songe à la récente
conférence de Copenhague !).
D’où le cours mortifère du monde que nous connaissons !
Et si cette impuissance politique est si présente, nous le devons
en partie tout au moins, aux formidables échecs qu’ont représentés
les expériences des pays dits socialistes et qui ont installé,
non seulement un sentiment d’impuissance collective chez tant d’entre
nous, mais aussi l’idée que toute transformation de type
socialiste mène nécessairement à une dictature.
D’où d’ailleurs cette formule d’Ana Esther Cecena
que je trouve très stimulante, puisqu’elle évoque
la nécessaire constitution pour l’avenir d’une hégémonie
paradoxale, « d’une hégémonie des non
hégémonies ». Mais c’est là
la description d’un point d’arrivée, ou mieux dit d’un
objectif sur le long terme.
Ce qui me semblait important c’était aussi de penser comment
l’atteindre? J’ai ainsi essayé d’avancer et de
développer l’idée « de rupture démocratique ».
J’entends par là cette idée de combiner étroitement
les exigences de la rupture (avec le capitalisme et son mode de vie « civilisationnel »
ainsi qu’avec les classes qui en promeuvent le modèle) et
celles de la démocratie, c’est-à-dire d’une
rupture qui ne soit pas seulement l’œuvre de quelques-uns,
mais d’un peuple en marche, totalement partie prenante du processus.
D’où cette idée qu’il faut non seulement chercher
à « prendre le pouvoir » (gouvernemental
et d’État), mais aussi « l’exercer »
(partout (sur les lieux de travail, à l’école, à
la maison, dans son quartier, etc.). Ces deux exigences, contrairement
à ce que certains peuvent penser (influencés en cela par
les thèses de Foucault sur les micropouvoirs) ne sont pas antithétiques,
mais au contraire doivent être étroitement combinées :
seule manière de faire émerger des sociétés
post-capitalistes sur un mode authentiquement démocratique.
Question 10/14
Tu cites en introduction Mahmoud Darwich (décédé
en août 2008) qui se définissait comme le poète des
“vaincus”...
Tu mets toutefois en exergue : "Alors je prends la main de Maintenant/Pour
marcher à la lisière de l’histoire/Et éviter
le temps cyclique(...)" ...
A l'instar du poète tu te défends du temps cyclique... temps
cyclique qui fait écho à ton concept tragique de :"
retour de la guerre infinie comme mode de gestion des conflits".
Cet enchaînement cruel condamnerait le présent et les hommes
à supporter l'arbitraire des puissants sans possibilité
de changement...
La modernité en effet n'échappera pas au temps systémique/cyclique
des statisticiens au service des sciences cognitives et des super-computers
des pouvoirs institutionnalisés, de la guerre globale et du Big
Business civil et militaire. Depuis le scellement des accords de Bretton
Woods (1944) et la mise en place des nouvelles structures financières
et bancaires internationales dont la Banque Mondiale "pour lutter
contre la pauvreté" (1945) l'on en comptera beaucoup de ces
statisticiens.
Robert MacNamara théoricien fou de la guerre du Vietnam et assassin
financier à la tête de la Banque Mondiale de 1968 à
1981 sera l'un d'entre eux au service de la lutte anti-communiste, de
l'extermination des ethnies minoritaires, des autonomies ennemies du libre-échange
planétaire.
MacNamara révèlera pour noyer ses remords (tant de tués
à lui seul) que le XXième siècle voué à
"la paix mondiale par le commerce mondial" (slogan IBM, maison
mère de Deutsche Hollerith Maschinen Gesellschaft "Dehomag"
fabriquant de la machine automatique Hollerith pour le recensement racial,
la spoliation, l'extermination des juifs en Allemagne dès la prise
de pouvoir de Hitler; IBM-Dehomag équipementier comptable de Autschwitz,
Dachau, Buchenwald vendra de 1933 à 1945 des milliards de cartes
perforées au IIIème Reich et dans toute l'Europe occupée)
comptera 160
millions de tués lors des conflits, soit plus de deux fois
le nombre des tués des deux guerres mondiales...
Darwich, poète militant palestinien, souhaitera éviter le
temps cyclique, prendre le passé et l'histoire en main,...
Il souhaitera agir et rebâtir. Il écrira :"J'ai du travail
à faire sur la géographie des volcans/De la désolation
aux ruines/Du temps de Loth à celui de Hiroshima/Comme si je n’avais
encore jamais vécu/Avec une soif qu’il me reste à
connaître..."
Q- Pourquoi ce choix de poème ? Cette question n'est pas évidente
car tu as rajouté en bas de page une note emblématique,
une phrase réellement terrible que je restitue dans son intégralité
: "...Il (Darwich) se définit comme un poète troyen,
de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre
leur propre défaite"... Une phrase qui rendrait son engagement
dans le temps contradictoire et qui nous ramènerait malgré
tout aux malheurs des temps passés.
Ici le poète dessinerait une autre voie, celle de la prudence,
née d'un talent prospectif de visionnaire ou de prophète.
"Ce qui vient" serait incertain et peut être même
tragique, conforme à sa vision de poète troyen mutilé...
Réponse 10/14
Un poème est toujours ultimement sujet à de multiples interprétations,
porteur d'une richesse de sens que celui qui l'écoute ou le lit
pourra reprendre à sa manière. Je ne prétends nullement
en posséder l’ultime sens, et encore moins imaginer que mon
livre lui est de part en part fidèle.
Ce qui m’a touché dans ce poème, c’est bien
sûr la référence à tous les malheurs qui peuvent
peser aujourd’hui sur le monde et ses vaincus (pour parler comme
Benjamin), et plus particulièrement sur la Palestine, mais c’est
en même temps aussi cette idée qu’il faut prendre « la
main de Maintenant Pour marcher à la lisière de l’histoire
Et éviter le temps cyclique ».
Je voyais là une nouvelle illustration des thèses de Benjamin :
l’importance du temps présent, la volonté de relancer
l’histoire sur d’autres bases, loin de celle des vainqueurs,
et cela à partir de toutes les aspirations des vaincus.
Plus encore j’y ai cru déceler cette idée (qui hantait
tout mon livre) : si la vie se caractérise par le devenir,
et les vivants par leur capacité à se renouveler aux temps
présents, eh bien oui il faut éviter, comme la peste, le
temps cyclique, celui de la répétition et du « Même » !
D’ailleurs la critique très claire qui est faite du capitalisme
historique dans mon livre, débouche ultimement sur cette idée
de la vie et de son renouvellement. Non seulement « perdurer
dans son être », mais encore se renouveler de part en
part : tel est le propre même de la vie, de la vie en générale
comme de la vie humaine en particulier.
Comme collectivité humaine, le capitalisme nous a enfermés
dans un mode de développement qui n’a cessé de devenir
chaque fois plus mortifère, avec aujourd’hui le fait que
nous sommes sur le point d’atteindre des seuils de non retour notamment
en termes d’équilibres écologiques, justement parce
que ce mode de production et d’échange nous a empêchés
et nous empêche aujourd’hui de nous renouveler (en nous interdisant
de rester ouverts à d’autres possibles), c’est-à-dire
ultimement de rester vivants. En ce sens là, lutter aujourd’hui
contre le capitalisme, c’est lutter pour la vie.
Question 11/14
Au chapitre traitant du "Capitalisme historique"
tu consigneras entre "l'appauvrissement des productions culturelles
et symboliques humaines" et "l'étiolement des espaces
de libertés individuelles" un titre et un texte très
importants : "le retour de la guerre infinie comme mode de résolution
des conflits" , je souhaite y revenir...
L'épidémiologiste Les Roberts, dis-tu, comptabilisera, je
force ici à dessein l'expertise comptable, 650 000 morts lors de
la guerre Irakienne (chiffre probablement, encore une fois, inférieur
de moitié à la réalité) soit, selon lui, l'équivalent
de six "911" par mois et pendant 3 ans...
"À travers l’émergence de ces nouvelles guerres,
écris-tu encore, c’est donc, non pas le retour effrayant
de la barbarie (le règne de la pure violence, de la non-loi) qui
se fait brutalement sentir, mais l’installation subtile de celle-ci
dans le quotidien et la durée, une barbarie jugée nécessaire
dont on a fini par consentir à ce qu’elle ait fait son nid
au creux même des sociétés humaines. Ce qui nous amène
à fermer ainsi la porte à toute tentative de résoudre
les conflits par le biais de la négociation et de la diplomatie,
et bien évidemment à toute approche minimalement préventive
en la matière !"
Il semble, en effet, conformément aux doctrines civiles de l'OTAN
- qui insiste sur l'importance des "exercices intellectuels"
pour sensibiliser le monde scientifique et le grand public - et à
la sociologie militaire américaine que la "civilisation de
la guerre" ait pris le pas comme tu dis sur les moyens traditionnels
et nous ait tous surpris...encourageant, par le fait, la "puissance
impuissante sociale" autrement...
C'est également un fait la mutation anthropologique de notre société
urbanisée fait déjà l'or des marchés... Les
capitalistes poussent le monde à la débacle. Les crises
économiques et financières sont montées de toute
pièce par les patrons spéculateurs - stratégiquement,
contre "eux-mêmes" et leurs clients - comme si le système,
l'ordre noir de la concurrence, cherchait réellement à se
régénerer, renversant impitoyablement et autoritairement
l'ordre des choses...
Du reste, la doctrine des spéculateurs les plus à la pointe
des exigences de "l'ordre" se résumera à ces slogans
des mercenaires capitalistes Doug Casey et Bud Conrad, experts libertariens
américains des marchés de l'or, des métaux précieux,
de la monnaie, des valeurs industrielles, et à ce titre parfaits
représentants de la "puissance primitive qui tue" celle
des "petits spéculateurs" des classes moyennes :"
let the power of the trend do the work for you"... "the economic
crisis offers unlimited opportunity if you knwow where to look"...
ou encore :" use the chaos at your advantage !..."
Le résultat est effrayant, alors que l'on persécute les
peuples en Colombie, au Honduras, à Chagos-Diego Garcia, au Zimbabwe,
au Nigéria, en Chine, en Mongolie, en Russie, en Afghanistan, en
Irak, au Pakistan, en Inde, en Israel pour vendre sans taxe quelques articles
de bureaux, des films pornos, des armes, des bananes, des robots ou des
jouets à des enfants gâtés, vos placements par téléphone
sur le marché de l'uranium, du soja, du cuivre, du maïs, de
la viande de porc, de la pharmacie ou de l'or vous rapporteront en une
journée, en une heure, en une minute - et au regard des fuseaux
horaires - en une seconde, des gains allant de 1000% à 6000%.
Q- J'aimerais savoir, sans sortir de notre sujet, action et émancipation,
comment tu traites cette notion d'ubiquité si essentielle au business
global et aux guerres couplées aux nouveaux indices d'accélération/expansion,
de mutation, de vitesse, si évidents, par exemple, dans la forme, le language
et les performances des nouveaux jouets
filmés anticonspirationnistes, antiterroristes et darwinistes hollywoodiens
?... L'ubiquité capitaliste, résolument évolutionniste,
implique-t-elle une approche nécessairement holistique des luttes
?
Réponse 11/14
La notion d’ubiquité, je la place bien entendu dans les formes
nouvelles que prend le déploiement capitaliste et mondialisé
contemporain. Elle est ainsi –à sa manière-- un des
phénomènes qui appartiennent au grand basculement du monde
déjà évoqué.
D’où nous viennent ces apparentes possibilités d’ubiquité,
nouvelles et fascinantes ? Elles nous viennent des développements
techniques, et plus particulièrement des développements
informatiques nés de la révolution technologique des TIC.
D’où soudainement cette possibilité que nous avons
–habitants du village global-- de nous trouver ici et là,
par le biais d’Internet et des grands médias électroniques
(CNN, etc.) apparemment au creux d’un même espace/temps.
Alors qu’auparavant j’aurais dû faire l’expérience
de l’inéluctable distance en prenant le temps de me déplacer
et rejoindre un autre lieu que celui où je me trouvais, voilà
qu’il semble possible d’être là-bas instantanément,
tout en étant aussi en même temps ici : par exemple voir
en direct –et cela depuis le fauteuil de mon salon-- le séisme
haïtien ; connaître avant les Haïtiens eux-mêmes
l’ampleur exact du drame, etc. Expériences apparemment formidables,
expressions pourrait-on dire de possibles à peine imaginables il
y a peu, elles n’en recèlent pas moins des côtés
fort problématiques dans la mesure où une fois encore, ces
techniques et possibles s’inscrivent dans un contexte d’ensemble
dont on ne peut pas faire abstraction.
Non seulement parce que ces techniques ne sont pas le lot de tous et toutes
et exigent une indispensable infrastructure matérielle et technique
(ordinateurs, réseau de téléphones, satellites, énergie,
etc.) dont la propriété et l’orientation d’ensemble
sont fortement monopolisées, mais encore parce que leurs manifestations
contemporaines dominantes se sont bien évidemment coulées
dans le moule des exigences capitalistes (les logiques de la marchandisation,
de la mise en spectacle du monde, de la concurrence acharnée, de
l’individualisation grégaire grandissante de l’être
humain et du contrôle à la Big brother, etc.) vis-à-vis
desquelles le commun des mortels n’a pratiquement aucune prise.
Elles posent ainsi directement –outre le problème de la surveillance
généralisée-- le problème de la mise à
distance de notre propre vécu individuel par une nouvelle scène
collective (la scène médiatique), en somme par des systèmes
de représentation qui tendent à reproduire et à imposer
un ordre de valeurs qui ne correspond pas ou plus à notre vécu
immédiat. D’où l’utilisation spontanée
que nous sommes amenés à en faire : incertaine et pleine
d’ambiguïté, souvent très contradictoire.
Gunther Anders dans L’obsolescence de l’homme a mis à
ce propos très bien en évidence comment ces pouvoirs nouveaux
qui nous sont ainsi devenus disponibles peuvent provoquer ce qu’il
appelle « un décalage prométhéen »,
c’est-à-dire l’émergence –dans le sillage
du développement technique contemporain-- de différenciations
grandissantes et périlleuses entre certaines de nos facultés
humaines traditionnelles : celles par exemple d’avoir les moyens
de détruire en un instant une ville (avec la bombe H) et par ailleurs
d’avoir les moyens d’en imaginer les véritables effets
sur ses semblables (ces centaines de milliers de victimes, leurs souffrances,
etc.). Nous renvoyant par là même à l’impérative
et difficile tâche de surmonter ce décalage.
De façon moins dramatique, et en nous référant tout
simplement au développement de la communication par Internet, nous
pourrions nous poser le même genre de question : comment affronter
les conséquences de ce nouveau rapport au temps et à l’espace
que nous commençons à expérimenter par son intermédiaire
(avec un temps se contractant et un espace se dilatant) ? Comment
par exemple s’ouvrir chaque fois plus aux « cyberespaces »
du monde contemporain, tout en ne prêtant pas flanc à un
contrôle grandissant à la Big Brother ? Ou comment,
être proche de ceux qui se trouvent à l’autre bout
du monde, en n’étant pas en même temps absent à
ceux en chair et en os qui se trouvent à côté de nous,
et vice-versa ? Et comment y parvenir sans faire abstraction de notre
matérialité (faite de chair et de sang) qui reste qu’on
le veuille ou non, notre horizon premier ? Car qu’aurait-on
gagné d’un côté, si c’est pour perdre
tant de l’autre ! Sans rejeter a priori de tels modes de communication,
on ne peut pas non plus ne pas réfléchir aux problèmes
qu’ils entraînent, et plus particulièrement dans
le contexte si déterminant du capitalisme historique!
On voit néanmoins le problème que cela pose en termes politiques,
car la politique est précisément l’art de maîtriser
le pouvoir né de l’existence d’un « nous »
se constituant dans un espace donné (l’État nation
par exemple) et un temps donné (telle ou telle échéance,
tel événement, etc.). Or –dans le sillage du déploiement
capitaliste néolibéral-- le développement de ces
nouvelles technologies brise toutes les frontières traditionnelles
en la matière, ajoutant à la confusion et à la désorientation
qui est déjà la nôtre. Comment contrecarrer un pouvoir
financier tentaculaire qui peut déplacer en quelques secondes des
milliards de dollars et ainsi punir à sa guise un État récalcitrant,
en spéculant contre lui ?
L’État nation tout comme les traditionnels rythmes politiques
qui sont les siens, paraissent ainsi bien désajustés vis-à-vis
des enjeux spatiaux et temporaux contemporains, installant –comme
dit Daniel Bensaïd— des discordances de temps particulièrement
déstabilisantes. D’où d’ailleurs en contre partie
la nécessité de se hisser à la hauteur de ces nouveaux
défis.
Les réseaux altermondialistes sur Internet sont bien sûr
une première réponse, mais ils restent à l’heure
actuelle totalement insuffisants. Car c’est la difficulté
centrale : contrairement à ce que pensent des gens comme Tony
Negri et Michaël Hardt (voir Empire), tout en entrant dans un monde
beaucoup plus globalisé et très différent du passé,
nous n’avons pas cependant complètement quitté le
monde de la modernité, c’est-à-dire à celui
de l’existence encore déterminante, et de nations constituées,
et de rivalités impérialistes, et du travail matériel,
et de valeurs qui leur sont consubstantielles, etc.
En somme, même si la post-modernité frappe à nos portes,
elle ne règne pas en maîtresse et se combine sur le mode
de la mosaïque aux formes plus classiques de la modernité
qui n’ont pas pour autant disparu et perdurent toujours sous nos
yeux. Ainsi, la façon dont la crise financière globalisée
s’est brutalement déclenchée, nous a rappelé
comme jamais que la valeur de la richesse financière la plus virtuelle
avait toujours, à un moment ou à un autre, à rendre
des comptes avec la richesse matérielle la plus élémentaire,
c’est-à-dire avec le fait bien terre à terre qu’ultimement
c’est le travail qui crée de la valeur.
Il reste donc aujourd’hui à penser à une stratégie
qui soit capable –sur le mode de la recombinaison-- de prendre en
compte les dimensions si éclatées de notre époque,
de manière à en faire émerger une stratégie
ad hoc capable d’être à la hauteur ce ces enjeux. D’où
cette nécessité de parvenir à unir comme jamais,
intervention locale et intervention globale, actions plus traditionnelles
au sein de l’État nation (et pas simplement au niveau local),
et action plus novatrice au sein du capitalisme mondialisé d’aujourd’hui,
anciens comme nouveaux mouvements sociaux, etc. Et le mouvement altermondialiste
a beaucoup de chemin à faire dans ce sens là… Au-delà
même des limites de l’expérience vénézuélienne
et du contexte dans laquelle cette initiative a été récemment
lancée par Hugo Chavez, l’idée d’une cinquième
internationale (perspective issue justement de la tradition de la modernité),
capable de penser la coordination des luttes à l’échelle
du monde contre le néolibéralisme conquérant, me
paraît fort stimulante !
Question 12/14
Evaluation décroissante de la maîtrise capitaliste criminelle immanente de la vitesse et de l'ubiquité
Vitesse et ubiquité feront dire encore
à l'armateur français Louis Dreyfus et à son mentor
le banquier Rothschild :"nous investissons au son du canon, et non
à celui du violon"...
Un tel standard de l'action capitaliste signifie en contrepartie, au regard
de la cohérence paradoxale de l'immanence, que chaque conférence
menée par un théoricien classique de la révolution
dans un pays riche et industrialisé aura pour conséquence
l'éxecution d'un chef militaire d'un groupe révolutionnaire
armé (pas nécessairement le sien), d'un groupe syndicaliste
socialiste ou paysan, de dissidents, d'expropriés, de migrants
ou d'opposants... à l'instant où "les tensions des
marchés" - "nos efforts de civilisation", diras-tu
- commanderont arbitrairement un BDI (Baltic Dry Index)* à 12000
à 5000 comme à 3500, à 1000, ou en dessous.
La maîtrise capitaliste immanente de la vitesse et de l'ubiquité
- qui induit qu'il n'existe qu'un seul mode de réalité le
mode de production capitaliste excluant la transcendance divine et l'autonomie
sociale, que tout est réductible à l'acte capitaliste "comme
un tout" - conduit bien à la maîtrise non moins immanente,
numérique et téléphonique des "tensions des
marchés", un simple appel GSM suffit, et à la maitrise,
par conséquence, des pouvoirs répressifs et contre-insurrectionnels
dans le temps réel des marchés, quasiment maîtrisés
algorithmiquement, de l'investissement et de la spéculation, du
profit.
Observons encore "nos efforts de civilisation", si tu veux bien,
sous l'angle de l'emblématique BDI.
Le BDI
- gospel des sociétés minières multinationales
- était à 12000 en juin 2008 au seuil de la très
prévisible débacle mondiale; il chutera à 820 en
novembre de la même année.
Cette chute de tension de 93% annoncera la flambée des prix alimentaires
et sanitaires de base dans les pays pauvres largement amorcée par
la titrisation du baril de pétrole non extrait (baril à
150$), l'éclatement de la bulle immobilière et la crise
des subprimes, l'explosion du commerce frauduleux des produits financiers
dérivés - spéculation sur les Swaps garantie par
la FED au monde riche, émergent et pauvre, pour le
financement de prêts invisibles budgétairement pour le renflouement
fictif des déficits publics -, l'effondrement en série,
également prévisible, des places boursières, etc...
A bien regarder nous avons affaire à un régime d'exception
spéculatif délinquant (un tout capitaliste résolument
criminel) échappant au contrôle public très largement
entretenu par les besoins inquantifiables, sinon avec toutes les réserves
d'usage par le BDI, des transporteurs, des armateurs multinationaux "manne
du commerce mondial".
S'en suivront peu après la débâcle de juin 2008, souviens
toi, des vagues d'attentats et de répression sur tous les continents
ce n'est toujours pas terminé et ce ne sera pas terminé
avant longtemps.
Le BDI atteindra son plus bas niveau en janvier 2009 à 797... il
remontera à 1574 en avril. Le BDI était attendu par les
experts maritimes et bancaires (Goldman Sachs) à 5000 tout au long
de l'année 2009, hors ce dernier ne décollera plus des 3000/3500.
Au 20 août 2009 il s'effondrera à 2614.
Entre 797, 3500 et 2614 s'installera une phénoménale tension
de relance du système bancaire et financier international - reproduction,
avec les conclusions qui s'imposent, de la sanglante marche forcée
de 1939 qui conduira à Bretton Woods en 1944 - sans que l'économie
réelle, en ruine aujourd'hui, puisse espérer un quelconque
rebond.
La crise du crédit et du transport maritime international est bien liée
à la crise américaine, le chat se mort toujours la queue,
irrémédiablement lestée par la politique
inflationniste de création monétaire de la FED - support
de nouvelles vagues spéculatives planétaires sur les taux
-, à l'explosion des déficits US, de 400% à 1000%
fin 2009, aux désastres des plans Paulson/Obama de renflouement
des grandes banques "lésées" déclanchant
de nouveaux foyers régionaux de tensions et de conflits sociaux,
civils, militaires, de nouvelles menaces inter-frontalières au
nom de la lutte anti-terroriste, anti-pirate ou anti-drogue (1)...
Le résultat est déplorable : attentats sanglants en Irak,
au Pakistan, en Afghanistan, insurrections-CIA en Chine populaire en pays
Ouighours ou au Tibet, assassinats du chef présumé d'al
Qaida au Pakistan, du fils de Ben Laden, attentats de supposées
filières d'al Qaida en Afrique subsaharienne, attentats du groupe
ETA en Espagne, effondrement économique du Zimbabwe et remise en
question du rôle des banques centrales, restauration de l'or, regain
de violences ethniques au Kenya et dans les pays producteurs d'or et de
diamants en RDC, en Angola, en République centre-africaine, au
Botswana, en Zambie, en Ouganda, occupation des eaux latinoaméricaines
par la flotte américaine, conflits religieux sanglants au Nigéria,
résurgence du nazisme dans les villages hongrois, aux pays baltes,
au Caucase et en Ukraine, crise calédonienne, kidnapping du président
Zelaya au Honduras et retour des méthodes de répression
de Reagan/Negroponte, mondialisation du virus H1N1, militarisation mondiale
des routes maritimes énergétiques...
Une lecture diachronique des faits dans le temps (lecture des évolutions/transformations
des indices, du commerce transnational, des conflits sociaux, des guerres
et des crises spéculatives, de la transformation graduelle du language,
des images et des jouets) profilera une authentique guerre mondiale sous
une forme inédite avec sa contre-partie sociale planétaire
dramatique et sanglante... Une guerre lisible par les seules "variations"
de quelques indices planétaires et dont les principaux supports
dynamiques demeureront entre les mains des "maîtres de conquête"
pour le renflouement des classes moyennes - le système globalisé
doit impérativement nourrir sa minorité riche (classes moyennes)
et non comme il est cru toutes les populations "civilisées".
Ces "maîtres" apparaîtront au coeur des deux guerres
mondiales précédentes et pour les plus anciennes dynasties
capitalistes au coeur des guerres coloniales et des conflits sociaux les
plus violents; indissociables encore une fois de l'appropriation exclusive,
par une minorité riche, des transports des ressources planétaires
et du stockage dans le sillage des révolutions techno-industrielles,
financières et bancaires du XIXème siècle.
Notons ici, au chapitre des "révolutions" techno-industrielles,
financières et bancaires du XXIème siècle, que le
premier navire hybride solaire/pétrole de l'histoire de la marine
marchande a été lancé en août 2009 (4ième
voyage en fait) - le BDI sera à 3400 le 1er, à 2614 le 20
- pour transporter des voitures japonaises vers les Etats-Unis; pays
en situation de faillite (48 Etats sur 50 étant en déficits
budgétaires croissants) tandis qu'1 américain sur 8 reçoit
une aide alimentaire.
Solaire qui devait équiper/soulager en priorité mondiale,
rappelons le, les ménages des pays les plus pauvres et émergents;
l'on mange toujours des biscuits à base d'argile en Haïti,
plus que jamais après le séisme de janvier 2010, tandis
que deux ampoules solaires japonaises équipent les cuisines et
les toilettes hybrides de vos cases... Image symbolique des vaincus humiliés
et des leaders insurrectionnels tués ou corrompus par les "primitifs
urbains" des pays riches.
Symptomatique encore que ce navire géant l'"Auriga
Leader" - primitif par sa taille, à l'image des trois
arches du film "2012"
évacuant après un tsunami planétaire un fragment
d'humanité, des véhicules de sport et le staff scientifique
du Stay Behind américain - appartienne à la compagnie maritime
Nippon Yusen K.K. (NYK) pilier du BDI; qu'il soit le fruit des tensions
de la crise (de la titrisation de l'endettement des ménages américains
les plus modestes, de la captation - par les firmes les plus puissantes
- des énergies alternatives et du commerce des produits financiers
dérivés qui envahissent aujourd'hui le Japon) et des investissements
à long terme des multinationales NYK, Nippon Oil Corporation et
Toyota.
Des multinationales qui prépareront du reste sur la base moraliste
néocon de l'endettement perpétuel - désormais seul
mode de réalité et acte capitaliste comme un tout - , et
au fond, des "biens sociaux premiers" (ces choses que tout homme
est supposé désirer sans l'aide du socialisme ou de la décroissance)
de John Rawls*, une invasion
automobile sans précédent (aux Etats-Unis et en Europe);
ce malgré le fiasco de la Prius hybride lestée, pour le
moins, de 50kg de cuivre mongol siphonnés sur des concessions vastes
comme le Japon ou l'Italie par le prédateur canadien Ivanohe
Mines.
Les "experts" prévoient donc pour 2010 un BDI annuel
à 2015. Le paradoxe de l'enrichissement/endettement perpétuel
nourrit une fois de plus la prévision suivante... Le "business
global" de 2010 sur la base du BDI en berne accusera une chute vertigineuse
de 84% par rapport à juin 2008.
Un effondrement qui devrait se traduire par de phénoménaux
"efforts de civilisation/transformation planétaires"
ou de phénoménaux coups de canons "tenseurs de marchés"
(dreyfusiens/rothschildiens) sur cent ans (2)
(3).
Le président Obama, nobel du mensonge, perpétue bien pour
l'instant la tradition du bal sanglant ouvert par GW Bush II...
Les peuples pauvres n'auront donc pour ainsi dire aucune chance de recouvrir
en un temps humain acceptable leur autonomie économique - malgré
la propagande de la grande convergence des "BRICs 2050" ( Goldman
Sachs, JP Morgan Chase, Chase Manhattan, FMI ou Banque Mondiale ) -, ou
leurs habitudes culturelles, alimentaires, sanitaires, pas plus qu'ils
n'auront les moyens de financer leurs pertes dans les trente ans ou même
dans les cinquante ans... Quid des résistances et des dissidences.
Q- La question qui me vient tout naturellement à l'esprit puisque
nous évoluons dans le double champ des "tensions de crise"
- dont les stratèges (philosophes, religieux, politiques, capitalistes)
disent qu'elles sont éminemment immanentes; les ennemis de l'Empire
diront eux-mêmes :" Le pouvoir de l'Empire est en effet un pouvoir
totalement construit dans l'immanence" (Négri/Hardt)
- et de la philosophie de l'action et de l'émancipation à
l'heure, écriras-tu dans "Philosopher...pour rester vivants!"
où la moindre action individuelle semble être porteuse de
conséquences globales, concernera précisément la
cohérence paradoxale de la sagesse immanente.
- Comment, car il y a urgence, "faire" jaillir cette sagesse
immanente paradoxale et l'articuler au sein de la guerre psychologique
et spéculative rendue/voulue ubiquitaire par l'économie
néolibérale du bien être et néoeugéniste
du "bien naître" (pays riches) perfidement légitimée
d'un point de vue éthique par les "biens sociaux premiers"
(les droits, les libertés et les possibilités offertes à
l'individu, les ressources et les richesses, les bases sociales du respect
de soi-même) de la théorie de justice libérale de
John Rawls ?
* Notes aux lecteurs
1- Baltic Dry Index : indice des prix pour le transport maritime en vrac
des matières sèches : minerais, charbon, métaux,
céréales. Il est établi sur une moyenne de prix pratiqués
sur 24 routes mondiales de transport. Il indique les grandes tendances
du marché financier, des taux d'intérêt et oriente
les demandes de crédit pour financer les transports de matières
sèches.
2- John Rawls : Notons ici que la catégorisation théorique
des biens sociaux de Rawls date de 1971, qu'elle semble s'emboiter parfaitement
dans le plus vaste système d'exploitation de l'homme par l'homme,
bien que n'étant pas formellement appliquée elle est lisible
partout... John Rawls écrira ce propos célèbre : "(...)Il
ne faut pas distraire notre perception morale en pensant aux personnes
distantes de nous et dont le sort suscite la pitié et l'inquiétude"
.
Cette même année 1971 le gouvernement américain signera
l'abandon de la convertibilité en or du dollar... Rawls et
Nixon, chacun de son côté et pour des motifs différents,
inaugureront l'ère des anarques aux bons du Trésor, des
déficits publics et des endettements records désormais bases
sociales du respect de soit-même et possibilités offertes
à l'individu...
Aux bases sociales et aux biens sociaux premiers rawlsiens (autre
tradition universaliste expression de l'hégémonie)... s'agrègent les pouvoirs omnipotents des marques (des multinationales) et les fausses valeurs sociales de la globalisation insolvable, retour à l'or (1),
autre valeur refuge et aspect du temps cyclique et de ses correspondances
politiques homicides et liberticides. (Courrier à Pierre Mouterde
30/01/2010 et extrait de "Verrouiller
l'accès au temps réel " C. Pose, 24/11/09)
Réponse 12/14
C’est justement l’intérêt d’auteurs comme
Marx, Nietzsche, ou Freud, ils nous permettent – par les déchiffrements
radicaux qu’ils nous ont amenés à faire dans les domaines
qui sont les leurs—de rapidement situer la fécondité
ou la nouveauté de telle ou telle théorie contemporaine.
Et cela encore aujourd’hui !
Ainsi les thèses de Marx nous permettraient, me semble-t-il, d’assez
bien percevoir à la fois les points forts comme les limites mêmes
de l’approche de John Rawls. Ce dernier en effet –au-delà
même du succès de son ouvrage majeur Théorie de la
justice--- reste encore dépendant d’une problématique
pré-marxiste, quelque part de type kantien, c’est-à-dire
n’ayant pas dépassé le cadre de l’idéalisme
méthodologique. Certes il nous permet –en des temps difficiles
hantés par le déploiement néolibéral—de
mener en termes théoriques un raisonnement rigoureux sur la justice
et sur les critères formels qui devaient être les siens.
Il nous permet ainsi de faire apparaître le côté éminemment
déraisonnable de l’organisation des richesses contemporaines.
Et cela n’est pas négligeable dans un contexte où
le discours néolibéral est si omniprésent.
Dire par exemple qu’une société ne peut être
« bonne » si elle n’est pas en même
temps « juste », en vient à délégitimer
bien des discours utilitaristes, si omniprésents qu’ils semblent
couper court à toute réflexion digne de ce nom. En ce sens,
l’approche de Rawls possède une évidente utilité.
Ceci dit, le fond de son approche reste, me semble-t-il, très dépendant
des limites mêmes de la tradition libérale. Le problème
en effet, ce n’est pas de faire, par exemple de la liberté,
un principe idéologique cardinal (après tout, pourquoi pas ?),
mais de se demander comment « en pratique », cette
dernière pourrait s’actualiser pour tous et toutes, et ne
pas en être réduite –comme elle l’est aujourd’hui
dans tant de pays-- à être « dans les faits »
le cache sexe d’une domination de classe par ailleurs dévastatrice
(le pouvoir des nantis).
Péguy disait de Kant que, s’il avait « les mains
pures », il n’avait cependant « pas de main »,
mettant en ainsi en lumière que le problème clef, au niveau
éthique est celui de l’actualisation pratique de valeurs
auxquelles on prétend se référer. J’aurai envie
de dire que c’est un peu la même chose pour Rawls.
Le problème réside moins dans le portrait qu’on peut
se faire de la justice idéale, que dans la manière dont
on se donnerait les moyens pour la rendre effective. Et là, impossible
de faire l’économie d’une analyse empirique du cadre
sociale et économique dans lequel on se trouve ainsi que des acteurs
et des intérêts collectifs à partir desquels cette
justice pourrait prendre corps et se déployer. Mais, on le voit,
la démarche est tout autre : on ne part pas du monde des idées
–aussi belles soient-elles par ailleurs—mais de la réalité
empirique (plus exactement pratique), par conséquent des hommes
et des femmes réels (mus par les positions sociales qui sont les
leurs ainsi que par des intérêts donnés) qui constituent
aux temps présents les forces effectives à partir desquelles
on pourrait accoucher ou non d’une société plus juste.
Cela évidemment change tout de la problématique et des problèmes
théoriques concernant la justice qu’il resterait, bien
évidemment, à approfondir !
Question 13/14
Après avoir lu ton propos sur les "traditions
universalistes" j'en déduis que l'aveuglement général,
et donc la cruauté, sont inévitables, plus encore si l'on
descend dans les conditions génétiques de leurs manifestations.
Tu écriras en effet ces quelques lignes édifiantes :"les
traditions qui s’offrent le plus facilement à nous et qui
prétendent à l’universalité la plus grande
sont, dans les faits, le fruit d’une « hégémonisation »
(domination) du monde..."
En 2008 John Negroponte confirmera au micro de Charly Rose ton édifiante
analyse. Il révèlera en effet le rapport hégémonique
qui lie l'expansion américaine dans le monde à l'expansion
du bouddhisme tibétain en Asie, en Afrique, en Europe, aux Etats-Unis,
en Russie....
Un bouddhisme tibétain (hégélien en exil) qui - comme
le bouddhisme zen heideggerien - se voudra une philosophie opportuniste
traditionaliste de la vie, et du vivant, en fait l'expérience révèlera
le contraire, ce sera plutôt une philosophie de la mort, une ouverture
sur le Réel par la mort réaliste du sujet, de son moi sensible,
psychologique et juridique, une "ontologie de la mort"- coeur
de la pensée heideggerienne, écriras-tu, en montrant les
dangers de cette pensée qui nourrit "l'être pour la
mort" -, et non une religion (qu'elle est pourtant sitôt reconstituée
dans son enfermement théocratique et territorial héréditaire,
en exil comme au Tibet).
Très tôt cependant cette philosophie de l"être
pour la mort" dévoilera ses ambitions politiques : être
reconnue comme une force philosophique et politique globale anti-socialiste
et non, comme une philosophie politique pour l'action et l'émancipation
de "l'être pour la vie".
Le message sera encore plus clair quand le XIVème Dalai Lama annoncera
qu'il ne voudra plus de la "charité du droit humanitaire (de
"l'être pour la vie").... puisque sans qualités
politiques" (archives du Dept. D'Etat américain).
Le résultat ne se fera pas attendre quand le gouvernement indien
négociera l'exil des colonies tibétaines en Inde sur la
base de la formation de 400 ingénieurs nucléaires indiens
aux Etats-Unis afin de produire la première arme atomique indienne.
Une fois élaborée elle portera le nom de "Bouddha souriant"
laissant la part belle à l'atomisation des sujets, victoire, une
fois de plus, de "l'être pour la mort".... ("La CIA
sponsor du Dalai Lama", J.P. Desimpeleare).
John Negroponte symbole de l'hégémonisation sanglante du
monde dira quelques années plus tard dans le prolongement de ce
grave évènement :" les tibétains doivent assumer
leur responsabilité. Il n'est pas question de les laisser faire
n'importe quoi dans le jeu des relations internationales, faire du business
à l'export comme çà leur plaît, ramasser de
l'argent et les laissez libre ensuite de faire tout ce qui leur passe
par la tête..." (avril 2008, arch. Dept. d'Etat américain).
Il ne fera que confirmer ce que ses pairs anti-communistes (CIA, Pentagone,
affaires étrangères, USAID, NED) mettront au point dès
les années 1968, 1963, 1951.
Ces extraits d'archives du Ministère des Affaires Etrangères
américain sont, du reste, de parfaites illustrations de ta proposition
sur les traditions universalistes en tant qu'expression de l'hégémonistaion
du monde :"(...)The CIA Tibetan Activity consists of political action,
propaganda, and paramilitary activity. The purpose of the program at this
stage is to keep the political concept of an autonomous Tibet alive within
Tibet and among foreign nations, principally India, and to build a capability
for resistance against possible political developments inside Communist
China...At a 13 December 1963 meeting "The Special Group approved
the continuation of CIA controlled Tibetan Operations..." (CIA, DCI
(McCone) Files, 9/1/1964.)
"The CIA Tibetan program, parts of which were initiated in 1956 with
the cognizance of the Committee, is based on U.S. Government commitments
made to the Dalai Lama in 1951 and 1956. The program consists of political
action, propaganda, paramilitary and intelligence operations..."
( US Dept of state-CIA, 26/1/1968)
Le tibétologue belge Jean Paul Desimpeleare notera que la situation
des bouddhistes tibétains étaient déjà la
même au XIIIème siècle quand ces derniers collaboraient
et servaient les mongols Khans... ("La connexion mongole au Tibet,
une relation de "maître spirituel" à "maître
protecteur", Bruxelles, juillet 2009).
Par bien des côtés ces forces réhabilitent le temps
cyclique des "vainqueurs" dont tu dépeindras les aspects
mortifères.
Q- Que t'inspire l'émergence de la philosophie bouddhiste tibétaine*
"ouverture sur le Réel" en tant que fruit de l'hégémonisation
du monde ?
Notes aux lecteurs
* Le Dalai Lama sera payé près de 20 ans durant par la CIA
pour "lutter" contre l'expansion du socialisme en Asie et dans
le monde, ses frères sont du reste toujours au service de la CIA
et à la tête du gouvernement tibétain en exil. Certains
lamas de la secte bouddhiste nyingmapa seront au service de Himmler et
de l'Ahnenerbe SS culture par excellence de "l'être pour la
mort" dès 1938 (les camps sont ouverts depuis 5 ans), afin
de dynamiser le mythe SS de la "race aryenne" et de repousser
les bolchevicks en Russie extrême orientale... Le XIIIème
Dalai Lama reconnaîtra, du reste, l'importance de "Mein Kempf"
pour le peuple allemand !
* Liste noire de douze opposants d'origines diverses au Dalai Lama : Slavoj
Zizek, Michael Parenti, Danielle Bleitrach, Michel Collon, Dominico Losurdo,
Jean Paul Desimpeleare, Elisabeth Martens, Patrick Hutin, Jean Luc Mélanchon,
Vittorio et Vittoria Trimondi, Vattimo Gianni, Christian Pose, qui circule
depuis plusieurs années sur le web. Une occasion pour moi de souligner,
une fois de plus, les dangers de la balkanisation néolibérale
de la Chine populaire.
Cette liste est l'oeuvre de "tibet-doc.org"
(page "Vigilance"), un site universitaire de tibétologie
et de propagande défendant la politique anti chinoise du gouvernement
américain pour l'indépendance du Tibet et du Turkestan oriental;
les animateurs-traducteurs de ce site sont très probablement proche
du NED/CIA. Lire sur ce point "De
l'intolérance bouddhiste" d'Elisabeth Martens et la note
de bas de page "La guerre médiathique" de JP Desimpeleare).
Réponse 13/14
Oui ce dont tu parles à propos du bouddhisme thibétain me
ramène à une idée qui m’est chère :
la globalisation néolibérale a entraîné d’évidents
effets de métissage qui a première vue pourraient paraître
tout à fait intéressants : voilà par exemple
que mes étudiants peuvent se référer à Jésus-christ
comme étant un dieu tout en croyant à la réincarnation
et aux prédictions de Nostradamus ; ou alors dans un tout
autre registre voilà que les grandes compagnies multinationales
n’hésitent pas à s’adapter à la culture
locale de telle région lointaine, paraissant même métisser
leurs langages ou leurs slogans pour mieux vendre leurs propres produits.
Mais une fois encore pour apprécier la véritable portée
de ce métissage, il faut partir du tout et non de la partie, et
ce qui détermine la valeur potentielles de ces métissages
si à la mode, ce n’est pas la partie, ce n’est pas
le fait qu’on puisse retrouver des traces attrayantes d’autres
cultures au sein du discours globalisé d’aujourd’hui,
c’est le fait qu’ils s’inscrivent dans le cadre du capitalisme
global et dans sa volonté de marchandisation généralisée.
Et si bien sûr il serait souhaitable de parvenir à une culture
humaine véritablement métissée, prenant en compte
la richesse de la diversité culturelle de l’humanité,
on voit bien cependant comment aujourd’hui on est loin de cet objectif.
Plus que jamais cette idée de Benjamin, concernant le retour des
aspirations et valeurs des vaincus à travers un changement radical
du cours de l’histoire, reste pertinent. Car l’universalité
qui nous est proposée aujourd’hui est celle des vainqueurs,
et les formes de métissage qui s’imposent aux temps présents
restent fondamentalement les leurs. Elles se sont constituées sur
des ruines et sont réduites à n’être que les
traces de richesses oubliées et défaites.
Au Canada, cela a pris le nom de « multiculturalisme »
et a eu pour conséquence de mettre entre parenthèses les
droits à l’autodétermination des peuples autochtones
mais aussi du peuple québécois lui-même.
Maintenant sur la question très précise du bouddhisme thibétain,
je ne suis pas sûr d’avoir tous le éléments
pour y répondre adéquatement, notamment parce que je connais
peu les formes différentes qu’au fil de l’histoire
le bouddhisme a pu prendre dans cette région.
Bien sûr le bouddhisme thibétain n’a rien de cette
religion angélique que l’image du Dalaï Lama –exilé
à Daramsahla et accompagné d’intellectuels européens
renommés convertis au bouddhisme comme Mathieu Ricard— tend
à faire prospérer aujourd’hui. Et cela d’autant
plus facilement que cette image édulcorée fait facilement
recette en notre Occident désenchanté où tous les
repères foutent le camp et où un certain bouddhisme (avec
sa compassion a-religieuse et son art de vivre) peut facilement apparaître
comme cette sagesse que nous n’arrivons plus à trouver aujourd’hui
chez nous.
Aussi semble-t-il nécessaire –comme tu le fais si clairement,
je crois—de rappeler au public d’ici la dimension indéniablement
théocratique du bouddhisme thibétain traditionnel (et partant
anti-démocratique) ainsi que toutes les implications géopolitiques
fort discutables auxquelles le Dalaï Lama s’est dans les 40
dernières années bien évidemment prêté.
Ceci dit, le rôle de l’État chinois et de son parti
communiste stalinisé ne me paraît pas non plus exempt de
critiques. Loin de là ! Car les politiques répressives
(et d’assimilation) qu’il a déchaînées,
non seulement contre un pouvoir religieux aux allures bien souvent féodales,
mais en même temps et surtout contre tout un peuple, aux riches
traditions culturelles, ne me paraissent guère émancipatrices
et compatibles avec un communisme qui serait pensé comme dépassement
véritable du capitalisme. C’est le moins qu’on puisse
dire, surtout quand on sait que ces politiques ont été menées
au nom d’une conception de la nation (dominante) et du progrès
(technologique) des plus discutables, loin en tout cas de toute authentique
politique d’intégration, d’ouverture et de tolérance.
Et à ce niveau, je ne pense pas que l’excuse de la présence
active de la CIA et de son rôle déstabilisateur soit un argument
suffisant pour clore tout débat à ce propos, et surtout
s’interdire d’imaginer d’autres politiques possibles
à l’égard du peuple thibétain. Surtout en 2010
où la Chine aurait toute la puissance nécessaire pour se
payer le luxe d’être un peu plus magnanime en la matière.
Donc, ni le Dalaï lama, mais ni non plus la Chine populaire (reconvertie
depuis aux vertus du capitalisme) : comme jamais, il faut éviter
de penser en s’enfermant dans les termes de débats préfabriqués
qui nous empêchent de réfléchir à des dépassements
possibles.
Question 14/14
Je terminerai cet entretien par ton propos sur
"Les penseurs du soupçon : la puissance démystifiée..."
- essentiel à tous les défenseurs de l'émancipation,
de l'arrière-pays et des villes:
"(...) qu’il s’agisse de Marx, de Nietzsche, de Freud,
on retrouve le même souci de redonner force à l’être
humain, de l’aider à affronter sur la base de ses propres
moyens et ressources :
- les maux qui le mutilent (l’exploitation, l’aliénation
marxiste),
- le domestiquent en enrayant la vie (le nihilisme nietzschéen)
- ou le rendent malade (la névrose et le conflit psychique freudien)...."
Je retrouve dans ces trois points de tension les bases de notre aliénation,
celle qui conduira notamment à l'adhésion forcée
des masses aux traditions universalistes ou aux marchés néolibéraux
que promotionnent du reste les philosophes au dessus de tout soupçon,
anti socialistes et "francmaçonnisés" : Onfray,
BHL, Lyotard, Glucksman, Comte Sponville, Ferry; ceux qui n'oseront jamais
remettre en question le mode de production capitaliste.
Il est inacceptable cependant, il y va de notre condition d'homme ou de
femme, que le leg des "vaincus", déterminant pour la
vie, n'ait d'égal que son contraire celui des "vainqueurs"
(primitif qui tue), moteur de la civilisation occidentale...
J'ajouterai ici, revenons en arrière, que le dernier film Avatar
dont tu parleras plus haut reflète bien tes trois causes de
mutilation puisqu'au fond "les vainqueurs" (US marines/rangers)
sont à la fois détruits par les indigènes forestiers,
"difficult to kill" selon le commandant des troupes d'assaut au service
d'une compagnie minière, et "derniers hommes" sous l'apparence
d'un "refusenik", infirme locomoteur, asphyxié et brisé,
effondré dans les bras d'une "belle bleue géante à
la longue tresse indienne" - seul lien pour la locomotion animale
à deux "mind to mind" -, dans les profondeurs de la jungle
hostile...
Dans Avatar la communication avec les créatures indigènes
passe par la création de créatures artificielles (à
l'image des indigènes): "les avatars", lachés
dans la forêt primitive et pilotés par l'esprit des marines
/rangers depuis des caissons individuels hermétiques bases arrières
de "l'infiltration cognitive" des peuples indigènes.
Si les créatures virtuelles de l'industrie hollywoodienne tuent
les soldats au service des mines et du Pentagone elles préservent
et dynamisent toutefois le principe d'adhésion politique et militaire
au néolibéralisme planétaire en sauvant un vétéran
infirme "l'homme de conscience et de confiance" (il y aura toujours
des héros puis des vétérans mutilés et brisés
au combat pour la juste cause) sous une forme paradigmatique; le refusenik
prend le parti des groupes dissidents, des indigènes.
Le néolibéralisme demeure malgré tout maître
des images et du discours émancipateur : "il n'y a pas d'action
et d'émancipation politique sans de nouveaux codes de soumission",
sans succomber, ici, à la belle bleue virtuelle à la longue
queue, maîtresse absolue du destin du marine brisé et de
la noble cause. Le principe de l'infiltration cognitive anticonspirationniste
des dissidences (dans le film le refusenik lié par l'esprit, la
technologie de l'avatar, aux indigènes) peut ainsi se répandre
dans le monde... C'est du reste l'objet, aux Etats-Unis, de l’Office
of Information and Regulatory Affairs (Bureau de l’Information et
des Affaires réglementaires de la Maison Blanche); ce dernier a
bien pour tâche de dynamiser l’«
infiltration cognitive » des groupes alternatifs qui mettraient
en oeuvre des « théories de conspiration » comme celles
entourant, par exemple, le 11 septembre.
Du constat philosophique et politique "le néolibéralisme
est maître des images et du discours" naîtrait ton propos
sur la nécessaire immanence et les luttes, holistiques; leur objet
: l'émancipation politique réelle du sujet...
Pour mieux comprendre le développement tu n'hésiteras pas
à corser les choses en te livrant à une critique génétique
de Marx, Nietszche, Freud, à remettre en question nos universaux,
décelant, ici et là, des erreurs et des imperfections qui
remettront en cause intégralement ou en partie leurs travaux; des
erreurs que trahiront les évènements majeurs de notre temps
et qui affecteront tous les hommes, toutes les communautés. Derrida
prendra ton parti, avec, contre, au delà, mais pas sans... "Marx",
tu rajouteras, Nietzsche et Freud.
Q- Peux-tu revenir sur nos trois universaux et aborder ce point si important
- qui est la clef de voûte de ta philosophie politique - : "redonner
force à l'homme, l'aider à affronter les maux qui le mutilent"...
?
Réponse 14/14
Marx, Nietzsche, Freud, appartiennent à cette grande tradition
occidentale universaliste à laquelle je me réfère,
mais dont on ne peut pas ne pas faire le bilan intransigeant. Car s’il
y a quelque chose d’éminemment positif à essayer de
tendre vers l’universalité –en ne se contentant pas
de vérités parcellaires ou régionales et en étant
donc toujours prêt à se questionner sur ses propres savoirs
pour les élargir— la grande tentation reste toujours d’imaginer
qu’avec soi, cette universalité tant cherchée serait
proche d’être atteinte. Universalité de vainqueurs,
en somme !
C’est ce à quoi conduit un certain hégélianisme
(voir l’idée de fin de l’histoire reprise par Fukuyama)
ou même un certain marxisme vulgaire, sans parler de certaines des
affirmations de Nietzsche ou de Freud sur l’ampleur de leurs propres
découvertes et qui aujourd’hui font plutôt sourire.
Il ne s’agit donc pas de se référer à ces trois
auteurs sur le mode dogmatique, imaginant qu’ils auraient dit le
dernier mot sur tel ou tel domaine de savoir, mais bien plutôt de
les concevoir comme des passages obligés, pour mieux parvenir à
penser l’aujourd’hui.
On ne peut en effet comprendre leur questionnement sans les resituer dans
leur propre contexte philosophique et surtout dans le mouvement dynamique
de l’histoire de la pensée européenne. Et s’ils
paraissent encore importants aujourd’hui pour nous, c’est
qu’à l’encontre d’une tradition idéaliste
(ou bien pensante) toujours extrêmement présente, ils ont
soulevé des questions véritablement centrales dont nous
ne sommes pas complètement encore sortis, aujourd’hui en
ce début de 21ième siècle.
La preuve sans doute, on la trouve dans le nombre de penseurs contemporains
qui d’une manière ou d’une autre ne cessent d’y
faire –directement ou indirectement référence. Qu’on
songe simplement au retour en vogue des travaux de Marx après la
récente crise économique et financière. Après
tout, les maux qu’ils dénonçaient respectivement comme
mutilant l’être humain (la société de classe,
le nihilisme décadent, les malaises de la civilisation) ainsi que
les facteurs qui en auraient été à la source (l’exploitation
capitaliste, la domination des « petites gens »
ou les conflits psychiques névrotiques ) sont toujours là
et pourrait-on dire plus que jamais là. À condition évidemment
qu’on accepte de les lire sur la base d’une approche de type
rationnel et critique !
Certes les transformations qui se sont finalement effectuées en
leur nom, ont donné lieu –en termes pratiques—à
ce qu’il faut bien appeler des catastrophes (voir le socialisme
réel, ou bien la volonté de puissance nazie, ou encore l’institutionnalisation
conservatrice de la psychanalyse), installant ainsi un voile souvent opaque
entre les fécond efforts d’interprétation qui étaient
les leurs (et donc les avancées qu’ils représentaient
par rapport à leur propre tradition) et les résultats souvent
si contre productifs auxquels ils paraissaient avoir abouti et qu’on
continue à brandir comme des épouvantails quand on évoque
leur oeuvre.
Mais là encore, c’est l’idée de ne pas jeter
le bébé avec l’eau du bain et de reprendre patiemment
le chemin qu’ils ont suivi, en cherchant à déchiffrer
–par delà les expériences traumatisantes qui se sont
faites en leur nom—leurs propres limites et points aveugles, mais
aussi leurs points forts. Car évidemment tout penseur, est toujours
penseur d’une époque, marqué au fer rouge par les
caractéristiques de celle-ci.
Impossible ainsi de ne pas voir qu’il reste quelque part chez Marx,
ne serait-ce que les traces d’une apologie du progrès ou
chez Nietzsche celles d’une vie inquiétante et brutale, ou
encore chez Freud d’un naturalisme aujourd’hui dépassé !
Mais impossible non plus de ne pas voir comment tous les trois ont su
mettre le doigt sur quelques-uns des maux centraux qui hantaient leur
époque et partant continuent à hanter la nôtre !
C’est en ce sens là qu’ils représentent –au
prisme de leurs questionnements croisés—une sorte de vaste
chantier théorique qui est encore le nôtre et auquel il nous
reste à nous colleter, envers et contre tout !
Raison de plus, pour te remercier Christian de ce longue entretien. Il
n’y a rien de plus important aujourd’hui que de parvenir à
échanger, par delà les cultures et les pays, les horizons
les plus divers, à l’échelle du monde. Et pas simplement
avec ceux qui mènent un travail académique classique ou
traditionnel, mais aussi et surtout avec tous ceux et celles qui sont
concrètement engagés dans des luttes pour le changements
social et qui le font à partir d’horizons idéologiques
radicalement autres, en étant à leur manière à
la pointe de toutes les expérimentations en la matière.
Tout savoir n’est qu’un chemin, et il n’est de savoir
véritable qu’à la condition d’appeler à
d’autres savoirs, d’y être disponible, s’ouvrant
ainsi au renouvellement et par conséquent à plus de vie
et de fécondité. Puisse cet échange montrer tout
le travail de clarification et d’élaboration qu’il
reste à mener, pour comme jamais rester des vivants aux temps présents.
(Fin de la seconde partie)
Pierre Mouterde
interview 1
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